De l'autre côté
nellyre
Articulation
Le chapitre " La ligne blanche" est centré autour du mythe du fil d'Ariane qui relie tous les hommes entre eux, à savoir, la conscience de leur finitude. On y découvre les trois personnages principaux.
La sortie, s'articule autour du mythe d'Orphée et le refus des Hommes à accepter leur mort. Hailey tentera d'emprunter une sortie et rencontrera un autre personnage, Samuel.
Dans, le péage, on retrouve le mythe du styx et le prix du passage vers la mort. Hailey et Samuel rencontrent un mendiant qui ne peut passer le péage. Vee et Ada s'interrogent sur le prix de la vie. Les riches parviennent à vivre plus longtemps, mais dans la mort, sont-ils à nouveau avantagés ou au contraire ?
Le paysage est basé sur une légende japonaise. A travers la contemplation du paysage qui borde l'autoroute, démonstration de vie au coeur de la mort, Hailey et Samuel repensent à l'histoire de l'homme qui faisait revivre les arbres morts. En parallèle, Vee et Ada évoquent l'entraide ou l'envie qui limite les hommes dans leur vie et dans la mort.
Les panneaux, permet de poser la question des différences dans la mort. Hailey et Samuel s'interrogent sur les morts des autres pays, des autres croyances et Vee et Ada évoquent les divisions entre les Hommes qui génèrent les conflits.
La limitation de vitesse, pose la question du temps et de l'éternité. Il n'y a pas de temporalité dans la mort. Hailey et Samuel se demandent où sont les morts des époques anciennes. Vee et Ada font le lien entre cette temporalité et la temporalité du monde vivant où le temps est une valeur fondamentale.
Demi tour interdit vient logiquement après le chapitre précédent puisqu'il pose le problème de l'espace. Si on change de sens on va en fait au même endroit, il n'y a pas plus d'espace que de temporalité dans la mort.
Le téléphone révèle la volonté des Hommes à communiquer entre le monde des vivants et des morts. Se pose la question des revenants, et Vee et Ada en arrivent à la conclusion que les Hommes sont plus préoccupés par la mort que par la vie.
Le mur présente un nouveau personnage, Selena, qui veut tenter de se suicider dans la mort. Vee et Ada abordent le besoin humain de savoir ce qu'il y a après pour avancer. On aborde le mythe des neuf vies.
La fin. Tous les personnages se retrouvent au même endroit, au bout de l'autoroute pour finalement entrer dans le bâtiment mystérieux et aborder de nouveau comme une conclusion les différentes questions qu'ils se sont posés. On comprendra notamment qui était derrière les caméras de surveillance. Enfin la dernière image sera celle de Selena, vivante.
Chapitre 1 : La ligne blanche.
Tire sur le fil, tire encore et tire toujours, jusqu'à en trouver la fin, et ta mémoire qui s'effiloche avec lui.
Caméra de surveillance n°50.
Elle sort du restaurant en courant et monte dans sa voiture. Elle pleure, à grosses larmes, la tête entre les bras, sur le volant de la mini-cooper rouge. Ses cheveux s'étalent de chaque côté de son visage, et oscillent avec les soubresauts de ses sanglots. L'amplitude du mouvement de son corps diminue progressivement et puis s'estompe. Elle se calme et relève la tête. Son visage est rougi, humide mais apaisé par la fatigue des larmes. Elle parcourt une dernière fois du regard la petite aire d'autoroute qui l'encercle. Le parking vide ou presque, les jeux pour enfants qui grincent, esseulés, la balançoire qui promène son fantôme de courants d'air, le restaurant, bloc rouge et gris de plastique indigeste. Lentement, elle tourne la clef de contact et démarre.
Où es-tu Niall, où es-tu ?
