Conte de l'Avent- Chapitre 1

Y K

Le 23 décembre, le Père Noël se fait voler son trainer par un lutin. Flanqué de Samantha le travesti et de Tinashe l'ancien pilote alcoolique, parviendra-t-il à sauver Noël ? 1 chapitre/ jour ->Noël


Pôle Nord, 23 décembre

Dehors, il neigeait. De lourds flocons s'amoncelaient sur la petite maison et l'atelier perdus dans la montagne. A l'intérieur, c'était l'effervescence. Des petits lutins jaunes s'activaient de toutes parts, surveillés de près par La Mère. Dans la grange, les rennes broutaient paisiblement. Demain, ils allaient trimer dur. L'an passé, l'un d'entre eux avait rendu l'âme, remplacé par l'un des rennes de secours. Le plus vieux lui donnait quelques conseils.
- Franchement, tu n'as aucune raison de paniquer. Comme tu débutes, on va te mettre au milieu, tu suivras la cadence, et il n'y aura pas de problème.
- Je stresse quand même un peu pour toute la zone Afrique-Amérique latine, niveau températures, j'ai peur de ne pas pouvoir tenir.
-T'inquiète pas, c'est vite fait, t'as à peine le temps de sentir la chaleur qu'on est déjà parti. Non, le seul coup de stress c'est plutôt sur la fin, on est souvent à la bourre. C'est pas toujours évident de tout livrer avant le lever du soleil, surtout que les enfants ont tendance à se réveiller spécialement tôt ce jour là.
- Sales gosses.
- Naan, faut pas être négatif, et puis c'est quand même notre gagne pain, sans eux ont pointe au chômage.
- La situation est quand même de plus en plus critique, remarqua un troisième renne. Passé cinq ans, il n'en reste plus beaucoup pour croire au vieux.
- Un peu de respect, repris le plus âgé. On ne parle pas comme ça du boss.
- Mouais, n'empêche qu'il se la coule douce en attendant...

Le Père Noël ne se la coulait pas douce. Seul dans la maison adjacente, il venait de réaliser qu'il ne lui restait plus qu'une bière, et même pas fraîche. Hors de question de regarder la finale du championnat de hockey en buvant du coca.
- Ça c'est encore la faute de la Mère Noël, grommela-t-il en s'extirpant avec peine du canapé où il passait le plus clair de son temps.
- Hey la Mère !! brailla-t-il par la fenêtre. 
Il faisait décidément trop froid pour aller jusqu'à l'atelier. Il fit une autre tentative, criant plus fort.
- La Mère !!
La tête de la Mère apparut à la porte de l'atelier ; il agita une bière vide d'un geste explicite. Elle haussa les épaules et sa tête disparu dans l'atelier. Enervé, il se résolut à sortir.
- Putain de froid, grommela-t-il en se frayant un chemin dans la neige jusqu'à l'atelier.
L'agitation qui y régnait contrastait avec le calme de la petite maison. Les lutins travaillaient avec acharnement, chacun effectuant avec précision la tâche unique qui lui incombait. Des centaines d'entre eux s'agitaient de toute part, tel assemblant une manette de playstation 4, tel autre falsifiant des cravattes Hugo Boss. Le père Noël ne leur jeta pas un regard. Cela faisait longtemps qu'il ne mettait plus les pieds dans l'atelier. Depuis la Grande Révolte, c'était essentiellement la Mère qui s'en occupait, ce qui lui permettait de ne rien faire la plupart du temps. A ce moment, elle était en train d'engueuler un lutin qui venait de rater l'assemblage d'un appareil photo numérique.
- Mais c'est pas possible d'être aussi maladroit ! Tu crois qu'on peut se permettre ce genre de conneries ? Hein ? Et si on découvre que c'est des faux, tu te rends compte de ce que ça nous coûte en termes d'image ?? Hein? Bien sûr tu t'en fous, mais je vais te dire mon petit bonhomme, si tu veux pas de ce boulot, y'en a cinquante qui attendent derrière, et...
Le Père Noël lui tapota l'épaule.
- Quoi encore ?
- Y'a plus de bière, faudrait voir à aller en chercher...
- Tu crois vraiment que c'est le moment ?? Ces lutins ne sont pas foutus de faire du bon boulot, et comme toujours on est à la bourre ! Alors toi, bien sûr, t'es tranquille, mais en attendant qui c'est qui trime ? Bibi ! Tiens, d'ailleurs t'es au point niveau itinéraire ?
- Boaf, tu sais, c'est le même depuis un bail, je vais pas le changer maintenant...
- Ah oui ? Et les dérèglements climatiques ? T'en as tenu compte ?? Je te signale que pour les rennes ça a son importance ! Pourquoi il a claqué celui de l'an dernier à ton avis?
- Ecoute, franchement....
- Et si ces gamins pouvaient écrire leur lettre un peu avant décembre ça ne nous ferait pas de mal ! Les supermarchés commencent bien à faire la promo mi octobre, pourquoi on pourrait pas s'y mettre à ce moment nous aussi ?? Mais non, faut toujours que ce soit à la dernière minute ; et la com', c'est ton boulot !
Le père Noël commençait à être fatigué de ces jérémiades ; chaque année c'était la même chose. Il jeta un regard autour de lui.
- Tu n'aurais pas un lutin de disponible, là, pour que je l'envoie acheter quelques bières ? Le match commence bientôt, dit- il en se grattant le ventre.
- Va te les chercher toi-même tes bières ! Ici on bosse !
Décidément, les choses avaient bien changé. Résigné, il rentra se changer et se dirigea vers la grange.
- Allez les rennes, on se bouge, direction le supermarché.

