T'es pas ma mère

sophie-l

SYNOPSIS

Episode 1 :

Aurélie et Marion, sa fille de sept ans s’apprêtent à partir en vacances avec Diego, le compagnon d’Aurélie.

Elles attendent son retour alors qu’il est parti chercher sa propre fille, Camille, adolescente perturbée de 16 ans.

L’ambiance est tendue…

La famille prend la route et fait halte sur une aire d’autoroute baptisée « le Trou ». Accédant à la demande de Camille, Aurélie l’accompagne aux toilettes. A leur retour, la jeune femme semble abattue. Refusant de répondre aux interrogations inquiètes de Diego, elle s’emporte et quitte la table.

Diego part à sa recherche, sans succès.

Camille entame alors une étrange conversation avec Marion.

Episode 2 :

Diego refuse de céder à la panique malgré les allusions ironiques de Camille au sujet des disparitions liées à l’A666. Excédé, il cherche à savoir ce qu’il s’est passé dans les toilettes des dames, mais la nonchalance affichée de Camille l’exaspère autant qu’elle l’inquiète : Serait-elle mêlée à la disparition de sa belle-mère ?

Episode 3 :

Alors que Diego décide de quitter l’aire de repos et de s’adresser à la police, Marion, sur les conseils discrets de Camille, refuse de le suivre. N’ayant aucune intention de lui céder, il l’oblige à monter dans la voiture. Les autoroutiers, alertés par les cris de la fillette, interviennent et appellent la police.

Episode 4 :

Le climat familial se dégrade : Marion est paniquée et réclame sa mère. Camille, fébrile, ne cesse  de jeter des coups d’œil impatients au parking, comme si elle attendait quelque chose ou quelqu’un.

Diego, quant à lui, a bien du mal à expliquer aux policiers la disparition de sa compagne adulte et saine d’esprit ainsi que la présence à ses côtés d’une enfant qui n’est pas la sienne et qui refuse de le suivre…

Episode 5 :

Devant le refus hystérique de Marion – étrangement soutenue par Camille -  de quitter les lieux, la police décide de rester sur place afin de démêler une situation de plus en plus trouble. Chaque membre de la famille est interrogé à part : Mais qui est vraiment Aurélie ?

Episode 6 :

Aucune trace d’Aurélie aux alentours immédiats de l’aire d’autoroute. Les policiers envisagent une disparition volontaire…

En revanche, le cas de Marion pose problème : Elle ne peut rester auprès de Diego qui n’a aucun lien de parenté avec elle.

Episode 7 :

Les recherches s’orientent vers la famille d’Aurélie et Marion. Diego est dans l’incapacité de donner le moindre renseignement et se rend compte qu’il sait bien peu de choses sur sa compagne. Qui est-elle vraiment et qui va s’occuper de la petite fille ?

Episode 8 :

Après de longues négociations, Marion semble enfin décidée à quitter l’aire d’autoroute : Si elle veut retrouver sa mère, l’enquête doit se poursuivre au poste de police. Camille, visiblement contrariée par cette décision, essaie de retarder le départ. Pourquoi ?

Episode 9 :

A bout d’arguments, Camille se laisse entraîner vers le parking. Soudain, elle se fige. A quelques pas d’elle, un couple très agité vient de descendre de voiture, une enfant à leur côté. A sa vue, tous sont saisis de stupeur…

Episode 10 :

Les mois ont passé.

Diego rend visite à sa fille internée dans un hôpital psychiatrique. D’après les médecins, l’état de la jeune fille empire… Pour preuve, cet étrange récit écrit par l’adolescente sur la mystérieuse disparition de sa mère…

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Episode 1 :

-         Maman ! Maman !

Au loin, les cris d’excitation de Marion tirent Aurélie d’un sommeil lourd duquel elle ne peut – ne veut – s’extraire. Elle a toujours aimé cet état de perte de conscience qu’il lui procure. S’en arracher est une source quotidienne de souffrance.