Je roule, j'avance. Le temps passe, les heures se lassent. Je ne sais plus où je vais et je vois défiler, dehors, par les fenêtres, le paysage qui recule. Je n'ai pas d'objectif et les panneaux qui indiquaient le sud de la France et notre petit village ont disparu depuis bien longtemps. Ils ont disparu en même temps que toi. Mais combien de temps alors ? Une heure ? Un jour ? Une année ? J'ai perdu cette notion là. Le petit Bronn, notre petit trésor est à l'arrière de la voiture, il dort. Silencieux. Il ne bouge pas, ne pleure pas, laisse les doux cahotements bercer son sommeil. Il n'y a pas un bruit. J'ouvre la fenêtre et le silence m'étouffe plus encore. L'absence aussi. Il n'y a personne devant, personne derrière, mes rétroviseurs sont monotones. Oui, Niall, je suis repartie. Je t'ai attendu longtemps, sur l'aire d'autoroute. Je t'ai cherché, j'ai fouillé tous les recoins du minuscule petit endroit mais tu n'étais pas là. Tu n'étais nulle part. Alors j'ai pris peur mon amour, j'ai paniqué. J'ai cru que cela recommençait, tu sais, j'ai cru qu'elle était revenue...
Caméra de surveillance n°51
Elle est passée. Elle conduit une petite voiture rouge, toute neuve. Elle roule à cent trente kilomètre-heure. Pour l'instant, parce qu'elle n'a pas encore réalisé. C'est une jeune femme aux yeux bleus-déterminé. Elle conduit comme si elle cherchait quelqu'un. Régulièrement, elle passe une main dans ses cheveux blonds et les décoiffe un peu plus. Elle regarde, à droite, à gauche, sur le bas côté. Mais que s'attend-elle à trouver ? Un corps ou un marcheur ? Un auto-stoppeur ? Un fantôme blafard qui marcherait sur la bande d'arrêt d'urgence ?
Je remonte dans le temps, visiter le passé de ma mémoire. Je m'y revois, dans cette chambre d'hôpital. Il y avait cette femme. Le médecin. Elle était très douce et me parlait toujours avec beaucoup de bienveillance. Je me rappelle cette fois où elle s'est assise auprès de moi et a posé sa main sur mon ventre. J'enserrais ma poitrine de mes mains. Je n'avais pas froid mais le monde était trop vaste pour moi et il me fallait le redéfinir, pour qu'il soit un peu plus restreint. Je faisais souvent cela à cette époque. M'enserrer, sentir mon corps sous mes propres doigts. J'étais réelle et c'était la seule certitude que je possédais vraiment. Elle m'a murmuré alors:
«C'est une nouvelle vie qui commence pour vous Hailey, une nouvelle chance.
- Une nouvelle chance docteur ? Mais pour quoi faire ?
- Pour oublier tout ce que vous croyiez, et ce que vous inventiez. A l'avenir vous saurez voir. Alors ne vous inquiétez pas, oubliez le passé et raccrochez -vous à cet enfant qui va naître et qui est votre seule réalité... Accrochez-vous Hailey.»
Suis-je à nouveau folle ? Je sais à présent, faire la différence. J'ai le discernement. Tu étais avec moi dans la voiture, Niall, et tu conduisais. C'est toujours toi qui conduis. Tu souriais et un rayon de soleil venait danser sur ton front. La radio fredonnait un petit air pour notre fils et je te regardais. Je te voyais avec des yeux rassurés et confiants. Parce que nous savions où nous allions. Nous n'étions pas perdus, peut être pour la première fois de notre vie. Les gens autour de nous disent souvent que c'est notre enfant qui nous a sauvé, qui nous a tiré de la mauvaise passe. La mauvaise passe ! Quels idiots ils font tous. Ils parlent comme si le temps était découpé en séquences, les bonnes et les mauvaises. Ils semblent croire que l'on peut rester piégé, coincé au milieu de n'importe quand, dans une mauvaise période, ou que l'on peut la traverser. Mais il y a eu ce moment c'est tout. Un temps où les trotteuses des horloges se sont mises à tourner un peu trop vite et où nous avons été submergés.
Caméra de surveillance n°52
Elle vient de passer un kilomètre supplémentaire. La petite voiture rouge poursuit sa route. Elle conduit toujours au niveau de la limitation de vitesse. Elle n'est toujours pas pressée. Elle réfléchit certainement, elle revoit des images. Elle laisse ses pensées défiler à travers les vitres de la voiture. Elle ne voit pas ce qui se passe dehors, les étendues vides qui glissent dans les rétroviseurs. Elle n'entend pas non plus le bruit du moteur qui ronfle. De temps en temps un arbre, un coup de vent viennent rompre la monotonie de la partition de silences mais elle ne les voit pas non plus, ne les entend pas et sa petite voiture est comme une blanche qui s'attarde un peu sur la portée de l'autoroute. Sa voiture avance et elle recule, dans sa mémoire...
