Dans deux cents mètres faites demi-tour

Laure Valentin

Épisode 1 suivi du résumé

ÉPISODE 1

La file des voitures s’étirait à perte de vue. Assise sur le capot du véhicule familial, Esther se dévissait le cou en tentant d’apercevoir au loin l’origine de l’embouteillage. La main portée en visière devant son front, elle plissait les paupières pour percer la luminosité aveuglante de cette fin d’après-midi estivale, que décuplaient les réverbérations du soleil sur les carlingues brûlantes.

Quelques klaxons se manifestèrent avec impatience et la jeune femme, de guerre lasse, dut se résoudre à regagner l’habitacle.

« Alors ? » lui demanda Nathan d’un ton peu enthousiaste.

« Rien de neuf... » répondit Esther en jetant un coup d’œil instinctif par-dessus son épaule, en direction du siège arrière d’où s’élevait un léger ronflement à peine audible. Après s’être assurée que le petit Aymeric dormait toujours à poings fermés, la jeune femme appuya ses coudes sur le tableau de bord et s’enfouit la tête dans les mains.

 « Je n’en peux plus, vociférait-elle. On est partis aux aurores, on ne s’est même pas arrêtés pour déjeuner, et il a quand même fallu qu’on tombe en plein dans les bouchons, à cinquante bornes de l’arrivée. Quelle poisse ! »

Sur la banquette arrière, la tête sur les genoux du jeune garçon, le chien dormait lui aussi, le ventre se soulevant et s’abaissant au rythme de sa respiration régulière.

« Tu ne devrais pas rappeler ta mère ? »

La lente procession s’était à nouveau ébranlée mais les voitures se succédaient au compte-gouttes, toujours pare-chocs contre pare-chocs, et le pont que l’on apercevait au loin depuis plus d’une demi-heure semblait ne pas vouloir se rapprocher.

« Je la préviendrai quand on sera arrivés au péage », répondit Nathan.

Soudain, alors qu’ils parvenaient enfin à doubler un camion, profitant d’une reprise du trafic aussi inattendue que temporaire, Esther poussa un cri :

« Là ! À droite... Rabats-toi, rabats-toi ! »

Un peu affolé par l’injonction soudaine de sa femme, Nathan braqua et se rabattit tant bien que mal. Dans son camion, et bien que lancé à faible allure, le chauffeur poussa un « tichošlápek ! » incendiaire avant d’enfoncer son poing sur l’avertisseur. Le clairon retentissant qui en résulta eut pour effet de faire effectuer au véhicule de Nathan une brusque embardée. Puis il se ressaisit et retrouva suffisamment de contenance pour gratifier le chauffeur tchèque d’un geste penaud de la main dans son rétroviseur.

« La sortie, continua Esther sans relever l’incident. Prends-la, on finira les derniers kilomètres par la départementale... »

Nathan, qui était né et avait grandi dans la ville où habitaient encore aujourd’hui ses parents, chez qui ils se rendaient plusieurs fois par an pour les vacances, n’avait pas souvenir qu’une telle sortie existât. Sans doute s’agissait-il d’un récent embranchement ou encore d’une déviation temporaire, proposée provisoirement durant la période touristique pour désengorger l’autoroute. Tandis que défilaient sur le sol les bandelettes blanches qui annonçaient la voie de décélération, Nathan marqua une dernière hésitation avant de se décider et de donner le coup de volant décisif sur sa droite.

« Nath ! »

Il avait effectué toute la manœuvre en négligeant l’usage de son clignotant, oubli que le poids-lourd ne tarda pas à lui signifier par un long barrissement de colère, bientôt relayé par les yeux furibonds qu’Esther roula vers lui.

« Je ne voyais aucune voiture prendre cette sortie, ça m’a fait douter » s’excusa-t-il, bien conscient de l’imprudence qu’avait suscitée son hésitation.