Pourtant, les pas précipités qu’elle entend dans l’escalier, la porte qui s’ouvre violemment, la force à ouvrir les yeux autant que les bras pour y recevoir son ouragan de fille : Marion a sept ans et toute l’énergie qui va avec.

Elle mêle ses cheveux bruns à la chevelure flamboyante de sa mère, plante son regard noir dans les prunelles vertes d’Aurélie :

-         Debout maman ! Ils vont bientôt arriver et Diego a dit qu’il faudrait partir tout de suite si on veut éviter les bouchons ! Allez maman ! Lève-toi !

La petite fille s’échappe des bras possessifs de sa mère, tire la couette au bas du lit et ouvre les rideaux aussi vite que ses bras frêles le lui permettent.

-         Regarde comme il fait beau ! Tu crois que la mer sera chaude ? Camille m’a promis qu’elle m’apprendrait à nager le crawl et à plonger ! Je me demande s’il y aura un plongeoir dans la piscine de l’hôtel…

A l’évocation de Camille, Aurélie sent une boule d’angoisse s’installer et grossir dans son estomac. Elle enfouit sa tête sous l’oreiller dans le vain espoir d’oublier l’existence de la jeune fille, mais son visage fait irruption dans son esprit et, malgré ses efforts, l’image de l’adolescente de 16 ans au sourire froid s’incruste dans son cerveau.

Lorsqu’au début de leur relation Diego lui avait parlé de sa fille, elle avait eu pitié de cette enfant, quasi-orpheline de mère dont le père, dépassé sans doute, ne savait qu’en faire. Elle avait fait des efforts, elle avait essayé, vraiment essayé… La gamine avait tout refusé en bloc : Elle, Marion, le bonheur de Diego, une vie de famille enfin paisible. Son père avait fini par la renvoyer dans son pensionnat, au grand soulagement coupable d’Aurélie.

Malheureusement, il restait les vacances… Ces foutues vacances à rallonge qui revenaient invariablement toutes les sept semaines ! Et cette fois-ci, elle en prenait pour deux mois.

-         Tu crois que Camille voudra bien faire son baptême de plongée avec moi ? babille Marion, j’aimerais bien parce que toute seule, j’aurais un peu peur et puis Camille…

-         Tu peux arrêter cinq minutes avec Camille, s’il te plaît ? soupire sa mère en se levant. Elle n’est pas encore arrivée qu’on dirait qu’il n’y a plus qu’elle qui existe !

Puis, devant le visage interrogatif de l’enfant :

-         Excuse-moi ma chérie… Oui, je crois qu’elle voudra bien faire de la plongée avec toi. On lui demandera tout à l’heure, d’accord ?

Malgré elle, Aurélie se méfiait de ce brusque changement d’attitude. Il y a quelque mois encore, sa fille ne suscitait qu’aversion auprès de l’adolescente. Pourtant, aux dernières vacances, elle semblait s’être prise d’affection pour la petite fille, comme si elle s’était parée d’un intérêt jusque-là méconnu. Diego s’en était réjoui, voyant là une amélioration certaine du comportement affectif de Camille. Aurélie, quant à elle, avait du mal à partager ce sentiment. Plus le temps passait, plus le malaise qu’elle lui inspirait grandissait. Et l’attention qu’elle portait à Marion n’y était pas étrangère…

La jeune femme secoue la tête, pousse un long soupir et sourie à Marion dont l’excitation finit par la gagner. « Après tout, on est une famille recomposée qui part en vacances avec une ado acariâtre qui déteste sa belle-mère. Classique ! »

Et Aurélie se prépare déjà à la crise qu’ils vont devoir subir lorsque Diego annoncera à sa fille qu’ils ont décidé de se marier… Elle est certaine que la nouvelle provoquera un raz de marée dans leurs vacances déjà menacées par les tourmentes post-pubères !

Elle regarde l’heure : 10 heures.

Ils ne vont pas tarder à arriver.

Camille va bientôt franchir la porte.

Camille et sa mine renfrognée.

Camille et son air sournois.

Camille et son regard accusateur.

Camille et l’ombre de sa mère folle et internée.

« Fait chier » marmonne Aurélie.

