les hommes fleurs

Christian Le Meur


« Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes» Machiavel


Pour continuer d'exercer  ma profession, dès le début du confinement, j'ai eu le privilège de pouvoir m'évader quotidiennement au cœur de ma ville et de ses alentours.

Étrange atmosphère que notre monde extérieur bénéficiant d'une trêve d'agitation et savourant pleinement son éveil printanier et ensoleillé.

En reprenant ses droits, la nature m'invitait à partager avec elle la grande symphonie de la vie, riche de couleurs, en sensations. La préciosité du vivant, l'émerveillement émanant de cette force créatrice s'imposait naturellement , avec ou sans l'incidence de l'homme.


Dans notre monde devenu insensé, le peu de raison qui nous reste, devrait nous imposer la conscience que chaque être porte en lui la substance de l'humaine condition et que nul ne peut s'affranchir de décrypter le livre de sa mémoire .

Contrairement à l'Histoire dont l'objectivité manipulable sert de fondement à l'édification de notre société et de notre avenir, notre patrimoine mémoriel gravé jusque dans nos gènes et qui, jusqu'à présent, faisait de nous des hommes, ne se manipule pas, ne se réinvente pas selon les circonstances et les intérêts.

De fait, des personnages hors de commun comme Claude Lévi-Strauss nous invite à la réflexion et à l'humilité lorsqu'il nous révèle l'enseignement que nous offrent les peuples premiers.

Ces êtres humains, de par leur pensées rationnelles et complexes, mettent à mal les préjugés évolutionnistes, nous obligent à prendre conscience que nos modes de vie, la société que l'on a choisie, égoïste, destructrice parce que profondément puérile n'ont pas d'avenir et nous éloignent progressivement de nous mêmes.


A titre d'exemple, les fondements de la croyance animiste des Mentawai ( Surnommés :Les hommes fleurs), reposent sur la révélation que l'âme a la capacité de quitter l'enveloppe charnelle de son hôte si celui-ci venait à négliger son identité et rompre l'harmonie du monde présent avec celui des esprits qui l'entourent.

Pour se prémunir de cette adversité et lui assurer l'immunité contre les maux dont ne le protégerait plus son âme en errance, ce peuple prend grand soin de son apparence physique en se parant , entre autre, de fleurs d'hibiscus .

Pour ces natifs, chaque arbre, chaque animal font partie intégrante de leur identité et donc du monde bienveillant des divinités, conférant à leur territoire un caractère immanent. Aussi, les Mentawai ne prélèvent-ils que le nécessaire vital et prennent soin de s'excuser de leur actions afin de préserver la générosité et l'équilibre du monde.


Les missions du gouvernement indonésien obligent aujourd'hui le peuple Mentawai à renier leurs cultes et leur mode de vie ancestral, pour se convertir, au choix, à la foi chrétienne ou musulmane . Contaminés par notre civilisation, tels des êtres incomplets puisque dépossédés de leurs âmes, ils rejoignent la cohorte des exclus .


Semblables ces Hommes Fleurs déracinés, nous déambulons dans notre sphère d'apparence, amputés de notre rationalité créatrice indispensable à une perception vraie de notre condition sur terre, porteuse de notre capacité de survie .

Dans cette pseudo-humanisation incompatible avec notre nature réelle , le reflet de notre miroir nous renvoie l'image d'un adulte trop souvent immature en quête compulsive de possession faisant le lit des organisations de pouvoir.


Cette soumission rassurante à laquelle nous nous adonnons sans réserve n'est, bien évidement, qu'un décor de biens sans consistance qui s'écroule dès que survient une calamité qui nous rappelle l'extrême fragilité de notre propre nature. Avec étonnement voire effroi, nous prenons soudainement conscience que la douleur, la maladie, la mort est intrinsèquement liée à notre existence.

La raison perd ses repères , le virus covid 19 mute alors en une épidémie de peur archaïque.

La dialectique triomphante de la science vacille sur ses certitudes , le mirage des belles promesses s'évanouit laissant place à ce postulat intolérable: l'homme, comme tout ce qui vit sur cette planète sont soumis à la même loi: la sélection naturelle.