La bretelle dans laquelle ils s’étaient finalement bel et bien engagés avait quitté l’autoroute bondée, et ils se retrouvèrent bientôt complètement seuls sur la voie à sens unique. Ils venaient de laisser derrière eux le commun des mortels et leur embouteillage insupportable. Le silence soudain qui les entoura dès leur sortie du bouchon, suivi du calme immédiat qu’ils ressentirent alors, leur fit prendre conscience du volume sonore engendré sans qu’on s’en aperçût véritablement par les bruits de moteurs et de klaxons permanents.     

Ils progressaient maintenant à vitesse constante sur une petite autoroute à deux voies qui traçait une longue balafre rectiligne dans une forêt de hêtres géants. Aucun véhicule devant eux ni dans le rétroviseur.

« Au prochain embranchement, faites demi-tour... »

Esther tendit la main pour éteindre le GPS.

« Tu es sûre qu’on sait où on va ?

- Pas plus que toi, mais il fallait sortir de cet enfer quoi qu’il en soit. On verra bien, il ne devrait pas tarder à y avoir un panneau. »

Nathan écouta d’une oreille distraite les propos de sa femme dériver sur l’instinct grégaire de leurs semblables qui préféraient suivre le mouvement plutôt que de se risquer hors des sentiers battus. De part et d’autre de la route, les bois étaient embrasés par la lumière du couchant, et les ombres projetées par les arbres s’étiraient sur l’asphalte. La solitude et le silence qui les entouraient soudain tranchaient si vivement avec la cacophonie de l’embouteillage que Nathan ne put s’empêcher de se sentir un peu mal à l’aise, craignant que la bretelle qu’ils avaient empruntée, au lieu de les mener à bon port, ne les égarât dans la campagne. Le goudron sous les roues de la voiture semblait encore frais, l’adhérence avec les pneus produisant un bruit de frottement continu, et les lignes blanches qui jalonnaient la route devant eux étaient lumineuses et immaculées. À l’arrière un petit grognement leur signala qu’Aymeric venait de se réveiller. Presque aussitôt, le fox-terrier s’étira et descendit de la banquette, passant sa tête entre les sièges, comme pour indiquer qu’il allait désormais falloir composer avec les passagers de derrière.

« J’ai faim... » marmonna l’enfant en regardant autour de lui, les yeux encore embués de sommeil. La question rituelle fut aussitôt suivie d’un non moins machinal « J’ai envie de faire pipi. »

Nathan allait expliquer qu’ils étaient presque arrivés, répondant ainsi du même coup aux deux instances de son fils, lorsqu’Esther annonça qu’il serait bon de s’arrêter sur la prochaine aire pour respirer le bon air et grignoter un morceau. Comme si leur demande avait été entendue, un panneau indicateur se matérialisa à quelques mètres devant eux, sur le bord de la route.

« Relais routier », lut Nathan. « Ce sera le dernier arrêt, ensuite on file ! Papi et Mamie doivent nous attendre avec impatience... »

Le véhicule s’était engagé dans une longue allée au goudron craquelé. Si la nouvelle route empruntée jusqu’à présent avait paru de facture récente, ce chemin se révélait en revanche ancien et cabossé par de nombreux nids de poule. Ils accédèrent ainsi à un petit parking où les places étaient vaguement indiquées par des traits de peinture à moitié effacés sur un sol de terre meuble. Quelques camions épars étaient garés. Tous trois descendirent de voiture, le chien sur les talons d’Aymeric. Devant eux se dressait un bâtiment à étages. L’immeuble était construit entre quatre murs de hêtres serrés, et sa présence en ce lieu formait une entaille inopportune dans un océan de nature.

Esther frissonna. La bâtisse, à la façade lézardée découvrant par endroits les parpaings d’origine, lui faisait penser aux locaux de la colonie de vacances déprimante où l’envoyaient chaque été ses parents. Quelques fenêtres sinistres ponctuaient la façade. Ça et là, des volets à moitié arrachés de leurs gonds avaient laissé des taches pâles sur le mur assombri par les intempéries.