C'est sans surprise que Ström, le dirigeant du supermarché, vit arriver le traineau. Le père Noël était un bon client, surtout depuis que la Mère Noël s'occupait de l'atelier. Ström aimait bien le Père Noël ; c'était un brave type, et puis surtout, une célébrité. Ca faisait toujours bien de le compter parmi ses clients réguliers. Il prépara les packs de bière, tandis que le Père Noël attachait ses rennes. Il franchit les portes automatiques de son habituelle démarche pesante.

- Bonjour, M'sieur Noël !
- Salut Ström.
- Alors, prêt pour demain ?
- M'en parle pas, j'ai encore un sacré boulot sur les lettres de commande, des lutins qui n'assurent pas une cacahuète, et un renne fébrile ; en plus de ça la Mère me met une de ces pressions...
- Allez, je suis sûr que ça va bien se passer, comme d'habitude.
- Ouais, ouais, marmonna le Père Noël en payant les bières. Tu regardes le match ce soir ?
- Pour sûr ! Ah, vos caisses de Coca Cola sont arrivées.
La Mère Noël, invoquant des contraintes budgétaires, avait décidé de payer une partie du salaire des lutins en bouteilles de Coca Cola, fournies gratuitement par la compagnie tout au long de l'année. Le père Noël avait bien tenté de protester par égard pour les lutins, mais elle avait été ferme.
- On leur fournit déjà le logement, c'est bien assez comme ça.
Les lutins jaunes vivaient dans des petites chambres qu'ils se partageaient entre six ; l'espace était optimisé grâce à des lits superposés. Depuis une dizaine d'année, ils avaient remplacés les lutins verts, plus chers, moins productifs et souvent en grève, et ils étaient l'une des principales causes de survies de l'atelier.
Les bouteilles de Coca chargées, Le Père Noël prit congé de Ström et se dépêcha de rentrer. Une grosse journée l'attendait le lendemain, et il n'avait pas envie de rater le début du match.

A peine arrivé, le téléphone sonna. C'était le père Fouettard. Beaucoup moins populaire que le Père Noël, il avait énormément de mal à se vendre, et traversait depuis plusieurs années une période de vache maigre. Sa tentative de rénovation d'image basée sur une campagne de pub « hip hop » où il fouettait des jeunes filles sur fond de RNB avait complètement échouée, et il survivait principalement grâce à la Caisse d'Allocation des Personnages de Fêtes, qui lui versait une petite pension annuelle.
- Yo Noël.
- Salut Fouettard.
- Alors, ça en est où ?
- Le foutoir habituel. La mère me gonfle. Les lutins sont à la rue. J'en viendrais presque à t'envier.
- Arrête tes conneries, le chômage c'est la déprime, avec la chute du communisme et la prolifération des organisations de défense des droits de l'enfant, je n'ai presque plus aucun môme à fouetter.
- Les temps sont durs...
- Je passe à quelle heure?
- D'ici une petite demi heure, j'ai deux trois bricoles à régler.
- Ça marche.

