Contes d'amour et d'espace-temps
perlipopette
Un recueil de nouvelles brèves, une rencontre qui semble n'en finir jamais, une histoire qui se tisse, de conte en conte, parcourant les temps et les genres avec humour, peps, liberté et romantisme.
Contes d’amour et de l’espace-temps
Marina Dejanovic
Après la guerre le beau temps
Dans les années '50, les amateurs de radio n'avaient plus de guerre, et Popette s'ennuyait devant ses appareils. Il n'y avait pas d'Internet, et le téléphone était cher, alors, il y avait bien des voisins qui venait en profiter pour communiquer avec leur famille aux Amériques, et c'est vrai, ça paraissait magique. Parfois, elle tombait sur une fréquence où un autre amateur émettait, et ils se racontaient leurs vies. Parfois, il lui arrivait de s'exalter dans un sentiment d'amour pour une belle voix au loin, même si jamais aucune de ses rencontres n'a donné lieu à une aventure, une vraie, avec tout le danger et tout le romantisme de la résistance. Alors l'exaltation rapidement s'effilochait, pour disparaître, comme elle était arrivée. Un temps, sa radio a rendu bien des gens contents. Mais Popette aimait l'action. L'action héroïque. Et assez vite, elle s'ennuya ferme.
Elle en arriva à se sentir divertie en regardant la météo sur sa petite télé noir et blanc enneigée. C'est dire... Ce jour là, ils annoncèrent du beau temps sur toute la France et tout l'Atlantique. Elle tournicota les boutons des fréquences machinalement, le menton dans la main, le coude posé assez loin pour qu'elle en paraisse presque allongée sur son bureau. Elle pensait qu'il était temps de se trouver une nouvelle passion. Quelque chose de plus vivifiant. Quand...
- ... kshhhh... help... kshhh... Swing radio hammers from the Outre-Atlantique... kshhhh... cherche Marie-Hélène Tricot, cherche Ma... kshhh...
Popette sursauta et revint sur une fréquence précédente.
- kshhh... help... help... help...
Silence.
- Qu'est-ce que c'est que ça, se demanda-t-elle. Une belle voix, mais pas aussi paniquée que son message était censé la rendre... Peut être juste un blagueur qui s'ennuyait de la résistance comme elle... Mais sait-on jamais...
Vite, elle approvisionna son poste en café, biscuit et cigarettes, et se prépara à ne plus décoller de son engin tant que l'affaire ne serait pas réglée. Elle pris son micro émetteur et se lança.
- kshhh. Ici Popette, radio-amateur des années '50, il vous arrive des misères ? A vous. kshhh.
Rien. Silence radio. Elle répéta le message, inlassablement, toutes les trois minutes, durant un certain paquet d'heures. Mais rien. Elle fureta les fréquences, mais rien. Nulle part. Elle allait abandonner, laissant tout de même son appareil branché sur la fréquence du silence quand...
- kshhhh help help kshhh help.
Elle sauta sur son micro, tout en débranchant le son de son tourne disque.
- kshhh. Ici Po, radio-amateur des années '50, il vous arrive des misères mon gars ? A vous. kshhh.
- kshhh. Po, ravi de vous entendre. Ca fait des heures que j'essaye de joindre quelqu'un. Ici Cap'taine. Je capte mal, je suis en plein Atlantique nord. Une saprée tempête, j'vous l'dis. A vous. kshhh.
- kshhh. Enchantée, Cap'taine. Que puis-je pour vous ? kshhh.
- kshhh. C'est la seule fréquence que je capte, mais personne n'a l'air de se brancher dessus. Mon rafiot en a pris un coup. J'ai besoin d'infos sur la météo et sans doute de secours. Vous avez une idée des us et coutumes radiophonées des marins ? kshhh.
- kshhh. Non Cap'taine. Qui dois-je contacter ? kshhh.
- kshhh. Bien. Vous allez me mettre en lien avec la personne qu'il me faut. Branchez-vous sur la bande des 40m, fréquence 7177. Vous pouvez faire ça pour moi ? kshhh.
- kshhh. A vos ordres Cap'taine. Un instant. kshhh.
Popette appela la fréquence demandée. Pas de réponse. Un temps. Silence. Sur un second appareil elle se brancha sur la fréquence de la météo des mers. C'était louche. Ils indiquaient un océan calme et un ciel bleu sur tout l'Atlantique.
- kshhh. Cap'taine ? A vous. kshhh.
- kshhh. Po, un problème ? kshhh.
- kshhh. Oui Cap'taine. Il répond pas vot' pote. J'me suis branchée sur la météo des marins. Il n'y a rien sur tout l'Atlantique. Précisez votre position. A vous. kshhh.
Cap'taine précisa, Popette contacta la station météo, qui vérifia et l'en informa.
- kshhh. Cap'taine, ici Popette, vous êtes toujours là ? A vous. kshhh.
- kshhh. Je suis là Popette. Je vous écoute. kshhh.
- kshhh. Z'avez pas d'veine Cap'taine. Tout l'océan est au calme. Mais sur votre position très exactement, ils ont repéré un gros nuage, et une énorme vague. Vous devez être dessus, Cap'taine. Faut descendre de là et tout ira bien. A vous. kshhh.
- kshhh. Qu'est-ce que c'est que ces histoires ? Vous vous foutez de moi ? Vous croyez que c'est le moment ? Mon équipage en chiale, on est au bord de la panique. kshhh.
- kshhh. C'est sérieux Cap'taine. Vous êtes sur la vague. Et il n'y en a pas d'autres. Vous devez ralentir les moteurs et la laisser filer. Si vous accélérez, elle vous bouffe. Si vous gardez le cap', vous la suivez. Ralentissez, laissez passer. Juste derrière le ciel est bleu. A vous. kshhh.
