Crabe

euphemisme

D'un geste lent et précis, elle passa sa main au centre du miroir recouvert de buée. L'eau s'amoncela le long de la tranche de sa main et de fines gouttelettes s'en détachèrent,  entamant une course dénuée d'obstacle qui s'acheva brutalement sur la faïence blanche et froide du lavabo. Au milieu du miroir flouté, son visage apparu.

Impassible, concentré.

Elle leva d'abord le bras droit et posa le plat de sa main derrière sa tête, mécaniquement la gauche monta vers sa poitrine et du bout de l'index, elle suivit la fine ligne rose, irrégulière et boursouflée qui filait du mamelon jusqu'à ses côtes.

C'était là que s'était tapi le monstre. C'était par ici, par le  symbole même de sa féminité, qu'il avait tenté de la dévorer.

Sournoisement, il s'était développé, lové dans le secret de son intimité puis violemment et sans préambule, il l'avait mise à genoux. 

Cette cicatrice, c'était l'emblème de sa bataille mais aussi la mémoire gravée à même la  peau de la trahison de son corps. Elle l'effleurait délicatement avec un étrange mélange de fierté, de dégoût et de peur.  L'idée même de savoir qu'il pouvait revenir à la charge et tenter de lui porter la dernière estocade lui nouait la gorge. Elle ne pourrait supporter de le savoir à nouveau dans son intimité mais au-delà de cela, elle doutait surtout de ses capacités à encaisser un deuxième combat.

Ses doigts appuyèrent  sur la chair tentant de sentir par-delà  l'épiderme la moindre cellule défectueuse, la moindre intrusion de la bête. Le deuxième bras se souleva et ses doigts continuèrent leur inspection méticuleuse. Elle  vérifia la peau sur tout le galbe de son sein jusque sous son aisselle, elle surveilla l'absence de changement de couleur, les irrégularités de la peau. Concentrée et appliquée, elle fit rouler la peau entre ses doigts à la recherche du plus infime signe de grosseur avec une application maladive.

Dans certain  moment d'angoisse profonde, elle ne se sentait rassurée qu'après avoir poussé l'examen jusque dans les moindres recoins de son corps. Mais ce matin, elle savait qu'elle n'aurait pas le temps de jouer les prolongations.

Tout comme la nuit précédente, le train  du sommeil l'avait laissée sur le bord d'un quai désolé. Le lit était froid et l'immeuble vivait, craquant et couinant sous le poids de ses habitants invisibles. Malgré la superposition de vêtements, elle avait eu un mal fou à se détendre afin de laisser son corps et son esprit partir, libérés des tensions et des angoisses. Et bien trop tôt au petit matin, c'était sans douceur aucune, qu'elle avait été arrachée de son sommeil désordonné, par un réveil matin agressif et bruyant.

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