Une vingtaine de minutes plus tard, le vieux traineau du Père Fouettard grimpait péniblement jusqu'à la demeure des Noël. Devant sa situation financière, il avait du se séparer de ses rennes, et il ne lui restait qu'un vieux cheval de traie. Le Père Noël l'accueillit une bière à la main.
- Je t'en sers une ?
- Et comment ! Tu n'avais pas du boulot sur tes lettres ?
- Je ferai ça après, on n'est pas à la pièce...
Ils s'installèrent confortablement dans le canapé et se mirent à boire en regardant le match.
Sur ce la Mère Noël rentra, rouge de sueur, les cheveux en pagaille. Elle avisa le Père Fouettard d'un air ahuri.
- Ah bah il ne manquait plus que lui ! Il va être beau ce Noël !
- Oh, ça va hein, maugréa le Père Noël.
Le Père Fouettard, de son côté, ne répondit pas ; il était persuadé depuis toujours que la Mère Noël était raciste, et préférait ne pas polémiquer à ce sujet, surtout un soir de finale. Il continua à boire comme si de rien n'était.
Le match et deux packs de bière terminés, les deux Pères restèrent discuter au coin du feu. Le Père Fouettard était sur le point de retourner en Afrique, la vie au Pôle Nord lui pesait de plus en plus.
- Ça me déprime, surtout vu le peu de travail que j'ai. Au moins là bas j'aurai chaud, et je pourrai passer plus de temps avec la famille.
- Je me souviens des cousins Fouettard, le 24 décembre 1930, vu qu'on avait un peu de temps, ils nous avaient invités...
- Haha, qu'est-ce qu'on s'était mis !
Le Père Noël eut un sourire triste et poussa un soupir.
- Ecoute Fouettard, il faut que je t'avoue quelque chose. 
Fouettard, intrigué par le ton du Père Noël, posa son verre et attendit.
- Je pense que c'est mon dernier Noël, finit par dire le Père.
- Quoi ?! Mais tu ne peux pas faire ça ! Ton affaire marche du tonnerre, vous êtes en croissance constante, et puis pense à l'impact que ça aurait !
- Je sais, je sais mais j'y ai bien réfléchi et franchement, je n'ai plus la motivation. C'est devenu une telle machine... rien à voir avec l'ambiance des débuts, les aventures, l'insouciance... même la Mère a changé, elle est devenue obsédée par la productivité, et pour finir je ne m'y retrouve plus.
- Mais tu as un plan de transition, tu veux transmettre ça à quelqu'un ?
- Je ne sais pas encore exactement, répondit le Père Noël, j'ai moins d'un an pour y réfléchir. Reste discret à propos, la Mère n'est pas au courant.
- Ca marche. Bon. Tu as l'air de savoir ce que tu fais, finit par soupirer Fouettard. Ca me rend triste quand même. J'ai beau avoir arrêté il y a déjà un bout de temps, l'idée que tu t'en ailles à ton tour... c'est la fin d'une époque. 
- Je sais bien, répondit Noël. Mais la magie est partie, ça n'a plus de sens.
- Bon, et ben... c'est toujours une raison de boire hein, conclut Fouettard en levant son verre.
Après un dernier digestif, le Père Fouettard finit par prendre congé de Noël.
La Mère, de retour dans la maison, le regarda partir d'un air satisfait.
- Lui, le moins je le vois, le mieux je me porte !
- Oui, bon...
- Il a une influence négative sur toi ! Reprit-elle. Tu bois beaucoup plus quand il est là.
- Bon, je vais au lit. J'ai besoin d'être en forme demain, et je sens déjà la gueule de bois rappliquer.

Après un Efferalgan et une bonne douche, le Père Noël se coucha; le lendemain était le 24 décembre, sa seule journée de travail de l'année, et des milliards d'enfants comptaient sur lui.


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