Une, puis deux portières qui claquent. Des pas sur l’allée en gravier. Une clé qui se glisse dans la serrure, la porte qui s’ouvre sur Camille et Diego. Que les vacances commencent !

-         Aurélie ! Marion ! Les filles ? On est là !

La voix joyeuse de Diego chasse les idées noires d’Aurélie qui descend les accueillir. Elle l’aperçoit, en bas des escaliers. D’une main, il pose la valise de sa fille, de l’autre, il attire la jeune femme contre lui, l’embrasse dans le cou tout en lui glissant un rassurant « tout va bien » avant de faire place à Camille demeurée derrière lui.

Aurélie prend une longue inspiration, plaque sur ses lèvres un sourire détendu au moins aussi grand que la boule qui n’a cessé de grossir dans son ventre depuis le matin.

La jeune fille se tient maintenant devant elle. Comme à chaque fois, sa vue provoque ce trouble qu’Aurélie ne s’explique pas. Ce n’est pas tant l’apparence de cette adolescente plutôt quelconque qui la dérange, ni son comportement volontairement provocant, non, ce qui la glace, ce sont ces yeux froids qui la scrutent en permanence, en recherche perpétuelle. Et, alors qu'Aurélie s'approche pour l'embrasser, le regard qu'elle croise lui apprend que la quête a abouti...

Si cette révélation déstabilise la jeune femme, elle n’en montre rien. Au contraire, c’est avec un enthousiasme exacerbé qu’elle accueille l’adolescente :

-         Camille, ma chérie ! Comment vas-tu ? Laisse-moi te regarder… Mon Dieu que tu as changé !! Tu as grandi non ? Maigri aussi… En tout cas, ça te va très bien ! Et l’école, ça va ? Tu…

-         Te fatigue pas, l’interrompt Camille, je suis sûre que t’es ravie de me voir… comme moi d’être ici.

Un silence chargé d’hostilité s’installe entre les deux femmes, Diego pousse un long soupir, s’apprête à reprendre les rênes de l’échange lorsque Marion dévale les escaliers et se jette dans les bras de Camille. Son irruption enfantine fait illusion, chacun fixe son attention sur la petite fille dont la joie est contagieuse.

-         Allez hop ! s’exclame Diego, un petit café et on décolle !

-         On passe par où ? demande Aurélie

-         Autoroute, comme d’habitude.

Camille se penche sur Marion et murmure, assez fort toutefois pour être entendue de tous :

-         L’autoroute A666, la route du Diable…

-         Tais-toi Camille, tu lui fais peur, dit Aurélie en entourant de ses bras la petite fille intriguée.

-         Mais non maman, j’ai pas peur ! Dis Camille, pourquoi c’est la route du Diable ?

-         Parce que depuis qu’ils ont construit cette autoroute, il y a eu plein de disparitions inexpliquées… Alors, on l’a baptisée l’autoroute A666, du chiffre du Diable… Peut-être qu’on ne va jamais arriver… Peut-être qu’on va se faire enlever par des êtres maléfiques pour expier nos péchés…

Avant de s’élancer à la poursuite de Marion qui pousse des hurlements plus ravis qu’apeurés, Camille ajoute, à l’attention du couple :

-         Et vous ? Vous en avez des péchés à expier ?

Aurélie est perplexe, alors que Diego s’esclaffe :

-         Oh mon Dieu, je crains que ce ne soit le prélude à sa métamorphose gothique ! T’imagines ? On va bientôt se retrouver avec la fille de la famille Addams ! Comment elle s’appelle déjà ?

-         Wednesday.

-         C’est ça ! Je t’appelle tout de suite Morticia, ou on attend un peu ?

-         C’est tout ce que tu trouves à dire ? Ta fille fout une trouille bleue à Marion avec ces histoires de Diable, et toi, ça te fait rire ???

-         Arrête Aurélie… Ce n’est qu’une gamine qui s’amuse… Laisse-lui au moins le bénéfice du doute avant de l’accuser de traumatiser la petite, qui, d’après les rires que j’entends, est en passe d’en mourir!