Je tire encore un peu sur le fil, pour aller visiter l'avant, le lointain de mes souvenirs. Tu habitais loin de moi à cette époque, et je me suis retrouvée seule. Seule avec mes fantômes. C'était avant, avant Bronn et avant le médecin. C'était lorsqu'il y avait quelqu'un d'autre à l'intérieur de moi. Lorsque le soleil venait poser ses rayons du matin sur mon front ensommeillé je me sentais bien et sautillais sur ma vie nouvelle. J'étais occupée, j'avais de quoi faire. J'avais du travail. Et puis je rentrais chez moi le soir. C'est là que les fantômes commençaient à me rendre visite. Des idées qui naissaient en moi et dont je ne pouvais me défaire. La distance nous a grignoté petit à petit. On ne trouvait pas les mots pour se parler sans se voir. On n'imagine pas vraiment tout ce que l'on peut dire par le contact de la paume d'une main sur une joue, par un sourire ou un clignement d’œil. Tout cela me manquait alors. Tous les gens sont-ils seuls ? Nous croisons nos vies, nous les partageons mais jamais complètement. Il semble révolu ce temps où ceux qui avaient décidé d'être ensemble pouvaient se noyer dans leur vie commune une fois et pour toujours. Nous nous courons les uns après les autres, nous essayons de nous rattraper, de nous retrouver, mais nos vies ne s'accordent plus aussi simplement. Notre travail nous tire d'un côté puis de l'autre. Comment le travail est-il devenu notre valeur principale ? Combien d'hommes et de femmes prennent chaque week-end cette autoroute pour se retrouver ? Combien se cherchent sans jamais vraiment s'attraper ? Nous suivons notre route, un par voiture, et de temps à autre nous acceptons un passager, mais jamais pour un voyage éternel, nous finissons toujours par le laisser, pour un temps sur la bande d'arrêt d'urgence.
Où es-tu Niall, où es-tu ? J'ai croisé cet homme sur l'aire d'autoroute. Il avait des cheveux gris qu'il cachait derrière un chapeau de cow-boy. Son teint était blafard. Il avait des yeux très sombres, presque noirs. Ou peut-être étaient-ce ses pupilles qui étaient dilatées ? C'est vrai qu'il faisait sombre dans le restaurant. Il m'a interpellée alors que je demandais aux autres s'ils t'avaient vus. Il m'a dit d'une voix très rocailleuse:«Vous ne le trouverez pas, il ne fait pas partie de ce monde». Je n'ai pas saisi la phrase. Je n'ose prononcer ce que j'en comprends que du bout des lèvres. Es-tu mort Niall ? Es-tu mort ? Pourquoi ne m'en souviendrais-je pas si tel était le cas ? J'ai un esprit fragile diraient les médecins. «Il ne fait pas partie de ce monde». L'homme n'a pas dit que tu n'en faisais plus partie. Mais de quel monde parle-t-il alors ?
Caméra de surveillance n°54
Elle vient de passer devant un téléphone d'urgence mais elle ne s'est pas arrêtée. Il était là, orange mécanique, à l'attendre. Si seulement elle avait eu l'idée à ce moment là, l'idée que peut-être elle n'était pas où elle croyait. Elle commence à comprendre pourtant. Elle n'a plus peur à présent. La bande blanche qui court sous la voiture est rassurante ; elle s'étend devant, derrière, et dessine un infini qui lui murmure qu'il n'y a pas d'urgence, qu'elle a tout son temps.
J'arrive au bout du fil, il n'en reste plus beaucoup et ma mémoire s'achève au delà. J'étais là au sommet de cette montagne et j'étais debout. Le temps se taisait, le silence résonnait pour faire écho aux murmures du monde. La grandeur m'encerclait. J'avais le regard qui s'éloignait déjà loin en face de moi. Je me tenais droite et laissait mon corps ondoyer légèrement au vent. Je regardai en bas et je tremblai un peu. J'avançai légèrement pour mieux voir ce qui m'attendait. Je laissai une larme rouler sur ma joue. C'était la peur qui s'éloignait, qui s'échappait. Elle coula le long de mon visage et se suspendit au niveau de mon menton. Elle attendit, un dernier sursaut et la larme s'enfuit à travers le néant. Il ne restait rien en moi, rien qui me retienne. Je regardai en bas à nouveau, puis derrière moi, de là d'où je venais. Je n'ai pas reculé. Je fis un pas en avant et mon pied droit se suspendit dans le vide. Il attendit, il attendit l'autre. Il m'attendit moi. J'inspirai une dernière fois. Je fermai les yeux. J'expirai. Mon deuxième talon se décolla du sol, mon poids bascula vers l'avant et je tombai... Quelque mètres où tout le poids qui pesait sur mes épaules disparut. La légèreté m'envahit. Et puis plus rien.
