Dans un avion de Brooklyn
Pauline Kraus
Sur un coup de tête vous décidez de partir.
Vous commencez à regarder les appartements, sans conviction. Puis vous décidez de choisir au hasard le lieu de votre prochain séjour. Un coup de dés, cette fois, abolit le hasard. C'est décidé : Brooklyn. Cet appartement qui n'en est pas un. Une coque d'avion reconvertie en studio. Vous avez choisi l'avion pour être toujours en partance, pour être sûr de ne vous fixer nulle part, pour pouvoir toujours décoller davantage. Le voyage commence donc où votre imagination s'arrête. Le sac est prêt, la réservation effectuée et l'avion réservé.
Pendant le trajet vous dormez, ou vous lisez, c'est selon vos goûts.
À l'arrivée, un taxi. Vous regardez émerveillé par la fenêtre. L'accent si étrange de ces américains commencent à vous bercer. Petit à petit, vous commencez à ressentir la ville.
On vous dépose enfin devant l'endroit que vous aviez vu sur internet. Un Américain vous ouvre. Charmant. Artiste. Il vous explique l'histoire de la maison. Pourquoi l'avion? Pourquoi le grand loft d'à côté? Pourquoi cet appartement qui aurait pu accueillir Woodstock? Puis il vous laisse poser vos affaires.
On vous a mis dans l'avion. Votre premier choix. Hésitant, vous n'osez pas avancer, à peine vous asseoir sur le canapé complètement rétro.
En promenant votre regard vous apercevez au pied du lit une malle. En bois, grande, fermée. Allez-vous l'ouvrir?
Non, non. Demandez à votre hôte.
Un peu plus loin dans la coque de cet avion, vous découvrez un globe terrestre qui trône fièrement sur une commode, assez ancienne. Des petits points rouges ont été dessinés sur différentes parties du globe. Le stylo, auteur des dégradations de la planète, trône au pied du globe. Instinctivement vous le prenez et ajouter votre marque.
Vous tournez le globe pour arriver sur la France. Et là, délicatement, vous apposez un point rouge sur Paris. Négligemment vous retournez le globe qui semble ne plus vouloir s'arrêter.
Il tourne, tourne, tourne.
Vous tentez de trouver des explications à cela. Trop d'huile? Un mécanisme électrique? La pile? La prise?
Non, rien...
Vous allez vous coucher. Vous trébuchez sur la malle dont le couvercle s'est éveillé en sursaut. Votre curiosité insoutenable vous pousse à l'ouvrir complètement.
Vous tombez face à une bric-à-brac d'affaires en tout genre. Un poncho. Une pièce de Shakespeare, Tempest. Une lettre écrite dans un dialecte que vous ne connaissez pas. Un vinyle des Rolling Stones. Une photo d'un couple devant l'avion dans lequel vous vous trouvez.
Vous vous sentez coupable de regarder tout cela, et si vous n'aviez pas le droit?
Le tournoiement du globe vous empêche de vous concentrer.
Plus au fond de cette malle immense vous trouvez un bout de papier jauni par le temps. Votre anglais est mauvais, mais vous arrivez quand même à décrypter :
"Toi qui entres ici, laisse la marque de ton passage.
Fais voyager ceux qui seront après toi.
Tu as dans cette malle de quoi faire le tour du monde."
Vous vous apercevez que le globe s'est arrêté de tourner.