Comme elle lui jette un regard outré, Diego s’empresse de rectifier :

-         De rire Aurélie ! De rire !! C’était une blague…

-         Mouais… Il n’empêche que j’aimerais que ta fille et toi mettiez en veilleuse votre sens de l’humour douteux !

-         Déstresse ma belle, dit Diego en l’embrassant, c’est les vacances, on va se détendre et profiter ok ? En attendant, on y va, la route est longue et je ne voudrais pas être encore sur l’autoroute quand la nuit tombera. On n’est jamais à l’abri d’une rencontre maléfique…

-         DIEGO !!!

Aurélie l’observe qui s’enfuit en riant. Peut-être a-t-il raison après tout. Camille est une enfant perturbée qui ne cherche qu’à les provoquer, ce n’est pas la première fois et ça ne sera certainement pas la dernière.

« Pas de quoi virer parano. » se moque-t-elle.

Elle rejoint le reste de sa famille, décidée, malgré tout, à profiter de leurs vacances.

            Ils roulent depuis plusieurs heures sur une autoroute fluide. A l’arrière, Marion regarde un film, Camille scrute le paysage, pensive. Le silence s’est installé dans l’habitacle, interrompu par les chansons délicieusement nostalgiques diffusées par la radio.

-         Papa, tu peux pas changer de station ? C’est naze ton truc !

-         Tu n’as pas ton ipod ? D’habitude, on n’arrive jamais à t’en dévisser les oreilles.

-         J’ai oublié de le recharger… On s’arrête quand au Trou ?

-         D’ici une heure environ. Tu as faim ?

-         Nan, je peux attendre. J’aime bien le Trou.

-         On pourrait pas s’arrêter ailleurs pour changer, intervient Aurélie.

-         Ah non ! Le Trou, c’est sacré, hein ma puce ? Quand on a commencé à prendre cette route, il n’y avait presque pas d’aires de repos. On a pris l’habitude de s’arrêter au Trou, qui ne s’appelle pas le Trou d’ailleurs, vu que c’est nous qui l’avons baptisé comme ça tellement c’était mort autour. Depuis, c’est devenu une sorte de rituel. Pas question d’aller se perdre dans un autre Trou !

-         Très drôle papa…

-         Merci ma chérie !

Ils roulent encore quelque temps sans parler lorsque Camille rompt de nouveau le silence :

-         Qu’est-ce qu’il est devenu le père de Marion ?

Stupéfaite par cette question aussi soudaine que mal venue, Aurélie s'assure que sa fille a toujours les yeux rivés à l'écran avant de répondre:

-         Tu le sais Camille, le père de Marion est mort lorsqu’elle était bébé.

-         Oui, mais j’veux dire, comment il est mort ?

-         Il était malade.

-         Quoi comme maladie ? Un cancer, un truc comme ça ?

-         Ecoute, je n’ai pas très envie d’en parler d’accord ?

-         Ben quoi ?! C’est comme même pas un secret, si ?

-         Camille, arrête s’il te plaît. Aurélie vient de te dire qu’elle ne souhaitait pas en parler.

-         A moins qu’il soit mort fou, comme ma mère, enfin, sauf qu’elle, elle n’est pas encore tout à fait morte, hein papa ?

-         Camille, ça suffit ! s’emporte son père.

-         Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu cries Diego ? demande Marion qui vient d’enlever ses écouteurs, vous vous disputez ?

-         Ne t’inquiète pas mon ange, on discute, c’est tout.

-         Ouais, on parlait de ton  père, fait Camille, un sourire mauvais aux lèvres.

-         CAMILLE !!! JE T’INTERDIS !!! hurle Aurélie.

-         Ca va, ça va… T’énerve pas ! Heureusement que t’es pas ma mère, ça ne doit pas être rose tous les jours la vie avec toi !

-         Camille, excuse-toi tout de suite ! exige Diego

-         Pourquoi ? J’ai rien dit de grave.

-         Excuse-toi Camille, s’il te plaît ! TOUT DE SUITE !

