Sherlock and love

jerome-belenfant

SYNOPSIS

Lisa, jeune provinciale studieuse, doit monter finir ses études notariales à Paris. Elle cherche une colocation et ne tombe jamais sur des gens sérieux. Sa meilleure amie, Judith, lesbienne assumée, lui propose de se faire passer pour une homosexuelle afin d’agrandir le cercle de ses recherches aux colocations avec des hommes sans le risque d’être draguée par eux.

Joe et Mike sont deux amis radicalement différents. Joe, timide et introverti, écrit péniblement des scénarios de séries pour des chaines de télévision du cable. Petit, boudiné, il affectionne autant les sucreries que les beaux derrières, son grand regret étant d’en goûter fort peu. Pour cela, il admire son fidèle ami, Mike, acteur-gigolo décadent et cynique. Grand, svelte, la femme est une proie qu’il traque sans répit. Sa tendresse pour Joe vient du fait qu’il ne lui reste plus qu’un seul ami et surtout qu’il peut vivre à ses crochets dans  le grand appartement bordélique qu’ils louent péniblement à sa tante.

Pour surmonter une de leurs nombreuses périodes de vache maigre, ils décident temporairement de prendre un colocataire pour assurer leurs frais de nourriture et de sorties. Ils rencontrent Lisa et par boutade se font passer eux aussi pour des homosexuels.

De ces rôles différemment assumés, et de l’intrusion féminine dans leurs habitudes masculines naîtront bouleversements et quiproquos, qui s’accentueront lors de leur visite dans le village perdu de la belle dont ils tenteront de faire virer la cuti. Leurs repères vont se brouiller dans une série d’aventures où chacun devra retrouver sa part de féminin et de masculin.

Mike devra endurer les assiduités du frère de Lisa. Joe aura toutes les peines du monde à se faire passer pour le petit ami de Lisa auprès de ses parents. Judith, draguée depuis longtemps par le père de Lisa, commencera à se poser des questions sur son orientation sexuelle au contact du beau Mike (est-il possible pour une lesbienne de tomber amoureuse d’un homosexuel ( !) et réciproquement évidemment ?). Enfin Lisa s’apercevra qu’il n’y a pas que la réussite sociale dans la vie .

Un jeu de chaises masculin/féminin au sommet de l’hilarité.

CHAPITRE 1

Joe, les deux mains appuyés sur le dossier d’une chaise brinquebalante, observait pensif l’amoncellement de couverts, d’assiettes et d’ustensiles de cuisine submergeant l’évier, le plan de travail et la table ronde. Ce n’était pas tant le fouillis indescriptible qui le dérangea, cela il en avait pris l’habitude cette dernière année, mais plutôt l’odeur qui en suintait, nauséuse et entêtante. Il songea qu’il faudrait nettoyer et ranger tout cela un jour ou l’autre. Aujourd’hui ? Trop fatigué, trop meurtri, trop déprimé. D’autres problêmes plus graves reléguèrent cette contingence domestique dans les limbes de ses préoccupations. Trouver de l’argent urgeamment pour payer le loyer et les factures, sortir de l’impasse dans laquelle se morfondait l’histoire qu’il devait rendre à Comedy5 avant samedi (mon dieu, plus que cinq jours !), débugger cette foutue imprimante qui lui avait avalée trois cartouches d’encre pour sortir des feuilles lézardées de striures imprésentables. Et ce n’était que la partie émergée de l’iceberg de ses soucis, il préférait ne pas penser à sa mère qui le pourchassait de ses recommandations ubuesques sur sa vie, son œuvre et ses chaussettes dépareillées ou de ses dernières tentatives pour trouver une personne du sexe opposé acceptant de passer au minimum un tendre moment en sa compagnie.

Le robinet fuyait. Joe tenta de resserrer le joint à la base de la tuyauterie, mais cela empira. C’était un peu à l’image de sa vie : il colmatait, et plus il colmatait et plus cela fuyait, par tous les bords et dans tous les sens.

-         Qu’est-ce que tu fais ? s’enquit une voix endormie derrrière lui.

