Dans les champs du drame poussent des œuvres d'art

Louisa Slama

La violence distillée depuis la naissance sur la peau et l'âme de l'enfant ne peut produire qu'un effet pervers : l'amour de celle-ci. 
Comme il était bien plus facile pour l'homme d'affirmer que la terre était au centre de l'univers que d'accepter le fait que cette planète était bien banale au milieu de l'immensité, il est bien plus facile de rester dans son milieu émotionnel. 
La douleur et la violence mêlées intelligemment, indissociables, ont une saveur et une couleur irrésistible. Les artistes se servent d'elles pour créer des palettes vibrantes : le spleen, la miséricorde, le romantisme, la rage, l'élan suicidaire, le sacrifice...
Mi-émotions, mi-sentiments, se ressentant dans le corps comme dans l'esprit ces deux puissances aiment se nourrir de nous. 
Mais combien sommes-nous à se nourrir d'elles? 
Combien d'entre nous vivotent grâce aux bribes dont elles nous laissent nous subtanter? 
Qui peut nier ne s'être jamais délecter de les sentir tapis au fond de soi, prêtes à subir tout ce qu'il se peut, à affronter Dieu et l'Univers? 
Le drame que crée la douleur et la violence devient pour nombre de notre espèce le seul lieu dans lequel errer, la seule terre qui acceptera de porter nos carcasses. Il est bien plus facile de s'enfermer dans nos drames personnels, de continuer à les alimenter car, au moins, nous connaissons le goût rance de la douleur. Nous avons appris à accueillir tendrement la violence. Elle permet de rétablir une distance entre nos êtres et le monde, tel un bourreau à la couronne de fleurs. Ce drame là, il est un terrain fertile pour nos larmes. C'est dans ce terreau qu'il est possible d'hurler sans honte, c'est sa force nutritive qui ravive nos frêles consciences. 
Dans les champs du drame, poussent des œuvres d'arts. 
Pendant bien trop de temps, j'ai baladé en ces lieux les chiens imaginaires de ma tête. Dans les grises collines aboyait mes terreurs, l'écume coulant des babines, une vapeur froide s'échappant. 
Pendant bien trop de temps, j'ai saupoudré de pesticides mes horizons. 
Lorsque la terre grasse ne finit plus par teinter mes doigts, lorsqu'à chacun de mes pas se soulevait des nuages de poussières, lorsque mes larmes ne faisait plus pousser mes ouvres d'art, j'invoqua la pluie. 
Je chercha l'homme-tonnerre partout sur les continents, dans les océans, les montages et les volcans. 
Tous étaient arides et mornes. Les œuvres d'art qui poussaient en eux étaient dénuées de sens. 

Il fallu revenir sur les terres de mon drame. 

Mais le vide. 

Et ce vide. 

Une fois le drame stérile, une fois le vide installé, que reste-t-il? 

Le fou qui saute de la falaise ne possède plus rien que la chute en elle-même. Comme le blanc ne peut exister sans noir, tout ne peut exister sans rien. 
Une fois les terres du drame balayées, en ouvrant la porte du précipice, mon âme flotta. 
Je pris conscience que si le monde physique était limité, mon esprit lui, ne faillira pas en se pliant aux normes banales de la gravité, de l'espace et du temps. L'infini immensité de ma tête ne me ferait jamais faux bond. Le drame et la peur avaient, pendant des années, constituées mes seuls vêtements, mais j'étais maintenant nue et je n'avais jamais eu aussi chaud. 


  • Complexe et effrayant, tellement bien écrit.
    Moi j'ai eu la chance d'échapper aux pulsions de violence, à l'autodestruction ou la haine.
    J'adore, entre autres, "j'ai saupoudré de pesticides mes horizons".

    · Il y a plus d'un an ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Aha j'aime particulièrement cette phrase aussi car le mot horizon a un double sens ici!

      · Il y a plus d'un an ·
      Default user

      Louisa Slama

Signaler ce texte