Dans le jardin

eric

        Pendant toute une année, j'avais été le seul enfant à la maison, mes autres frère et sœurs plus âgés ne rentrant de leurs pensions que pour les vacances. Comme mes parents ne s'entendaient pas et que mon père était très sévère, je passais beaucoup de temps dans le jardin pour échapper à l'ambiance austère de la maison. Il y avait là dix cerisiers, des poiriers, le grand tilleul et des pommiers alignés le long du mur de séparation avec la cour de la ferme voisine. Lorsqu'avant l'été, le paysan venait faucher avec son tracteur, il devait faire très attention de ne pas les blesser en les contournant. Je grimpais souvent dedans, choisissant tantôt le vieux poirier dont le tronc en forme de « z » facilitait l'ascension, tantôt le grand cerisier dont l'escalade athlétique était récompensée par un poste d'observation sans égal. Tous recevaient ma visite. J'observais les oiseaux, je cherchais leurs nids, j'écoutais chanter le coq de la ferme. Le soir, j'attendais près du portail où les vaches rentrant du pré passaient en meuglant. Je rêvais, emporté dans des aventures extraordinaires inspirées par mes lectures : Le Capitaine Fracasse, Michel Strogoff, Crin blanc, Les trois mousquetaires...

        Ce jour là peu après le repas de midi, ma mère devait partir pour rendre visite à des amies. Elle ne voulait pas m'emmener avec elle. J'allais m'embêter au milieu des adultes. Je savais que c'était vrai et pourtant, j'étais triste de ne pas y aller et de rester seul, triste aussi parce que si j'y étais allé, je me serais vraiment ennuyé. Bien pire, j'aurai pris le risque de subir ces petites humiliations comme de devoir dire bonjour en embrassant une vieille joue poudrée toute fripée, quand il ne fallait pas baiser la main d'une tante chevrotante qui me caressait ensuite la tête comme elle l'aurait fait avec un gentil petit chien.

        Caché derrière un cerisier, j'ai attendu de la voir descendre le chemin dans sa voiture. Je redoutais qu'elle me vit. Elle se serait arrêtée et m'aurait infligé une série de recommandations pour se justifier de me laisser seul. Je ne voulais pas de ses mensonges, de ses fausses explications. Lorsqu'elle est passée devant moi, j'ai vu son visage perdu dans ses pensées.

        J'ai attendu sans bouger que le bruit de la voiture s'estompe. Lorsque le silence revint, j'ai senti la solitude m'envahir, que seule l'immersion dans les profondeurs de mes rêves parvint à rendre plus légère.

        J'ai attendu son retour tout l'après-midi au milieu des arbres du jardin. Sous mes mains je sentais la texture lisse des jeunes cerisiers, celle plus rugueuse des vieux poiriers. J'observais les hirondelles et je me voyais voler avec elles, un cheval dans le pré voisin et je m'imaginais galoper sur sa croupe. Je me suis laissé emporter dans des aventures tumultueuses, guerroyant dans des contrées sauvages, explorant les profondeurs des océans. La pénombre avait déjà enveloppé les grands toits noirs et les arbres s'étaient obscurcis lorsque la voiture a remonté le chemin. Je ne me suis pas montré. J'ai entendu claquer la porte de l'auto puis elle est entrée dans la maison.

        En pénétrant directement dans la cuisine par la porte du jardin, je n'ai pas vu les choses habituelles, à gauche la grande table entourée de chaises, à droite le fourneau et la chaudière à charbon. Non, je n'ai rien vu de tout cela. Je n'ai vu qu'elle. J'ai couru et j'ai sauté dans ses bras, me serrant contre elle, les jambes autour de sa taille.

« Maman ! »

« Mon chéri !... Mais tu es trop lourd maintenant ».

  • J'ai bien aimé la fin j'imagine très bien la scène

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Num risation0001

    Yyyyyyyy Xxxxxxxx

  • Merci pour ton retour, Marina. Les souvenirs d'enfance sont une source inépuisable pour écrire, mais le but étant pour moi de produire un bel objet littéraire, je ne m'attache pas au factuel. L'introduction d'une part de fiction permet souvent de mieux transcrire la réalité des émotions et des sensations vécues.

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    eric

  • j'aime beaucoup ces vrais ou faux souvenirs d'enfance ; ils sont émouvants car ils sonnent juste, imaginés ou pas
    j'en profite pour faire une nouvelle tentative de commentaire
    m

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    marina-la-gissiere

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