« On va se contenter des toilettes finalement, il reste des sandwichs dans la voiture », annonça Esther en prenant son fils par la main. Elle se hâta vers la terrasse sur laquelle donnait une double porte en bois, qu’elle identifia comme étant l’entrée principale grâce aux tubes de néon éteints qui la surmontaient et où l’on pouvait lire Hôtel Restaurant. Nathan la suivit.

Le hall d’entrée était plongé dans la pénombre. Quelques présentoirs quasiment vides offraient sans conviction aux rares visiteurs des dépliants et cartes postales délavées. Sur la droite en entrant s’ouvrait une vaste salle à manger faiblement éclairée. Une odeur de renfermé flottait dans l’air. Les lieux semblaient déserts, mais Nathan finit pourtant par remarquer la présence d’un homme accoudé à une table non loin du comptoir. Il semblait plongé dans la contemplation de son verre et ne leva pas la tête, sur laquelle un bandana était enfoncé jusqu’aux sourcils. Avisant une porte où un petit panneau représentant une silhouette de femme réduite à ses traits les plus caractéristiques était cloué, Esther fit signe à son mari qu’elle s’y rendait avec le jeune garçon, sans toutefois parvenir à réprimer une grimace de dégoût en songeant à l’état de la pièce qu’elle s’apprêtait à découvrir.

Peu de temps après qu’ils eurent disparu, un toussotement se fit entendre derrière le comptoir et Nathan prit conscience seulement à cet instant que quelqu’un se trouvait là, probablement depuis le moment où ils étaient entrés. Il s’agissait de l’aubergiste de l’établissement, un vieil homme voûté et au menton en galoche.

« Bonjour Monsieur, commença Nathan en faisant quelques pas vers lui. Pouvons-nous utiliser vos toilettes ? »

Se rendant compte que sa demande venait un peu tard, et devant la mine dubitative du tenancier, Nathan commanda un café. Puis il s’assit sur l’un des tabourets rehaussés de similicuir déchiré d’où s’échappaient des moutons à la couleur douteuse. Dans son coin, l’homme au bandeau n’avait toujours pas levé les yeux.

Esther et Aymeric ne tardèrent pas à ressortir. Nathan indiqua à sa femme qu’il venait de passer commande, ce qui ne manqua pas de provoquer quelques bougonnements de la part d’Esther, qui se serait volontiers passé de prolonger davantage son séjour dans ce bouge miteux.

« On va grignoter, on t’attendra dehors ! »

En entendant la lourde porte d’entrée se refermer, Nathan regretta d’avoir commandé ce café qui tardait d’ailleurs tant à arriver. La présence de l’homme silencieux le gênait, et il se mit à farfouiller dans ses poches pour en extirper quelques pièces de monnaie qu’il disposa sur le comptoir. Machinalement, il les fit rouler du bout de son doigt, tout en fixant le hublot crasseux de la porte battante derrière laquelle avait disparu l’aubergiste. L’odeur malsaine qui régnait dans la pièce commençait à lui donner la nausée. Ses yeux venaient juste  de se poser sur la machine à expresso flambant neuve qui trônait, intacte et brillante, derrière le bar, lorsque le tenancier surgit derrière lui et posa d’un geste sec la tasse fumante sur le zinc. Une goutte de café brûlant vint atterrir sur la main de Nathan, qui balbutia un vague remerciement. Il se sentait mal à l’aise et dut se forcer à siroter lentement sa boisson, comme le ferait un conducteur fatigué avant de reprendre la route. Puis il leva les yeux et chercha l’aubergiste du regard. L’homme n’était plus là. Après avoir compté les pièces posées sur le comptoir, Nathan se leva, faisant volontairement racler son tabouret sur le sol pour annoncer son départ et, comme le vieillard n’apparaissait toujours pas, il quitta la salle, soulagé.

