De ce côté-là

effie

Dans l'univers, une vie parmi d'autres

La nuit tombe.

La ville s'endort.

Le corps s'abandonne au sommeil tandis que je m'éveille. Et hop ! Voilà. C'est fait. Je m'extirpe de cette masse assoupie. Comme elle est belle… Si petite et si limitée dans ses mouvements, mais je l'aime profondément. Je la contemple amoureusement, ma tendre enveloppe. Je ne me suis pas toujours bien occupée d'elle, je le reconnais. Mais c'est fini tout ça. Je prends soin d'elle maintenant. Je la dorlote. Je la couve. Je l'idolâtre. J'en suis fière. Après tout, c'est moi qui l'ai choisie, même si je l'avais oubliée un temps. Elle a l'air détendue cette nuit. La journée a dû être agréable. Ce n'est pas le tout, je n'ai pas la nuit entière. Le réveil ne se fera pas attendre, lui.

 

C'est parti. Ça va bien plus vite. Il suffit d'y penser, et voilà, j'y suis. C'est formidable. Ca me surprend toujours. Je manque encore d'entraînement, je n'ai pas l'habitude de l'instantanéité. Mais ça viendra. D'ailleurs, je m'exerce chaque nuit. Je suis retournée au bureau. J'avais envie de voir certain collègue, en tête-à-tête. Mon boss, en fait. Malheureusement, nous ne sommes pas seuls. Les autres sont là aussi. Ils sont atteints, comme moi ! Ils ne peuvent pas s'empêcher d'y retourner la nuit. Mais moi, c'est différent, j'avais rendez-vous. Un rendez-vous amoureux. Bref, je suis déçue, une fois de plus. La dernière fois, on n'était pas loin de passer à l'acte, mais on a été dérangé, comme d'habitude. L'ennui, c'est qu'il faut chaque fois reprendre depuis le début. Alors, des préliminaires, encore des préliminaires, toujours des préliminaires, ça va bien un moment. Elle en est toute mouillée, mais moi j'aimerais bien concrétiser, enfin. C'est tellement plus simple, la nuit. Il n'y a plus de barrière, de salamalecs. Tout le monde est sur le même plan. On se comprend sans avoir besoin de parler. D'ailleurs, on ne se parle pas. Notre aventure se passe de mots. Tout est dans la pensée. Et, lui et moi, on est toujours sur la même longueur d'onde. Mais il y en a certains qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, même ici, et qui gâchent nos sorties. Une fois, on a joué au docteur. Je faisais la patiente et lui le docteur. Evidemment, je n'étais pas malade et ne souffrais de rien, si ce n'est d'un manque de contact humain, contact viril, j'entends. Donc, le boss m'installait sur la table de consultation, mais il ne me prenait pas le pouls. Il me déshabillait, lentement, pour m'ausculter avec minutie. Chaque geste avait une charge émotionnelle insoutenable. Dans cet univers, c'est comme si tout était amplifié démesurément. Un battement de cil, une main tendue vers moi, le moindre déplacement d'air de sa part me faisait frissonner. Et puis, je ne me souviens plus. Est-ce qu'il bandait, ou pas ? Est-ce que ses sous-vêtements m'ont déplu ? Est-ce que le téléphone a sonné ? Quelqu'un est-il entré ? En résumé, la jouissance suprême n'a pas eu lieu, pour une raison inconnue. Je n'en suis jamais loin pourtant. C'est comme cette nuit. J'enrage. Une autre fois peut-être. Ca n'a pas d'importance. J'ai l'éternité. Je dois rentrer maintenant. Elle va bientôt se réveiller.

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