Dans l'infini d'un battement d'aile
Véronique Pollet
L'ascenseur se referma sur lui silencieusement. Il se retrouva seul, face à lui-même, cet étranger qui l'observait dans le miroir. Regard sans concession, plis amers autour de la bouche, barre soucieuse sur le front, cheveux touffus et épais d'une blancheur dérangeante.
Il hésita un moment, mais le regard moqueur de ce juge si familier finit de le convaincre. Il appuya sur le dernier bouton, celui de l'étage ultime, ce fameux 160ème niveau. Il avait choisi l'endroit avec soin, il voulait pour une fois être à la hauteur de son orgueil démesuré. Ici d'ailleurs, tout était démesuré. Les gratte-ciel, les centres commerciaux, les lagunes créées et volées au désert. L'argent s'étalait ici avec autant d'impudeur que la misère dans nos villes chargées d'histoire et de décadence. Il en avait d'ailleurs dépensé à outrance : Rolex deepsea, costume Armani au parfum assorti, chemise de soie italienne, chaussures Edward Green sur mesure. Son reflet renvoyait l'image d'un homme encore beau, à la ligne ferme, aux muscles saillants. Combien de temps prit la montée, aucun souvenir. Juste une impression d'apesanteur, de légèreté. Dans un silence religieux les portes de l'ascenseur s'ouvrirent.
Une terrasse de rêve, fauteuils blancs, bars blancs, femmes sublimes et élégantes toutes de blanc vêtues, décolletés vertigineux mettant en valeur tant leur poitrine trop symétrique que leur chute de reins trop cambrée. Musique raffinée, garçons stylés. Champagne Cristal Roederer. Et l'ennui, partout cet ennui mondain et policé qui rendait tout plus terne. Les femmes le suivaient des yeux, envieuses, les hommes aussi reconnaissant en lui le prédateur. Le vent à cette altitude restait doux. Il plongea les yeux dans l'horizon infini et pourtant mal défini, entre ciel et dunes. Au bord du précipice, le sourire enfin enfantin, il était prêt. Quand cette main si fine, si douce lui caressa le poignet. Il baissa les yeux vers une toute petite fille, 8 ans maximum, habillée en princesse des mille et une nuits. Son regard était clair et pourtant aussi désenchanté que le sien.
Sans un mot ils se reconnurent. Sentiment le plus beau, le plus pur, au milieu de cette orgie bien éduquée. C'est en souriant, en se vouant un amour infini, qu'ensemble, ils s'envolèrent, sans un mot. Ils ne firent aucun bruit, personne ne s'aperçut même de leur départ. Sauf peut-être ce petit garçon, au milieu du désert en construction, surpris de voir dans le ciel si désespérément bleu deux flamants égarés, l'un petit et rose, l'autre plus fort au plumage étonnamment blanc. Le petit garçon cueillit la montre Rolex avec respect et l'emporta précieusement chez lui, sans jamais la montrer à personne. Curieuse histoire que celle de ces oiseaux migrateurs habillés de montres de luxe et de soie blanche.
Joli conte!
· Il y a environ 11 ans ·Frédéric Clément