En données purement comptables et à juste titre nos gouvernants s'interrogent, extrapolent pour déterminer jusqu'où supporterons nous la montée du curseur macabre avant la sidération générale, le désordre social et son retour aux déchaiements exhutoires .

Par chance, éduquer dans une conception verticale de l'autorité et donc du pouvoir, nous adhérons aux injonctions imposées par nos gouvernants , fussent-elles aberrantes ou contradictoires. Le paradoxe étant que leurs directives sont elles-mêmes influencées par des néo-devins , (sus-nommé experts) décryptant leurs augures scientistes dans de nébuleux graphiques résultant de modélisations mathématiques et prédictives.


Pour ajouter au grand chambardement, nos organisations étatiques, engluées dans leur système bureaucratique, se retrouvent, en cette période d'urgence-à-agir, dans l'incapacité d'élaborer un ensemble de combinaisons nouvelles indispensables pour établir une stratégie innovante et sanitairement cohérente.

Afin d'éviter la panique généralisée et par là même sauver du naufrage l'édifice institutionnel défaillant, ils nous invitent, pointant le doigt en direction de la lune, lors de la grande messe médiatique du 20 h , à adhérer avec ferveur au culte antique des héros sacrificiels: Les Soignants.


Petite digression

L'économie mondiale est régie, non par les états mais par de la finance. Ce qu'il faut comprendre c'est que la masse monétaire en circulation se résume au niveau de la planète, à l'accumulation délirante d'une dette virtuelle qui ne sera jamais remboursée .

Les seuls capitaux propres qu'une nation peut encore revendiquer et donc hypothéquer sont leurs infrastructures:. Hôpitaux, ponts, routes... derniers bastions en sursis du bien public, échappant à la spéculation et aux dividendes du gang des affairistes.

Cette dette confère aux bailleurs de fonds ( alchimistes créant de l'argent à partir de rien) le pouvoir d'imposer aux débiteurs (les nations endettées) un modèle économique de privatisation globale.


Dans cette perspective et pour revenir aux soignants, en planifiant la dotation budgétaire de l'hôpital public à un niveau bien inférieur à son coût de fonctionnement, les laquais de la finance provoquent sciemment une détérioration et donc une disparition progressive de la mission assignée à cet organisme public, transférant notre capital santé en gestion privée .

La responsabilité de cette perte de confiance étant bien évidement endossée par le personnel que les instances dirigeantes n'hésitaient pas , avant la pandémie, à vilipender ouvertement.

Le scandale de l'absence de stock de masques n'est en soi qu'une micro- composant de cette politique de sabordage.


Le lien spirituel qui nous rappelle d'où nous venons et qui nous sommes s'est progressivement  effacé au profit du credo scientifique qui nous pousse à croire que nous maîtrisons notre destinée. Aujourd'hui, alimentant notre fuite en avant, nous consentons, voire réclamons la disparition de nos libertés publiques et individuelles, parachevant ainsi notre mise sous tutelle.

Dans cette décérébration volontaire, ou même notre propension à la solidarité est institutionnalisé, la première des distanciations sociales apparaît déjà dans la restriction des droits fondamentaux pour la partie la plus défavorisée de la population. Confinés dans nos îlots de prospérité relative nous nous protégeons des pestilences émanant de cette misère, que nous engendrons.


En nous méfiant et en détournant de l'Autre pour nous protéger de nous-même, en donnant la primauté à nos relations virtuelles sacrifiant au culte de l'individualisme nous avons ,avec une facilité stupéfiante, intégré la « distanciation sociale made in Covid 19 »


Reste que l'individu qui se cache derrière un masque n'a plus de visage, plus d'identité, il devient juste ce masque.


(Photo de l'auteur)
  • Mis un masque pour la première fois hier, c'est tout simplement impossible à supporter. Pas physiquement, moralement. Drôle d'impression, et pourtant je suis assez sauvage, j'ai d'ailleurs bien apprécié ce calme dans les rues, j'aimais y déambuler tranquillement pour rejoindre les bois. Mais avec ce masque, je me sentais handicapée !

    · Il y a presque 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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