Courir

Je cours seul dans la nuit sur le pavé humide,

Je cours le regard perdu sous les candélabres,

Je cours anonyme au milieu de la chaussée,

Je cours transi à contre-jour des véhicules,

Je cours aveuglément sur la ligne indistincte,

Je cours comme un faune ou un enfant malmené,

Je cours, allége les débordements du cœur,

Je cours pour que le feu consume l'intérieur,

Je cours, fuis, glisse, anéantis l'indicible,

Je cours musique bruissante au creux de l'oreille,

Je cours vite pour garder le corps effilé,

Je cours diaphane dans la minceur éternelle,

Je cours, saute, m'élance, recherche la transe,

Je cours, sens mon esprit perdre souffle et raison,

Je cours pour voir mon corps souffrir, lutter et vivre,

Je cours sans arrêter, j'ai froid, j'ai chaud, je brûle,

Je cours, dégouline de sueur et de bruine,

Je cours pour la morsure du vent sur ma peau,

Je cours, que les pores expulsent le venin,

Je cours moulé de noir dans la nuit, invisible,

Myope, sans identité, réduit à l'instinct,

Animal en rage galopant sous l'étoile,

Mon corps déploie ses ailes, gonfle les poumons,

Mes muscles s'allongent, libèrent les tensions,

Dilatent les narines, accroissent le souffle,

Je ferme un peu les yeux, l'euphorie devient tout,

Crée les endorphines, la joie et le plaisir,

Loin de tous, les pensées à ce point transportées,

Qu'il serait bon de disparaître maintenant,

Dans un mouvement du corps poussé au paroxysme,

Enfant décuplant sans cesse son énergie,

Bleu feu follet autour des tombeaux endormis,

Corps traqué par le temps, livré aux éléments,

Quand la vie, elle, ne cesse de se répandre,

Les fluides, les ondes, qui transpercent mon corps,

Traverseront le silence de l'univers,

Défieront longtemps, sans fin, les années lumière,

Car tout se réinvente, rien n'est éphémère...