-         Je m’excuse… N’empêche, glisse-t-elle tout bas à Marion, heureusement que ta mère, c’est pas ma mère…

Diego, dont le regard est fixé sur la route, sent celui de sa compagne lui brûler les épaules. Il sait qu’elle aimerait qu’il dise quelque chose, qu’il s’arrête sur le bas-côté pour sermonner Camille. Mais, et elle le sait aussi, la culpabilité le ronge tellement qu’il en est incapable. Ce n’est pourtant pas de sa faute si son ex-femme est schizophrène, s’il a dû la faire interner, contre sa volonté, mais pour leur bien à tous les trois.

Se séparer de sa mère avait été, pour Camille, une douleur effroyable. Elle en avait voulu à sa mère pour son incapacité à guérir, à son père pour l’avoir rayée de leurs vies. Leurs relations s’étaient alors tellement compliquées que Diego s’était résolu à l’inscrire dans un pensionnat pour enfants psychologiquement fragiles. Il y avait eu du mieux pendant quelques temps, jusqu’à l’année dernière, lorsqu’il lui avait présenté Aurélie. La psychiatre qui suivait sa fille l’avait  prévenu : accepter celle qu’elle considérait comme une usurpatrice prendrait du temps. Il convenait que lui, son père, l’entoure de la plus grande affection et surtout, qu’il fasse preuve de beaucoup, beaucoup de patience.

C’est précisément cette patience qui mettait Aurélie hors d’elle. Pour la jeune femme, Diego était trop faible avec sa fille qui profitait de la situation Elle ne niait pas le traumatisme subi par l’adolescente, toutefois, la maladie de sa mère avait bon dos et elle estimait qu’un peu plus d’autorité ne nuirait pas à son équilibre.

Ils avaient abordé le sujet de nombreuses fois : cela se terminait invariablement par des disputes dont ils ressortaient frustrés. Aussi, Diego se refusait-il à tourner la tête pour soutenir son regard, il ne souhaitait pas commencer les vacances par un débat sur l’éducation de sa fille.

C’est avec soulagement qu’il aperçoit enfin la sortie vers le Trou. Camille, qui l’a vue aussi lui crie :

-         Papa, c’est là ! Sors… mais sors !!

-         C’est bon Camille, j’ai vu ! Crie pas comme ça !

Aurélie intervient, maussade :

-         De toute façon, un sandwich ici ou ailleurs, ça aura toujours le même goût de caoutchouc…

-         Justement, je vous invite au restau !

-         Je croyais que tu ne voulais pas perdre de temps ?

-         Ouais, ben ça remettra tout le monde de bonne humeur, si tu vois ce que je veux dire….

C’est une aire d’autoroute on ne peut plus banale, peut-être un peu plus petite que la moyenne. Pas de station-service, juste une sandwicherie et une cafétéria déguisée en restaurant gastronomique. Le parking est petit, une centaine de places au plus, et on s’imagine bien pourquoi, il y a quelques années, ils ont baptisé l’endroit « le Trou » : difficile de se perdre dans un lieu pareil…

La famille pénètre dans le restaurant, Diego repère une table près de la fenêtre avec vue sur une petite terrasse devant un petit bois. Camille leur fait signe de s’installer sans elle :

-         Allez-y, je fais un tour aux toilettes avant.

Puis à Aurélie :

-         Tu m’accompagnes ?

Peu habituée à ce genre de sollicitude, elle hésite, interroge Diego du regard qui l’encourage discrètement : « Ce n’est pas l’invitation du siècle, mais elle fait des efforts, vas-y. »

-         On vous attend à table avec Marion, dit-il en s’éloignant.

-         Dis-donc, elles en mettent du temps, s’impatiente Marion.

-         Tu m’étonnes… On mange ?

-         On ne les attend pas ?

-         Ca les fera arriver.

-         Ah ben oui, t’as raison, les voilà !

La bonne humeur de Diego s’envole en un quart de seconde.

Elles marchent côte à côte.

Camille, droite et fière, affiche un air satisfait qui lui confère une assurance qu’il ne lui avait jamais remarqué jusque-là.

