Corps et âme. Ce qui nous rend humain

Serge Boisse

Et si notre civilisation ne reposait que sur ce fragile postulat : C'est de la seule contemplation des corps que surgissent les idées nouvelles ? Un court essai philosophique.


Dans le roman « Malpertuis » de Jean Ray, les anciens dieux de l'olympe sont réduits à l'état de créatures misérables, rendus esclaves parce que presque plus personne ne croit en eux. Il en va de même de notre civilisation, de plus en plus puritaine et intégriste, qui ne croit plus à cette idée que pourtant on enseignait depuis Platon, à ce miracle que les romains avaient embrassé et qui les avait conduits à la grandeur, à savoir que c'est de la seule contemplation des corps que surgissent les idées nouvelles. 

Voilà une position philosophique fragile, qui exige au minimum une sorte d'adhésion. Magnifions les corps ! C'est à cela que servent les vénus préhistoriques et antiques. C'est à cela que servent Botticelli, Renoir, Toulouse Lautrec, et Dali. C'est à cela que sert l'art. C'est à cela que sert la mode. Une figure qui tiens sa puissance de l'adhésion d'un peuple. Cela s'appelle un égrégore, un concept ésotérique très puissant, une vibration gestalt qui provient d'un groupe embrassant une même idée.

Il y en a d'autres, bien sûr, mais celle-là est celle qui est à l'origine de la démocratie. Nous sommes ce qui reste du miracle Athénien. C'est à cela que sert Paris, avec sa haute couture et ses parfums, qui n'ont rien de futile ni de superficiel parce qu'ils sont enracinés dans une philosophie millénaire et magnifique.

Si nous oublions d'où nous venons, si nous oublions que la beauté des corps est sans limite, que la liberté signifie aussi liberté de montrer ou de ne pas montrer, et de partager ou pas nos expériences et nos pensées, que l'égalité signifie, avant tout, d'une manière absolument fondamentale, l'égalité de notre admiration devant la beauté sans limite des corps des femmes et des hommes, si nous oublions que la fraternité signifie aussi savoir reconnaître les droits des autres à vivre et à se parer comme ils le veulent, alors nous ne créons plus, nous suivons le rythme imposé de nos machines, de nos télés et de nos portables, nous redevenons des bêtes.

Nos arts sont issus de nos corps. La danse est une phraséologie plastique. La peinture n'est que de l'inconscient cristallisé dans le réel. La musique est la jouissance de la temporalité. La poésie résume l'éclosion dramatique de la fleur des sens à l'adolescence.  L'écriture matérialise nos expériences, nos rêves et nos cauchemars. La haute couture magnifie la femme en faisant semblant de la cacher sous des drapés et des transparences, mais c'est pour mieux suggérer, libérant l'imagination sans limite. La sculpture enfin, cherche l'âme des formes, l'amour du corps, l'amour physique qui est la pierre philosophale qui couronne le tout, c'est-à-dire l'Art. La civilisation. L'humain. Ce qui nous sépare de l'animal.

Nous ne resterons des humains que tant que les artistes pourront chanter librement la beauté des corps. 


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