Dans quelle position perdre la foi ?

Thierry Kagan

Dieu est las.

De tous ces gens qui croient et qui croassent.

Dieu est submergé par tous les droits d'auteur qu'il perçoit à tort.

Dieu n'en peut plus de ces traditions où l'on bouffe, où l'on se bouffe et où lui, ne becte que dalle.

 

Je ne comprends toujours pas mes hommes.

Pourtant, je m'efforce de les mieux saisir. Je me mets à leur place, je m'immisce et de voir ce que je ferais de moi si j'étais eux !

 

Rarement, je suis enfant.

J'aime pas qu'on me raconte des comtes de fée, avec des châteaux, des carrosses et des princesses.

"Même avec des gentilles fées ?"

Oui, même avec des grosses cochonnes de fées !

 

Aucune envie, non plus, de goûter de la puberté.

Passer mon temps à vider de l'acné ?

 

Alors, souvent, je suis mûr.

 

Aujourd'hui, je vais prendre... tiens, celui-ci !

 

Un homme de foi.

Enfin, c'est ce qu'il dit.

Il est laid… mais qu'il est laid !

Du gras, du suant.

Mais du tendre aussi, peut-être.

Il n'en veut pas à Dieu de sa laideur puisque Dieu, il l'admire, il le loue, il le vend.

Il m'aime !

 

Lorsque je m'y introduis, il est dans un fauteuil, à son bureau, il attend.

Qu'elle vienne ?

Il doit - je dois - nous devons ! donner à cette être, maintes fois aperçue de loin, les conseils pour entrer dans la vie de femme.

Mais je n'en pense pas moins...

 

Avant qu'elle n'entre, je passe en revue le mobilier et m'arrête sur le miroir.

Je ne suis pas heureux à voir mais ce n'est pas cela qui m'accroche.

Un truc me pend au cou.

C'est petit.

Un bonhomme pas trop joyeux - au nombril pas franchement gai non plus - y est intelligemment accroché.

Je croque dedans des fois que ça se mange.

Aucun goût !

 

Puis des cloches sonnent le demi, un tronc, le glas d'un métal hurlant et enfin, un doigt, la porte.

Elle s'appelle Estelle.

Elle veut devenir épouse.

Je lis en elle qu'avant de convoler, sa cuisse était légère, sa larme facile et son caprice, des Dieux.

Quelque chose me dit aussi qu'il doit bien lui en rester un arrière-goût.

Je lui parle de valeurs, sans écouter vraiment ce que mon homme lui dit car je me répète intérieurement - pour ne pas trébucher, à l'occasion - qu'elle a des yeux...

 

Elle dit qu'elle ne me reconnaît pas.

Que je ne serais pas prêtre, qu'elle verrait tout de suite où je veux en venir.

Et de m'apercevoir que là où il y a mes doigts, il y a aussi ses genoux.

 

Pas facile de se maîtriser.

Mais je suis Dieu, bordel ! Faut pas rater ça, non ?

 

Estelle a du mal à se concentrer.

Moi, également.

Ma disgrâce se meut, mon nez se gorge et j'ai chaud, terriblement, jusque dans les revers d'oreilles.

 

Estelle est contrite.

Voyons ça de plus près !

 

A ce moment précis, je me défais de l'homme et me jette en elle.

Et de me retrouver coincé dans une robe printanière, puisqu'à fleurs.

Mes cheveux sentent bons. Pas mal, les ongles. Fais mal au cul, cette chaise en bois. Mais pourquoi je suis venue ? De toute façon, il n'a pas d'avenir, mon fiancé. A quoi bon…

 

Il a l'air hagard, sans voix, dégoulinant de honte, le prêtre.

Bon, c'est vrai… à ses heures, il a un bel esprit, de la culture, de l'humour dans le sermon.

Ses intentions présentes sont peut-être sincères puisque son tripotage est réfléchi.

Et ce n'est pas l'envie qui me manque, mais vraiment… il est trop laid.

 

Commencent à me les courir, ces deux-là, je n'ai plus envie d'y goûter.

Faut dire aussi que ce n'est pas en femme que je suis le plus à l'aise.

Mieux vaut en finir de suite avec le duo.

 

Je quitte ce corps et suis maintenant potelé, tout rose et dorloté par une femme de bois assise sur quelque chose qui la rend béate.

Je mire de là la femme qui vient de claquer la porte et surtout l'homme, qui s'était promis de me vouer et dont l'habit le faisait dire aussi.

 

L'homme pleut.

Il pleut des larmes qui se mêlent aux gouttes qui tombent de son front.

"Dieu. Aaahhhh, Dieu ! Quel joli nom pour une supercherie. Pourquoi me tentes-tu et me laisses-tu ainsi tenté tapi sous ton toit ?", dit-il à voix autre.

 

Il est assis, les avant-bras posés sur ses énormes cuisses.

La tête baissée, le dos rond.

Il tient à la main son chapelet, pendant et balançant d'avant en arrière, sous le siège et de fait, sous son séant.

 

Sur son trône, l'homme vient de perdre ma foi.

  • Merci Choupette. Je ne cherche pas à publier, à moins de croiser la bonne personne. En tous les cas, votre commentaire fait chaud au cœur (je peux rester chez moi sans sortir, avec un paquet de chips, mon week-end est déjà réussi).

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    Thierry Kagan

  • Je me demanderais plutôt dans laquelle la trouver, cette foi...mais je ne me demande pas; je ne crois pas... A si, vous devriez publier, j'y crois! A moins que ce ne soit fait. Et là...je suis désolée de n'avoir pas su...j'aurais acheté!!! avec foi! A lire dans n'importe quelle position!

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    Choupette

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