À peine avait-il franchi le seuil du restaurant que Nathan se figea. Il sut que leur départ venait d’être encore repoussé. Esther et Aymeric ne se trouvaient pas dans la voiture, pas plus que sur le parking. Pris d’une angoisse soudaine, Nathan se précipita au bout de la terrasse pour jeter un œil à l’angle du bâtiment. Toujours personne. Il s’élança le long du mur d’enceinte, priant pour trouver sa femme et son fils derrière l’auberge. La nuit était à présent tombée et la lune s’était levée, nimbant les alentours d’une lueur pâle. À seulement quelques mètres en contrebas, la lisière de la forêt dessinait une tache noire qui se détachait sur la clarté du ciel, telle une paroi infranchissable. Le cœur de Nathan cognait dans sa poitrine comme il longeait l’édifice au pas de course. Enfin il atteignit l’angle du mur et un soulagement l’envahit lorsqu’il aperçut les silhouettes d’Esther et d’Aymeric, derrière l’auberge, enfoncés dans les hautes herbes qui les séparaient du bois. Le petit enfant pleurait, ce qui raviva aussitôt les craintes de Nathan.

« Fox ne répond pas », lui lança Esther de loin en le voyant arriver. « Impossible de savoir où il est allé. On a beau l’appeler, rien... »

Sur la façade arrière du bâtiment, un mur de briques dénudé, seule la petite lumière verte vacillante d’une porte de secours éclairait les environs. Nathan se joignit aux recherches qui se poursuivirent un peu plus loin dans les herbes, jusqu’à atteindre l’orée du bois. Ils battaient les buissons, lançant quelques appels de temps à autre et tendant l’oreille aux bruissements de la nuit, sans succès. Après un quart d’heure de tâtonnements vains, ils durent rebrousser chemin. Sous la lueur faiblarde de l’issue de secours, Esther paraissait fourbue et inquiète, et Nathan put voir que des traces de larmes encore humides salissaient les joues de son fils. Un regard échangé avec sa femme vint lui confirmer qu’ils craignaient la même éventualité. Si le chien n’avait pas répondu à tous leurs appels, lui d’ordinaire si craintif et peu aventureux, ils devraient probablement se faire à l’idée de poursuivre leur route sans lui. Mais un coup d’œil au visage barbouillé d’Aymeric lui fendit le cœur et il ne put se résoudre à lui annoncer qu’ils arrêtaient là leurs recherches. Ils rejoignirent le parking à pas lents. Atteignant la lumière des lampadaires, Nathan chercha les yeux d’Esther. Leurs regards se croisèrent et, par un accord silencieux sur la meilleure suite qu’il convenait de donner aux événements, ils hochèrent la tête et se firent un sourire mutuel d’encouragement. Ils s’étaient compris. Restait à annoncer leur décision commune au pauvre Aymeric qui hoquetait dans les bras de sa mère.

« Je vais laisser mes coordonnées à l’aubergiste, on ne sait jamais », glissa Nathan à l’oreille de sa femme avant de lui confier les clés de la voiture, « installez-vous, je reviens.

― Tu vas où ? lui demanda une petite voix, sur le point de se briser.

― Je reviens mon trésor, je vais...

― Je veux venir avec toi, s’il te plait ! » supplia Aymeric en lui tendant les mains.

Nathan céda en soupirant à la demande du bambin et le souleva dans ses bras, avant de se diriger vers l’entrée de l’auberge.

Au moment où il mettait le pied sur la terrasse, le son brusque d’un klaxon déchira le silence et le fit sursauter. Il se retourna. Esther s’était assise au volant et lui faisait un petit signe de la main. Ce signe, ils l’avaient tous deux déjà utilisé des milliers de fois, sans jamais se tromper sur sa signification, c’était le petit geste simulant une gentille tape que l’on ferait sur la tête d’un chien, deux petits mouvements saccadés de haut en bas, qui voulaient dire : « Je t’attends ici. » Puis elle lui sourit, d’un sourire plein d’affection, empreint d’une douceur qu’il lui avait rarement vue. Nathan lui renvoya son sourire et, sans plus de cérémonies, il s’engouffra par la double porte du hall d’entrée.