Camera de surveillance n°55
Elle est seule dans la voiture mais elle ne s'en est pas encore rendu compte.Le paysage a changé à présent. Il a perdu de sa touche française et se transforme peu à peu en un désert d'identité. Ce n'est pas ce type de désert où le soleil pose ses formes arrondies sur un délicieux sable d'or. C'est le vide, quelques cailloux qui s'élancent les uns derrière les autres dans une course folle vers...vers quoi ? Le soleil est assez haut dans le ciel et la route noire commence à miroiter. Dans la voiture la chaleur est infernale.
Tu n'as jamais été dans la voiture Niall. Tu n'as jamais été sur cette autoroute A666 et nous n'avons pas eu le temps de partir en vacances. Je ne suis pas redevenue folle. Je n'ai pas attendu. Je savais que cela aurait pu arriver n'importe quand et j'ai voulu te sauver parce que je t'aime plus que tout. Alors je suis partie et je t'ai laissé à ta vie. Tu as le temps. Tu vas pouvoir recommencer. Je suis morte. La seule question qui reste en suspens est un pourquoi. Pourquoi ai-je emmené avec moi le petit Bronn ? Je me retourne à nouveau vers lui et je comprends. Ce n'est pas Bronn qui est à l'arrière mais seulement un souvenir que je m'en fais, un dernier petit pan de folie qui s'en va avec moi vers l'autre monde. Dis-lui, Niall, dis-lui que je l'aimais.
Caméra de surveillance 31171 Exterieure. Au milieu de l'autoroute. Le jour.
Cela fait maintenant bien longtemps qu'ils ne parlent plus. Plus aucun son n'est enregistré. Il n'y a sur la bande vidéo que l'empreinte de leurs visages sur lequel progressivement s'étend un sourire. Il est assis, au beau milieu de l'autoroute et elle à ses côté. Derrière eux s'étirent les grandes lignes blanches. Devant eux c'est la fin. Ils sourient à présent parce qu'ils sentent qu'ils ont compris. Il porte en guise de vêtement, cette guenille avec laquelle il est arrivé. C'est un pan de tissu blanc, sali par le sable, la poussière et le temps qui ne couvre qu'un petit morceau de sa peau noire et luisante sous le soleil artificiel. Il se tient en tailleur, très droit. Sa main droite enserre un bâton de bois sur lequel des gravures viennent danser dans le silence des lieux. Elle se tient mal. Elle est affalée sur le bitume et fixe le même objectif que lui. Sa tête repose nonchalamment sur son coude. Elle est, contrairement à lui, très habillée: un pull de laine bleu marine sur lequel se sont accrochés des poils de chat. Elle possède une expression étrange. Ses dents sont jaunies par le tabac et ses ongles sont noirs de mystère. Ses sourcils broussailleux ne viennent pas obscurcir la lumière de son regard. Elle sourit, et malgré tout le passé qui pèse sur son visage, elle est belle. Elle est belle parce qu'elle n'a plus peur. Elle sait. Ce qu'ils regardent tous deux est un dôme blanc qui pointe son nez vers le ciel. Il n'y a qu'une porte et c'est tout. Il est là posté au milieu de nulle part,il est là et semble dire «je ne suis que la partie visible de l'iceberg, mais sous mes pieds c'est un monde entier qui grouille». La bande son repart tandis qu'il engage à nouveau la conversation.
Vee
(Il commence par un soupir qui semble venir de très loin, d'un souvenir peut-être.)Je viens du désert de Kalahari. Je suis un homme de la tribu des!Kung. Il n'y a pas d'inégalité chez nous, pas de rang social, pas de titre. La seule et unique chose que tu dois à ton voisin, est la reconnaissance. (Il laisse traîner un peu le mot dans l'air, comme une expiration...la reconnaissance). Chacun a ses capacités et les met au service de la communauté. Je suis un chasseur et si je reviens d'une chasse fructueuse alors mon meilleur ami se rit toujours de moi en me disant que je suis la cause d'un grand gâchis d'os. Ainsi, je reste à ma place. Je suis un bon chasseur, rien de plus.(Il sourit. Elle hoche la tête, impressionnée. Elle a véritablement l'air de croire en la sagesse du système.)
