Danse Macabre

Caïn Bates

         Les mariages dans lesquels nous trainions mon amante et moi étaient si banals, si ennuyeux. De braves gens qui se faisaient des ronds de jambes tout en se détestant, les vieux pingouins à la recherche de chair fraiche et de jeunes veuves faussement éplorées à la recherche de beaux riches à plumer, toute cette Avarice et cette Luxure me donnaient la nausée. Les mariés quand à eux enchainaient les sourires faussement redevables et les regards parfois envieux, parfois dédaigneux face aux couples qui se présentaient à eux. Rien de bien extraordinaire donc.
         Mais, une douce journée de fin Octobre, nous fûmes conviés à des Noces plus... spéciales. On mariait la fille d'un bourgeois de presque 23 ans, cette brave demoiselle n'avait toujours pas trouvée chaussure à son pied malgré son âge. Il faut dire qu'elle avait une réputation plutôt sombre, on disait que ses prétendants disparaissaient (au sens propre parfois) le jour de leurs noces. Pourtant, elle était d'une élégance telle qu'aucun homme ne craignait de se damner pour elle, moi y compris. La belle Jézébel était ce genre de femme que l'on désirait autant pour sa beauté que pour son goût vestimentaire particulier, autant pour sa grâce que pour son impertinence. Elle nous rappelait un peu la reine dans ses jeunes années.
          La réception était à l'image de toutes les autres, bien que son cher père n'avait pas lésiner sur l'argent dépensé et, étrangement, je n'en étais nullement gêné. C'est après de pompeux discours que la jeune femme prît enfin la parole. Excusez ma grossièreté mais elle était bien plus désirable quand elle était silencieuse.
         On annonça le banquet quand elle s'interposa, la coutume voulait que le bal soit entamé juste avant, ce qui permettait aux convives de moins se goinfrer et d'admirer les tourtereaux. Le pauvre malheureux était si maladroit qu'il peinait à mettre un pied droit devant l'autre rien qu'en marchant, cette valse s'avérait divertissante. Les violons se mirent à grincer et la demoiselle guidait son jeune époux pas à pas. Dommage pour lui, c'était le type de valse qui se voulait changeante. À tour de rôle, ils devaient guider l'autre pendant 5 mesures, et c'est là qu'était le drame. Très vite, les violonistes devinrent incontrôlables et le marié semblait perdre ses moyens pendant que Jézébel ne quittait plus son regard, comme si elle aspirait sa force vitale. Les flammes trônant le chandelier au dessus d'eux vacillaient, suivies par celles de la pièce toute entière. Très vite on ne distinguait plus qui était qui, des bruits d'os qui s'entrechoquaient rendait l'atmosphère macabre. Peu à peu, la musique se calma et les invités vinrent autour du couple pour les accompagner dans leur danse. La lumière était revenue à la normale et la musique était plus douce, un peu monotone.
         Soudain, la frénésie des musiciens repris et un vent glacial souffla la pièce, plongeant la salle de bal dans l'obscurité. Les faibles rayons de la lune éclairaient une partie de sol sur lequel les pieds des danseurs tournaient. Une légère fumée grise s'élevait, dévoilant la scène mystérieuse peu à peu. Les danseurs ressemblaient aux anciens fiancés de la mariée, leurs corps étaient tantôt décomposés, tantôt squelettiques. Ils étreignaient d'immenses poupées de leurs doigts fins et on vit parfois le regard horrifié du nouvel époux. Les musiciens étaient comme possédés et personne ne semblait vouloir intervenir. J'étais moi même tétanisé à la vue de ce spectacle morbide. Les violons n'étaient plus en harmonie et la mélodie était interminable. C'est une fois le jeune homme écroulé que la musique s'arrêta brusquement et que les bougies s'allumèrent. Je me précipita à son secours, bousculant les danseurs qui étaient finalement bien des invités faits de chairs quand je le vit les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte et le cœur explosé. Jézébel s'était volatilisée dans la foule et personne ne s'était rendu compte de la mort du jeune homme. Quand je me suis mis à hurler pour qu'on lui vienne en aide, des hommes décorés en tenue de militaire me raccompagnèrent violemment à la porte du château de leur maitre, sous prétexte que l'on interrompt pas un banquet de levée de fonds. 
         Les témoins de la scène me regardaient comme un aliéné. Et bien tant pis, je ne les inviterais pas à mes noces. Je n'ai nul besoin de ces profiteurs, tout ira bien tout le temps que je demeurerai avec ma tendre amante, Jézébel.

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