Ce fut alors qu’il entendit le ronronnement familier, d’abord lointain puis plus proche. Sur les lattes fissurées du plancher à ses pieds, son ombre apparut, immense sous la lumière qui la projetait de tout son long dans la pièce, avant de vaciller un instant et de disparaitre. Nathan fit volte face. Par la vitre sale de la porte d’entrée, il aperçut une voiture, les phares braqués dans sa direction. Puis il comprit qu’il s’agissait de sa propre voiture, qui, dans une dernière manœuvre, s’engageait dans l’allée menant vers la sortie. Lorsqu’elle passa devant la terrasse, Esther tourna la tête vers eux et leur adressa un petit signe d’au-revoir. Abasourdi, Nathan resta un instant sans bouger, puis il se ressaisit et se précipita à l’extérieur. Mais il était trop tard. Sous la lumière jaune des lampadaires, la voiture filait déjà vers l’autoroute. Après un dernier coup de klaxon à leur intention, elle prit le tournant et fut masquée à leur vue. Dans les bras de Nathan, Aymeric agitait encore sa petite main en direction du virage où venait de disparaître sa maman.

N’osant pas croire à la scène qui venait pourtant de se dérouler sous ses yeux, le jeune père resta un long moment immobile, s’attendant à voir revenir la voiture et sa passagère d’un instant à l’autre. Rien de tel ne se produisit. Un vent frais se leva soudain et il perçut la chair de poule d’Aymeric contre la peau nue de ses bras. Lui-même sentit un frisson parcourir son corps, mais il ne sut dire s’il s’agissait du contact de l’air froid ou de la peur incontrôlable qui l’envahissait. Il y avait quelque chose d’aberrant, d’insensé dans les événements qui venaient de se dérouler. La disparition du chien d’abord, la fuite de sa femme ensuite, le laissant désemparé, abruti par la fatigue de la longue route et l’incompréhension de la situation. Seul avec son fils sur le parking sinistre et anonyme d’un relais-routier délabré, au milieu de nulle part, sur une autoroute non-cartographiée.

« Allez-vous prendre une chambre, Monsieur ? Je vais bientôt fermer... » La voix éraillée dans son dos le sortit brusquement de sa torpeur. Il se rendit compte qu’il était resté un long moment perdu dans ses pensées, dans l’humidité nocturne, et il hocha la tête en réponse à la question du vieil aubergiste qui se tenait dans l’embrasure de la porte. Non que la perspective de passer la nuit dans ce taudis glauque le réjouît particulièrement, mais que pouvait-il faire d’autre ? Les sanglots d’Aymeric l’avaient épuisé, et lui-même ne se sentait pas très en forme. L’absurdité de la situation l’avait laissé désemparé et il avait besoin de rassembler ses esprits pour pouvoir réfléchir plus posément au quiproquo évident entre sa femme et lui qui venait de le placer dans cette position inconfortable.

Repoussant le poids du jeune garçon sur son autre bras, il suivit le vieil aubergiste à l’intérieur. Après avoir pris leurs noms et l’avoir invité à signer le gros registre qu’il tenait à jour, le vieil homme s’offrit de le mener à sa chambre et l’enjoignit, d’un geste de la main, à lui emboîter le pas en direction des escaliers. Ils traversèrent le hall d’entrée et pénétrèrent dans la salle à manger. Au fond de la pièce mal éclairée on pouvait distinguer une volée de marches qui s’élevait vers l’étage supérieur.

En arrivant près du bar, Nathan s’aperçut que sa tasse de café n’avait toujours pas été débarrassée, et que les quelques pièces qu’il avait laissées sur le comptoir s’y trouvaient toujours. Dans le coin le plus obscur de la salle, l’homme au bandana était toujours là. Dans la même attitude prostrée, il ne semblait pas avoir changé de position. Le bandeau enfoncé sur le crâne, la tête baissée sur une tasse probablement refroidie depuis longtemps, il paraissait endormi. Au moment où ils passaient près de lui pour se rendre vers les escaliers du fond, Nathan se rendit compte que l’homme avait les bras le long du corps, qui retombaient de chaque côté de son siège. Un mauvais pressentiment lui noua la gorge. Puis ses yeux se posèrent sur la main de l’inconnu, qui pendait sous la table, dépassant à peine de sa manche. Nathan crut que son cœur s’arrêtait de battre. Il marqua un temps d’arrêt, incapable de détacher les yeux de ce qui fut jadis une main mais qui n’était plus à présent qu’un morceau de chair putrescente, se balançant au bout d’un bras décharné. Il comprit soudain d’où provenait cette odeur tenace qui flottait dans l’air vicié de la salle à manger. Luttant pour garder son calme et ne pas transmettre à son fils la panique qui montait en lui comme une marée tumultueuse, Nathan détourna le regard. Cet homme était mort, depuis longtemps, et la certitude s’ancra dans ses entrailles qu’Aymeric et lui allaient subir le même sort s’ils ne fuyaient pas sur-le-champ loin de ce repaire lugubre.