Ada
Pourquoi me dis-tu cela ?
Vee
Je ne sais pas. Tu es une philosophe, je pensais que ça pourrait te plaire. Et puis, cela va bien avec cet endroit. (Elle se tait un moment, réfléchit, puis se tourne à nouveau vers lui.)
Ada
Non, je ne vois pas...
Vee
Depuis de longues année, depuis Rousseau, les hommes essayent de comprendre l'origine des systèmes hiérarchiques et inégalitaires...
Ada
Et ? (Il donne un coup de la tête vers le point qu'ils fixent tous deux depuis un moment.)
Vee
L'origine est là. La mort. Les hommes s'efforcent de construire un escalier qui leur permettra d'échapper à la mort le plus longtemps possible; C'est l'objectif, se placer au sommet de l'échelle pour prendre la mort de haut...Vivre, vivre encore, vivre toujours et tirer sur le fil pour allonger sa vie... (Elle hoche la tête. Elle paraît d'accord. Le silence se fait à nouveau.)
Ada
A moi de te donner une pensée plaisante. Tu es un homme de religion, tu connais Dieu mieux que moi. Tu vois, avant de venir ici, j'avais coutume de dire ceci: quand je serai morte et que j'arriverai devant Dieu, j'aimerais bien qu'il soit noir et que ce soit une femme. (Elle rit, d'un rire presque un peu nerveux.) Mais, tu n'es pas une femme. (Elle le fixe droit dans les yeux pour rendre la phrase solennelle. Un éclat de rire fuse et il découvre ses dents très blanches.)
Vee
Je ne suis pas Dieu, Ada!
Ada
(Elle s'arrête de parler un moment) Pour tout te dire, j'ai du mal à croire qu'il est là. Que Dieu est à l'intérieur.
Vee
Alors il est peut être temps d'entrer, d'en avoir le cœur net: il est peut être temps de répondre à la grande question de l'humanité.
Ada
Tu vois Vee, notre fil d'Ariane ce n'est peut être pas, comme tu penses le croire, la volonté de vivre le plus longtemps possible. Ce n'est pas cela le trait qui nous lie tous les uns aux autres. Notre grande ligne blanche serait plutôt cette trace sur laquelle s'écrit la plus grande question de l'humanité:Qui ? Qui nous observe, nous épie, nous guette ? Qui nous espionne, nous surveille, nous mesure ? Mais surtout, qui veille sur nous ? Qui est derrière la caméra ?
Combien sommes-nous ? Il paraît qu'une personne décide de mourir toutes les quarante secondes. J'essaye de saisir le sens du nombre. Je n'y parviens pas. Pourquoi abandonnons-nous ? La vie n'a-t-elle de place que pour certains ? Où est la place qui manque ? Ici peut être. Ici il y aurait plus d'espace. Et pourtant je ne suis pas sûre. Ce monde ressemble à un entre-deux. Un nulle part ou je pourrais m'arrêter quelques temps... où je pourrais m'arrêter éternellement. Attendre. Je pourrais t'attendre ici, Niall. C'est un paradoxe intéressant. Je confond le réel et l'irréel. Je les ai toujours confondus. Et là, alors que n'importe qui s'interrogerait, alors que n'importe qui se demanderait s'il devient fou, alors que n'importe qui se demanderait si ce qu'il voit est réel, j'en ai, moi petit moi, l'intime conviction. J'arrête le moteur, je sors de la voiture et je m'interroge. Il y a quelque chose d'étrange. Une impression qui flotte dans l'air inexistant de ce lieu. Je ne suis pas ici pour rien. D'autres sont là, quelque part. Quelqu'un m'attend...où quelque chose. Un bruit attire mon oreille. C'est un bruit de machine, un petit moteur, un robot. Je trouve la provenance du son familier. C'est une caméra qui se tourne vers moi. Une caméra de surveillance de l'autoroute. La caméra s'arrête face à mon visage. Je la fixe des yeux. Qui est de l'autre côté ?