Critique sanguinaire
mandragore
15h45 bureau du rédacteur en chef du journal l’Art d’en vivre
— Oncle Mike, non! Tu sais que Magda et moi fêtons nos un an ce soir!
Je n’arrive pas à croire qu’il veuille m’obliger à me rendre à cette exposition. Il sait pourtant que je déteste la peinture. En plus elle est à deux heures de voiture. Ma nuit est fichue.
— Je te rappelle que si je t’ai pris comme stagiaire malgré ton manque de qualification, c’est pour faire plaisir à ton père, répondit-il calmement. Je n’aimerais pas devoir te renvoyer.
Je ne peux m’empêcher de soupirer. Il connaît trop bien son frère. Il sait qu’il me tuera si je suis viré à nouveau. Je l’ai bien cherché: après avoir échoué lamentablement à la fac, j’ai navigué d’un emploi à l’autre. A vingt-trois ans et juste un bac en poche, ce travail de stagiaire est le mieux que je puisse espérer. Mais comment prévenir Magda...
— Tu n’as qu’à l’emmener, me propose Mike, lisant dans mes pensées. Nous avons reçu deux invitations. Au retour, arrêtez-vous dans un hôtel. Je te l'offre.
Merci! Je retrouve un semblant de sourire. Toute ma soirée ne sera pas perdue. Je sors du bureau en composant le numéro. A chaque sonnerie, mon cœur s’accélère. J’espère secrètement qu’elle ne va pas pouvoir répondre.
— Allo Kév? dit-elle en décrochant. Je pensais justement à toi. Est-ce que tu as réservé à la table du roi? Il paraît que leur menu est succulent.
J’inspire à fond, je sers les poings et je me lance.
— Minounette... Que penserais-tu d'aller voir une exposition d’Alexandro…
— Cologny? me coupe-t-elle. Tu veux dire que tu as des invitations? Merveilleux! Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir. A quelle heure doit-on partir?
J’adresse un remerciement silencieux à Dieu.
— Je savais que tu apprécierais! lui dis-je. Devant chez toi à 17h. Et si tu es d’accord, nous finirons la nuit dans un motel de charme.
— Oui, oui, tout ce que tu voudras. Je n’arrive pas à croire que je vais pouvoir rencontrer le grand Alexandro. Il est si beau et si talentueux.
Mon «Je t’aime» reçoit pour seule réponse la tonalité du téléphone. Elle a raccroché. Je n’ai pas le temps de m’en soucier. Je fonce chez moi me préparer.
16h30 studio de Kévin Thomas
En sortant de la douche, je me plante devant le miroir. Je suis fier que les heures passées à la gym portent leur fruit. Je prends mon gel et je coiffe mes cheveux noirs pour former de petites pointes sur le sommet de mon crâne. Puis j’enfile une chemise rose pâle, un pantalon à pli et ma veste de costume. Classe et décontracté. Comme j'aime. Les lunettes de soleil accrochées à la poche et je suis parti.
Magda me force à l’attendre. Presque une heure. Quand elle apparaît enfin, elle est si éblouissante que j’en oublie ma colère. C'est à chaque fois pareil. Sa longue robe de soirée noire met parfaitement ses atouts en valeur. Depuis quelques jours, ses cheveux sont devenus blond vénitien. J’adore.
En chemin, je l’écoute me raconter la vie d’Alexandro. Elle est intarissable. Je prends des notes pour mon article. Tout ça de gagné en recherche! Le maestro, comme elle l’appelle, est un artiste très éclectique, s’étant essayé à la peinture, la sculpture, la danse... Sa marque de fabrique est de toujours surprendre son public.
19h55 salle d’exposition «Retour aux sources»
Un coup d’œil au GPS et nous arrivons. Le bâtiment, une vieille ferme rénovée en salle d'exposition, n’est accessible que par un long chemin de terre.
— Pourquoi venir dans un coin aussi isolé? demandé-je. Nous n’avons pas croisé âme qui vive depuis des kilomètres. Il n'y a même pas de réseau.
— Cela colle sans doute au thème de sa soirée. Je suis si impatiente d’y être.
Un homme d’une cinquantaine d’années vient nous accueillir. A l’intérieur, il nous sert une coupe de champagne, puis nous nous fondons parmi les invités. Nous sommes une quarantaine de tous âges et origines.
Sans être habitué aux grands millésimes, je lui trouve un drôle d’arrière-goût. Apparemment, je suis le seul. Tout comme je suis le seul à remarquer qu’il n’y a aucune œuvre ici. Ils sont tous bien trop intéressés par le magnifique buffet. Je me laisse tenter par le homard et le caviar. A défaut, j'écrirai une critique gastronomique.
— Magdalena ? Qu’est-ce que tu fais là ? Je te croyais encore à Miami.
Le jeune homme qui vient de s’adresser à ma copine mesure presque deux mètres, avec des épaules larges et un sourire ravageur. Il est accompagné d’une femme assez âgée pour être sa mère mais qui reste très belle.
— Piotr? Comme tu as grandi!
— Je ne suis plus le nabot à qui tu as tout appris de l'amour.
Je ne supporte pas sa voix grave et chaude. Je m’intercale entre les deux en le saluant. Il me rend mon sourire mais je sens qu’il me déteste autant que je le hais.
Coucou !
· Il y a presque 12 ans ·J'aurais bien aimé participer à ce concours aussi, mais j'ai pas trouvé d'idée...
Juste, si tu comptes continuer/revoir cette histoire, je pourrai te renseigner sur la législation au niveau des stagiaires (j'y ai été plusieurs fois, et je le suis encore), parce qu'il y a des trucs qui me sautent au yeux.
a++ ;)
isnaa