RÉSUMÉ DES ÉPISODES

1-      Après une pause dans un relais-routier pour récupérer de l’accident qu’il a failli avoir, Nathan décide de reprendre la route. Mais le chien de la famille vient de disparaitre. Nathan décide de passer la nuit à l’hôtel avec son fils tandis que sa femme s’en va sur un quiproquo. Un cadavre, bandana sur la tête, git dans la salle principale.

2-      Dans la nuit, Nathan se sent observé par la fenêtre, il descend inspecter les environs. Lorsqu’il revient, l’aubergiste lui tend un combiné, on le demande au téléphone. Les cris étouffés qu’il entend lui signalent que sa femme est en danger. Quelque part, Esther ouvre les yeux.

3-      Au matin, Nathan et Aymeric montent dans le premier bus. Mais très vite, l’ambiance s’y révèle malsaine et pesante, ils sont comme prisonniers, les passagers sont inquiétants, les vitres sont opaques. Nathan finit par profiter d’un arrêt de l’autobus pour s’échapper avec son fils.

4-      Nathan et Aymeric marchent sur la route. Personne. Soudain, un camion arrive en sens inverse. Le chauffeur ignore leurs signes, mais Nathan a eu le temps de reconnaitre le véhicule avec lequel il a failli entrer en collision. Soudain la terre tremble et se crevasse. Ils ne peuvent plus faire demi-tour. De son côté, Esther demande à un homme de l’aider à les trouver.

5-      Aymeric, qui croit reconnaitre son chien, est fait à nouveau prisonnier dans l’autocar sinistre. Nathan parvient à l’en tirer mais ils sont rattrapés. Un homme les sauve in extremis et les amène à un campement reculé. Cet homme, Axel, est celui envoyé par Esther.

6-      Le campement est une organisation rebelle qui résiste aux véhicules maléfiques sillonnant les routes. Ils s’y installent.

7-      Mais très vite Nathan ne supporte pas le statu quo et préfère se confronter aux dangers qu’ils représentent plutôt que de se battre contre des ennemis dont il ne connait rien. Ils montent dans un autocar. Esther s’effondre, Axel a échoué.

8-      Le bus arrive à une douane où les passagers sont parqués. Nathan pourrait passer mais les papiers d’Aymeric ne sont pas en règle et ils sont mis dans une zone de quarantaine. De là, Nathan voit les admis rayonner en s’en allant tandis que les recalés hurlent de désespoir. Esther pense soudain à utiliser le chien.

9-      Aymeric aperçoit son chien, dans un camion qui arrive en sens inverse, et parvient à s’échapper. Il monte à bord. Nathan est retenu par les douaniers, et reconnait en leur chef le cadavre au bandana du relais. Mais Axel et ses rebelles attaquent soudain le barrage et Nathan parvient à monter dans le camion qui repart.

10-   Nathan et son fils se réveillent de leur coma à l’hôpital. Esther leur présente le médecin qui les a bel et bien sauvés, il se nomme Axel, et tous deux ont pensé à utiliser le chien pour donner inconsciemment à Aymeric l’envie de se battre. Le père a suivi le fils. Puis Nathan s’aperçoit dans la glace, il a un bandana sur la tête, que lui a donné sa femme pendant son coma. Il comprend que son propre ennemi dans son combat contre la mort n’était autre que lui.

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