« Rien, je fuis, répondit-il en se retournant vers son colocataire, nu dans l’embrasure de la porte. Habille-toi putain, tu crois que c’est agréable de se lever, d’arriver dans une cuisine crade et de te voir à poil. J’ai même pas déjeuné… »

« Je ne pensais pas te trouver là ! », s’excusa Mike qui prit dans la corbeille de fruits une pomme flétrie légèrement pourrie par endroits. Négligemment, il fit demi-tour et se dirigea vers le salon, les deux coquilles de ses fesses rebondies alternant dans un ensemble harmonieux, puis il s’affala dans le vieux fauteuil rouge devenu gris des poils du chat Cactus.

Joe se retourna dégoûté et mortifié du peu d’intérêt que pouvait avoir ses remarques auprès de son ami. Il réussit à trouver un bol qu’il passa à l’eau avant de le remplir de lait. Il mit ensuite quelques minutes à retrouver l’endroit où il avait caché les corn-flakes pour que Mike ne se serve pas, espoir vain puisque la boite se révéla presque vide. La matinée commençait mal.

En cette fin d’après-midi, à la terrasse du Barouf, Lisa et Judith attaquaient, après les disgressions amoureuses et familiales, le morceau de choix de leur rencontre : l’installation prochaine de Lisa à Paris. Il s’agissait d’affiner une stratégie pour résoudre l’épineux problême du logement dans la capitale. Les tentatives de Lisa avaient fait chou-blanc : loyers exorbitants, logements trop exigus ou colocations improbables avaient ruiné son optimisme du départ.

« … je pensais avoir trouvé avec ces deux étudiantes, tu te souviens près de la place de la Bastille. Et puis ces pétasses ne m’ont pas sélectionné. Depuis rien d’intéressant… » raconta Lisa en se curant délicatement l’oreille de son ongle manucuré.

« Je crois que tu demandes trop. Tu veux une coloc studieuse, propre, surtout pas fétarde, intelligente, gentille, lui expliqua Judith. Tu veux quelqu’un à ton image, mais une colocation ce sont avant tout des personnes qui partagent un lieu en mettant en place des règles de vie commune. Puis si cela colle entre vous sur certains sujets, tant mieux, sinon tant pis. »

-         Je n’accepte pas ça.

-         Mais tu vas devoir le faire, tu n’as plus le choix, il te reste un mois pour trouver. Après tu seras obligé de faire appel aux finances de Papa pour te payer un appart seule.

-         Ca jamais.

-         Alors mets de l’eau dans ton vin, regarde je t’ai trouvé une annonce sur Internet «2 hom, ch coloc, quartier Ternes 17e, 500$ la ch » Ca correspond presque.

-         Ca jamais ! Avec deux hommes. Je t’ai déjà dit que je ne pourrais pas partager mon intimité avec un homme qui me serait indifférent. Je ne te parle même pas des allusions scabreuses, des reluquages en douce et de la propreté douteuse.

-         Mademoiselle ‘Jamais Ca ‘ va devoir faire des efforts. Moi je n’apprécie pas spécialement la compagnie masculine et pourtant je le ferais !

-         Bien sûr, tu es lesbienne, c’est plus facile, tu mettrais les choses au point dès le départ.

-         Eh bien, dis que tu en es.

-         Comment ça ?

-         Que tu aimes les femmes et pas les hommes, que tu as une petite amie. Tiens je veux bien me dévouer. Tu sais que j’ai eu longtemps le béguin pour toi.

-         Oui d’ailleurs cela me gêne toujours de savoir que ton orientation sexuelle est en partie de ma faute.

-         Alors rachète-toi ! Moi cela me permettrait de réaliser un rêve d’adolescente et toi d’être tranquille avec tes colocs.

-         Mais je ne parviendrai jamais à mentir là-dessus…

-         Ecoute, déjà que tu as du mal à sortir de tes livres, il suffira de faire attention à tes paroles quand tu seras avec eux et puis je viendrais te rendre visite, on jouera aux amoureuses.

-         Tu crois vraiment.

-         Oui, on s’amuserait bien crois-moi.

-         Et pourquoi pas ?

Et elles se mirent à rire.