A l’inverse, Aurélie, dont les yeux expriment un mélange de colère et violence difficilement contenues, semble se voûter sous le poids d’une masse invisible.

Pas de doute, ces deux-là ne se sont pas contentées de se repoudrer le nez…

Camille s’installe la première, bruyamment :

-         J’ai hyper faim ! Pas toi ?

Aurélie s’assoit à son tour, sans répondre. En l’observant plus attentivement, Diego remarque qu’elle a pleuré. Il essaie de lui prendre la main mais elle se dérobe autant qu’elle fuit son regard.

-         Il s’est passé quelque chose ?

-         Rien. Pourquoi ? dit Camille

-         Ce n’est pas à toi que je m’adresse ! Aurélie… Ca ne va p…

La jeune femme lui coupe sèchement la parole :

-         Ca va, ça va !

-         Mais non écoute, je vois bien que ça ne va pas. Tu veux qu’on en parle?

-         Non ! Je te dis que ça va !

-         Mais enfin Aurélie, j’ai le droit de savoir…

-         Rien du tout !! explose-t-elle en se levant brusquement. Vous n’avez le droit de rien du tout ! Ni les uns, ni les autres ! Foutez-moi la paix !

Eberlués, ils la regardent quitter le restaurant en courant. Diego retient Marion qui veut partir à la suite de sa mère. La petite fille apeurée éclate en sanglots dans ses bras.

-         Tu veux me dire ce qu’il s’est passé entre Aurélie et toi ?

-         Mais rien, j’te promets !

-         Qu’est-ce que tu lui as dit pour la mettre dans un état pareil ?

-         Je lui ai demandé de me tenir la porte des toilettes, si tu veux vraiment le savoir…

-         Te fous pas de moi s’il te plaît !

-         Mais papa, c’est la vérité ! Je ne lui ai rien dit ! Pourquoi tu ne me crois pas ?

Diego dévisage sa fille. Il sait qu’elle ment. Elle soutient son regard sans ciller, un sourire à peine perceptible au coin des lèvres. Comme elle ressemble à sa mère !

-         Tu crois que le Diable va l’enlever ? hoquète Marion

Il fixe Camille intensément avant de rassurer la fillette :

-         Mais non ma chérie, que vas-tu imaginer ? Ta maman va revenir dans une minute. Elle est juste un peu… énervée. Comme toi quand tu claques la porte de ta chambre, tu vois ? On va tranquillement finir de déjeuner et après… on verra.

Chacun finit son assiette en silence. Celle d’Aurélie reste pleine devant sa chaise vide.

N’y tenant plus, Diego se lève :

-         Vous ne bougez pas d’ici. Je vais la chercher et on repartira juste après. Camille, tu restes avec Marion ok ?

-         Mmmm…

-         Camille, je suis sérieux, d’accord ?

-         Oui papa… ironise l’adolescente, je vais bien m’occuper d’elle…

Diego hésite une minute. Le comportement étrangement calme de sa fille l’inquiète. Elle n’a pas l’air de se rendre compte de la situation, ou peut-être que si, justement. Que s’est-il donc passé entre elles deux pour qu’Aurélie s’enfuie comme ça ?

-         Je compte sur toi pour ne pas lui faire peur avec tes histoires d’autoroute, ce serait de très mauvais goût. Tu as compris Camille ?

-         T’inquiète. On va parler de trucs de filles, pas vrai ma grande ?

-         C’est quoi des trucs de filles ? interroge Marion.

-         Des secrets…

Il se rend directement à la voiture, l’imaginant déjà assise à la place du passager, boudeuse, prête à lui déverser tout le mal qu’elle pense de Camille et du laxisme dont il fait preuve à son égard. Il en vient même à souhaiter qu’elle lui fasse une scène. Il se promet de l’écouter sans moufter, de faire amende honorable et de jurer sur ce qu’elle voudra qu’il va sévir.

