Toi, moi, Savannah, et là-bas... le monde.
Ana Elle (Cendrillon Des Routes)
Elle s'essuya du revers de sa main, puis pinça la coupure de sa lèvre inférieure. Qu'est-ce que je fous là ? Elle était assise sur les marches de l'énorme boite de conserve mobile. C'est alors qu'elle l'aperçu. Il était grand. Bien bâti. Son réseau veineux remontait à la surface, dessinant à son insu les émotions qui autrefois l'avaient mordu. Une barbe recouvrait la moitié de son visage, comme voulant cacher certains traits de peau, certains ravages connus trop tôt.
Sur la caravane un panneau « Home on the range » Ma maison dans l'immensité. Rien d'autre. Sauf le silence…qui geint et hurle.
-Je m'appelle Jo, dit-il d'une voix caverneuse.
Trois jours. Il avait fallu trois jours pour qu'il lui dise son nom.
-Franck.
-Salut Franck.
Les jours se succédèrent. La terre crissait sur son axe. Bruit sourd que personne d'autre n'entendait à part elle. Sauf lui. Franck continuait de s'adonner à ses terrifiantes études sur la nuit. Les pires moments étaient la nuit. Interminable. La chaleur coagulante semblait les tenir prisonniers. Les moustiques et insectes en tous genres, avaient fini par arrêter de la sucer. Sans doute par manque de place plus que par manque d'envie. Son corps était devenu un territoire recouvert de baisers rouges qui la démangeaient. Du sang avait séché sur ses cuisses. La lune était brûlante. Il faut que ça cesse, pensa-t-elle. Leurs corps se mélangeaient dans les flammes patibulaires et stellaires sans qu'ils ne se touchent. Il porta une canette de bière à sa bouche et fit dégouliner le contenu dans sa gorge. Il froissa la tôle d'une main et la jeta au loin. Qui était-il ? Franck se leva. La moustiquaire stridente se ferma derrière elle.
Au début, elle ne dormait pas. Et puis, vient un moment où le corps ne tient plus. Quoi qu'on fasse, il se laisse aller. Il s'abandonne. Une nuit, elle fût réveillée par un terrible mal de ventre. Quelque chose n'allait pas. Elle attrapa une lampe torche et l'alluma. Jo ne bougeait pas. Il était sur le canapé. Torse nu. Vision rassurante. Elle s'était habituée à le voir chaque nuit, en face d'elle, la regardant en silence. Cette présence lui était devenue nécessaire. Dormait-il ? C'est alors qu'une mouche se posa sur son front en sueur. Il ne réagit pas.
-Tu peux t'en aller. Tu as toujours eu le droit de t'en aller.
Elle se leva. Son t-shirt trempé laissait voir en transparence la forme généreuse de ses seins retombant gracieusement sur la naissance de son ventre. Elle coinça la lampe entre ses dents. Elle marcha lentement à travers le mobile home sans bruit. Elle poussa doucement le loquet de la moustiquaire pour sortir, mais cette dernière grinça. Elle s'arrêta nette. Jo ? Elle salivait, frissonnante. Elle sortit. Sans chaussure, le sol lui déchira la plante des pieds, mais la douleur n'était rien comparée à celle qui la broyait de l'intérieur. La torche tomba au sol. Elle gémit se pliant en deux.
-Je vais faire ce que je dois faire.
-Qu'est ce que tu as ?
-Je ne sais pas Jo.
Au loin contre un arbre elle enleva difficilement sa culotte et écarta les jambes. Quelque chose semblaient vouloir sortir d'elle. Le visage vers le ciel, elle s'abandonna en délivrance. Elle urina difficilement. Elle soufflait. De la fièvre sortait de son ventre.
Jo la regardait de loin, juste à l'entrée de la caravane, ne voulant pas la déranger, ni la laisser seule avec elle-même. Pour lui, elle était comme le rayon du soleil de midi qui fait craqueler la terre et brûle les prairies. Cette femme n'était pas plus fautive que cette grande cohérence de la nature. Il s'approcha lentement, la prit dans ses bras, et retourna à l'intérieur.
-Je ne comprends pas. Il y a quelque chose d'insoluble dans l'existence. Pourquoi on en est là ? Pourquoi c'est arrivé ? J'ai le sentiment que rien ne sera jamais terminé. Jusque-là j'ai réussi à oublier, mais la vérité c'est que je suis comme un volcan qui se ravive. Qui s'embrase subitement. Et tout, je dis bien, tout autour de moi n'existe plus, quand tu es là. Pourquoi ? Ce n'est pas ce qui devait arriver. Ça ne devrait pas être possible ces choses là. Je ne sais pas ce que je vais faire. Ce que nous allons faire ?
Debout au milieu de la baraque mobile, elle essaya d'interrompre ses pensées, mais la musique commença à envahir son esprit ; c'est fou le pouvoir trompeur d'une mélodie. Ce pseudo romantisme dramatique exacerbé qui soudain s'installe et les fait s'aimer. Il s'approcha doucement de ses jambes tremblantes et recouvertes de sang, et à l'aide d'un gant trempé dans une bassine d'eau, il commença à nettoyer sa peau. Les hommes disent souvent qu'ils vont partir à l'aube, mais ils le font rarement. Après tout, si la vie paraît mystérieuse, c'est bien parce qu'elle l'est.
Elle se réveilla par les morsures du soleil. La lande toute en friche était intacte. Elle contempla les alentours. Quelle belle façon de survivre, pensa-t-elle. A cet instant, elle ne voulait plus être nulle part qu'ici.
-Dalva. Mon prénom. C'est Dalva.
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Merci beaucoup Frédéric :)
· Il y a plus de 10 ans ·Ana Elle (Cendrillon Des Routes)
Oh! J'aime beaucoup!
· Il y a plus de 10 ans ·Frédéric Clément
Merci beaucoup Rodrigue. Quelle joie de lire ça :)
· Il y a plus de 10 ans ·Ana Elle (Cendrillon Des Routes)
Quelle force de vie dans cette écriture très juste et sans complaisance !
· Il y a plus de 10 ans ·Rodrigue Rouyer Cobelli