- kshhh. Si je ralentie en pleine tempête je perds la puissance de mon rafiot. La moindre vague par derrière nous englouti. Je peux pas prendre un tel risque. Mettez-moi en contact avec cette satanée station météo. Vite ! kshhh.
- kshhh. OK, OK, OK, Cap'taine. Je dégage. J'vous les envoie. Que Neptune vous protège ! kshhh.
Popette envoya les autorités officiellement informées sur la fréquence du Cap'taine. Inquiète, elle suivit leur conversation sans intervenir. Cap'taine finit par ralentir son rafiot et retrouver son calme, comme celui de l'océan. Ils prirent le temps de réparer les dégâts, et reprirent le chemin du bon port.
L'affaire dura quelques jours, et Popette fut ravie de participer à ce suspens, même sans intervenir. Il n'y avait plus de guerre que la froide, mais il y avait les mers, et les combats éternels des marins pour leur survie. Sa passion revivait d'un espoir héroïque tout neuf.
- kshhh. Po ? Ici Cap'taine du rafiot, vous m'entendez ? A vous. kshhh.
- kshhh. Ravie de vous entendre Cap'taine. J'ai suivi l'aventure. Je vous félicite, vous vous en êtes bien tiré. A vous. kshhh.
- kshhh. On vous doit une fière chandelle, ma grande. Tout va bien. Calme après tempête. Cap sur le bon port. Je crois que j'ai passé l'âge de tout ce chambardement. Je crois que c'est mon dernier voyage. kshhh.
- kshhh. Emportez votre radio, Cap'taine. Vous avez une belle voix. Où allez-vous poser vos pieds de marin ? kshhh.
- kshhh. L'un devant l'autre, Po. Je vais marcher sur les terres, pour changer. Je n'en garderai qu'une vague à l'âme et un mal de mer. kshhh.
- kshhh. Emportez votre radio, Cap'taine. Vous pourrez me raconter. On s'ennuie ici, la nuit. Et l'aventure me manque. kshhh.
Ils discutèrent encore un peu. Ils s'en racontèrent, des histoires de vadrouille et de sur place. Durant des années. Jusqu'à ce que tout ça soit si réglementé, que plus aucun particulier ne fit entendre sa voix sur les ondes. Les radios amateurs étaient devenus des pros de la communication de masse. On retira leurs appareils à ceux qui en possédait encore, par la force de l'ordre lorsque c'était nécessaire. Ca l'était, lorsqu'ils découvrirent les derniers appareils encore en fonction chez Popette. Elle résista vaillamment, même si elle savait que le combat était perdu d'avance.
Popette avait 89 ans à présent. Elle pensait encore au Cap'taine, qui avait vadrouillé toute sa vie, sillonné les mers, comme les terres, et l'avait emportée sur les ondes avec lui, durant des années. Depuis quelques temps, Internet avait été inventé, et une passion nouvelle s'empara de Popette. Elle communiqua avec le monde entier, et y déposa la trace des voyages du Cap'taine. Elle écrivit tout. Publia les photos qu'il lui avait envoyées par la poste. Et au point final, s'éteignit, elle aussi, aussi doucement que l'on tourne une dernière fois le bouton d'une radio. Off.
L’Embauche
Lockwood s’arrachait les cheveux. Sa petite affaire commençait à prendre et il ne pouvait plus s’en passer. Il lui fallait son Watson. Quelqu’un qui pourrait répondre au téléphone, poster le courrier, et tenir les dossiers à jour. Malheureusement, son Watson n’avait pas l’air en recherche d’un Sherlock. Depuis une semaine, chaque matin, l’ancien capitaine de la US Navy débarqué à Paris se coltinait la corvée de s’entretenir avec les ressources de l’humanité disponibles, et pas un type ne présentait celles d’un assistant détective digne de ce nom. Si ça devait se poursuivre, il lui faudra trouver un moyen que ça cesse, quitte à prendre un incompétent et le former à coup de cravache.
- Suivant, mâchonna-t-il de son petit accent Outre-Atlantique, en ouvrant la porte vitrée où l’on pouvait lire à l’envers où l’on se trouvait. Bureau du détective Jaxson Dean Lockwood. Sans regarder qui entrait, il retourna s’assoir à son bureau, y posa ses jambes, rejeta son chapeau sur la nuque et croisa ses mains sur son ventre.
- Je vous écoute.
Lockwood regarda enfin la personne en face de lui. Le jeune homme avait dans les 27 ou 28 ans et un vestimentaire typiquement artistico-parisien. Il se lança aussitôt dans un discours très assuré à propos de l’utilité d’un bon photographe doté d’un extraordinaire appareil numérique dans le métier, dont le détective n’écouta pas un mot.
- Souhaitez-vous jeter un œil à mon travail ? dit le jeune homme, en sortant un carnet de photographies devant Lockwood sans attendre de réponse.
Sans y répondre, Lockwood feuilleta, referma le carnet et dit :
- C’est très moche.
Le jeune original avait réuni là ses plus belles œuvres. Les jeux de profondeur et de lumière témoignaient d’une inspiration clairement artistique et résolument… originale. Lockwood les trouva émouvantes en réalité, mais l’assurance à présent indignée de l’homme lui confirma sa première impression. Le type-là, c’était l’envers d’un Watson.
[...]
Les peaux des personnages et les genres amoureux
Vrais sur Internet, quotidien
Le détective et son assistante, policier
L’aventurier et la pirate radio, aventure
La sorcière et le musicien, historique
Les évadés de la prison des âmes, fantastique
Le chef cuistot et le mirliton, Ratatouille
Les ados, jeunesse