Chet Baker fit son apparition sonore dans le grand salon. Les caissons de vyniles, de cds et de livres tapissaient les murs et phagocytaient l’espace. Tous les mobiliers, canapés et fauteuils, tournaient ostensiblement le dos à une vieille télévision, montrant ainsi le peu d’intérêt des occupants pour la vie cathodique. Pour eux, nulle prouesse de décoration, ils avaient posés les éléments au petit bonheur la chance.

De toute façon, peu de gens s’aventuraient dans leur antre. Casanier, Joe restait dans sa chambre au bout du couloir rivé à l’ordinateur pour son travail et dans les livres pour ses loisirs. Mike au contraire avait une vie extérieure très remplie, mais se faisait un point d’honneur de ne jamais amener ses nombreuses conquêtes chez lui. Elles auraient été fort surprises d’ailleurs ; son élégance vestimentaire détonait avec le négligé de son intérieur. Mike avait deux occupations lui assurant des revenus irréguliers : acteur et gigolo. Enfin acteur, plutôt personnage de publicité, dont l’heure de gloire fut deux années auparavant un film pour magnifier un savon d’une région française dont il s’enduisait le corps voluptueusement. Et gigolo, parce que son attirance pour le corps féminin lui avait montré qu’il pouvait en tirer un gain financier avec des femmes de seconde ou troisième jeunesse.

D’ailleurs Mike n’avait plus de revenu d’aucune sorte depuis deux mois et là où Joe se rongeait les sangs, lui se disait qu’il trouverait bien une solution dès qu’il se pencherait un peu plus sur la question.

Or, devant lui, c’est  justement ce sur quoi Joe lui demandait de se pencher hâtivement.

-         Mais que veux-tu que j’y fasse, moi, expliqua Mike en se limant les ongles des doigts de pieds consciencieusement, si on avait la solution on l’aurait déjà fait non ? Tu sais bien que je vais au casting demain pour ce rôle ultra-important. A propos, tu lui as au moins parlé de moi au directeur du casting de ta boîte?

-         Mais bien sûr cela fait dix fois que je lui parle de toi. A chaque fois qu’il me voit il sait qu’il va y avoir droit, alors maintenant il m’évite !

-         Et il ne t’a rien dit sur moi.

-         Tu fais chier Mike, tu veux que je te dise vraiment ce qu’il m’a dit ?

Mike arréta son limage.

-         Oui, bien sûr, j’y tiens.

-         OK, « je vois pas ton copain savonnette dans un de mes soaps », voilà ce qu’il m’a dit, ça te va.

Mike reprit son limage.

-         Ouais très fin en effet. Ils s’arrêtent tous à mes pubs, mais j’ai un vrai talent d’acteur…

-         Oui je le sais trop bien. D’ailleurs je ne t’ai pas remercié pour  ton invitation à la soirée où tu t’es fait passer pour le responsable d’une chaîne hôtelière et que tu as eu la merveilleuse idée de dire que j’étais le responsable pour la Belgique. Moi avec mon accent poitevin à couper au couteau, me faire passer pour un gars de Liège. Merci de la sortie, pour draguer je ne savais plus où me mettre…

-         Ah oui et cette fille à qui j’ai dit que tu avais un petit goût de bouchon, rigola-t-il

Joe se retourna furieux

-         A qui tu as dit ça ?

-         Oh une fille qui arrétait pas de te regarder…

Mike sentit que les choses s’envenimaient. Il quitta prestement le fauteuil et se mit à courir, suivi de près par un Joe furibard.

-         J’ai une idée, j’ai une idée, criait-il alors qu’il fermait difficilement la porte de sa chambre, j’ai une idée pour le loyer.

-         C’est quoi, souffreta Joe en essayant d’entrouvir suffisamment la porte pour y glisser son pied.

-         Il faudrait trouver un colocataire supplémentaire. On a une pièce qui te sert de bureau, louons-là…

Mike sentit la pression se relâcher sur la porte. Au bout de quinze secondes, la voix de Joe lui parvint

-         Après tout, mais il faudrait que ça soit temporaire, pour quelques mois, le temps de se refaire.

Oui bien entendu, mais on est pas obligé de lui dire au gars que dans trois mois on le vire. D’ailleurs peut-être qu’il partira de lui-même…

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