Il se hâte vers le parking, impatient maintenant de la rassurer, de la cajoler. Il ira même jusqu’à accepter de reparler de cette histoire d’adoption qui lui tient tant à cœur depuis qu’elle sait qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants. Oui, il lui dira tout ce qu’elle veut entendre : C’est elle, la femme de sa vie.

La voiture est là, à quelques mètres seulement. Il ne distingue pas bien l’habitacle mais il est sûr qu’elle l’attend.

Il s’approche, se penche, regarde par la vitre.

La voiture est vide.

-         Elle est bonne ta glace ?

-         Tu veux goûter ?

Camille porte la cuillère à sa bouche :

-         Ouais. Mmm, j’adore la pisatche. Mon père aussi adore la pisatche…

Elle se penche et ajoute :

-         Et le tien ? Il l’aimait la pistache ?

La petite fille continue à déguster son dessert, imperturbable :

-         Ch’ais pas.

-         Comment ça, tu sais pas ?

-         Ben non, il est mort quand j’étais toute petite.

-         Tu ne te souviens pas de lui ?

-         Non.

-         Même pas en photo ? T’as bien des photos de ton père non ?

L’enfant s’arrête de manger, réfléchit un instant :

-         Non.

-         T’as pas de photos de ton père et ta mère avec toi quand t’étais bébé ?

-         Ben non, j’te dis !

-         C’est que tu n’as pas de père alors…

Marion fixe Camille, les larmes aux yeux. La jeune fille lui tapote doucement la main :

-         C’est pas grave tu sais, y’a plein de gens qui n’ont pas de père ! L’important, c’est d’avoir une maman…. Et d’être sûre que c’est la sienne.

-         Ma maman, c’est ma maman ! martèle la fillette

-         Bien sûr ! Et puis, avec les mamans, c’est facile de savoir parce qu’elles nous montrent toujours des photos d’elles avec leurs gros ventres… des photos à la maternité… tout ça…

-         C’est quoi la maternité ?

-         C’est là où les mamans ont leurs bébés, tu savais pas ?

-         Non.

-         Ta mère ne t’a jamais montré de photos.

-         Je sais pas…

-         C’est bizarre quand même non ?

-         …

-         Tu vois, ma mère par exemple, bon, elle est folle d’accord, mais ça ne l’a jamais empêché de me montrer les photos de ma naissance.

Marion s’est arrêtée de manger. Elle ne comprend pas bien les propos que Camille lui tient mais son instinct de fillette lui souffle de se méfier, de ne plus écouter ce que la jeune fille lui dit. Pourtant, avant qu’elle n’ait eu le temps de se boucher les oreilles, elle l’entend qui murmure, presque pour elle-même :

-         Ta mère, c’est pas ma mère, mais c’est peut-être pas la tienne non plus…

20089 caractères (word)

  • C est rare que je lise quand ça contient plus que 5 pages....mais là....j en veux encore...

    · Il y a environ 12 ans ·
    Image

    mery

  • Marie-Sophie,
    bravo et j'espère que votre livre sera primé.
    Valjean

    · Il y a environ 12 ans ·
    Mouette des iles lavezzi orig

    valjean

  • Wouah ! Je m'étais promis de ne pas lire le synopsis et de me satisfaire du premier chapitre mais je n'ai pas résisté (et oui, je résiste à tout sauf à la tentation...).
    Différent de ton style habituel et parfaitement bien mené. Je suis accroché.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Ça peut faire une très bonne série comme un très bon film et évidement un très bon livre..il est indéniable qu'on est pris par l'histoire et l'énergie qui s'en dégage

    · Il y a environ 12 ans ·
    Welcome1

    cecilia

  • bien bien ficelé!!ca se lit vite et vivement les autres chapitres!!!elle m'intrigue beaucoup cette Camille!!!

    · Il y a environ 12 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

  • Scotchée sur mon écran jusqu'au bout et j'ai adoré !
    tu as superbement planté les personnages et leurs caractères.
    j'ai hâte de lire la suite :))

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 0285 300

    thalia

  • Merci à ceux qui iront jusqu'au bout de ces 19 pages à lire sur écran!

    · Il y a environ 12 ans ·
    Adam orig

    sophie-l

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