De Cris en crimes

clairafalda

De cris en crimes

Des cris se firent échos en moi. Une vague de réalité s’enfila en moi. La nuit n’était pas encore tombée sur la ville que déjà un autre crime abominable venait d’être commis. Je marchai alors en direction de la rue d’Italie quand une veille femme se mit à beugler de toutes ces forces comme les cochons de l’oncle Jean avant qu’on ne les égorge. En très peu de temps elle rameuta tout le quartier.

Je tournai les talons pour ne pas rater moi non plus une seule goutte de cet événement macabre. On s’indigne, s’horrifie mais au fond beaucoup de gens comme vous et moi se délectent des faits divers. Nous avons tous un voyeur en nous.

Quand j’atteignis l’allée menant à cette maison bourgeoise, la foule s’agglomérait déjà comme une mouche sur la merde fraiche. Deux femmes agrippaient la veille dame pour tenter de la maitriser dans sa crise hystérique. Je m’approchai encore, me glissant, fin serpent, entre les passants aux yeux écarquillés. Une ado plate aux joues purulentes pleurait à chaudes larmes dans le cou de sa mère. Avais-ton cassé son portable ? L’avait-on privée de télévision ? De sortie ? Non. De toute façon, depuis plus d’un mois les gens se terraient chez eux, enfants et animaux compris.

«  C’est horrible », « ignoble », « indicible » « pas eux ils étaient si tranquilles » répétait –on autour de moi. Lorgnant sur l’intérieur de la maison, je perçus une flaque rouge, du sang humain. Seul un bras sans vie nageait dans la partie visible de cet iceberg criminel.  J’écoutais encore les commentaires autour. Le refrain des sanglots remontait jusqu’au ciel de plus en plus sombre.

A l’intérieur, je vis un méli mélo de bras et de jambes reposant sur le tapis du salon. Ce dernier tel une énorme éponge avait pompé ce liquide humain et avait gonflé. Soudain, un policier me doubla m’enfonçant un grand coup dans l’épaule. Son visage se retourna sur moi, à quelques centimètres du mien. Je vis dans son regard la consternation et l’impuissance mêlés. J’en frémis. Puis ce fut un ambulancier. Quelle idée ! De toute façon, cela trainait en longueur et il n’y avait plus grand-chose à faire depuis un bon moment. Un périmètre de sécurité fut dressé nous reléguant en arrière plan de la scène de barbarie. Les enquêteurs, petites fourmis, s’attelaient à trouver le moindre indice. Cette démarche fut intéressante à observer pour ma carrière.

Un instant, une journaliste de france3 s’approcha de moi, perçant une fois de plus la file de curieux. Je crus que cette appétissante blonde allait m’interviewer. J’en salivais déjà. Mais rien. Elle agrippa une autre vieille, la voisine semble-t-il. Mon heure de gloire viendrait, mais beaucoup plus tard.

En tendant mon oreille aiguisée, je découvris leur version de faits, la même qui fut publiée le lendemain et les jours qui suivirent.  Le père de famille fut tué le premier d’un coup de couteau dans la gorge devant la télévision. Il continua à la regarder d’ailleurs, paisiblement. Puis la plus jeune des deux filles, d’une dizaine d’années fut lacérée dans sa chambre. Elle avait sans doute réussi à se trainer puisqu’elle fut retrouvée dans le couloir. Puis Marie, la seule que je connaissais, a été retrouvée nue dans la baignoire, noyée. Cet après-midi là, je l’avais croisée. Elle rentrait du lycée. Je la trouvais d’ailleurs bien imprudente de parler à des inconnus et de leur jouer son numéro de jeune ingénue. Une jolie fille quand même, quel gâchis !

J’oubliais la mère, elle avait été poignardée dans la cuisine mais rassemblée avec les restes du grand père dans l’entrée, sur le tapis du salon. Les détails manquaient mais il n’en suffit pas plus pour satisfaire les rédactions. Magasines, journaux, radios et télés se jetèrent dessus pour avoir l’exclusivité.

Je décidai alors de partir. L’excitation retombée, la fatigue me piquait les yeux. Les crampes dans mes mains me relançaient. Qu’avais-je à faire de plus sur cette scène de crime ? Je ne servais à rien. La nuit tombait sur les curieux tel un couperet invisible mettant fin à leurs investigations malsaines.

Je repris ma route, semée d’autres crimes, une belle série... On ne m’arrêta que quinze ans plus tard. Des vies avaient passées. Que voulez-vous que je vous dise d’autre ? De toute façon, maintenant, je suis prisonnier à vie dans cette cage glauque. Parfois la nuit, je revis en rêve mes tribulations. Vous n’en saurez pas plus, je garde pour moi le nombre exact de mes victimes.

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