De l'autre côté de l'horizon

D. A.

"Quand l'Homme rencontre l'Oiseau..." Quelques mots qui évoquent un semblant de mélancolie mêlé à un univers utopiste

19 avril 2015 : Aujourd'hui le ciel est bleu. Mélange d'espoir et de désespoir dans les méandres de mes pensées les plus noires. Autour de moi, rien. Un peu de terre, un oranger et puis l'horizon, cette barrière ensorcelée et ensorceleuse qui me drague et m'effraie à la fois. Elle me rappelle le mur qui séparait les filles et les garçons à la récréation quand j'avais 8 ans. Qu'y a-t-il derrière elle? Des garçons ? Je sais pas trop. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a toujours le ciel, et qu'aujourd'hui le ciel est bleu.

Je tourne la tête. Doucement. J'ai attrapé un torticolis cette nuit en voulant regarder les étoiles à travers mon double vitrage. Manque de bol. Ça fait mal. Un oiseau, immobile, est posé sur une pile de vieux déchets parmi lesquels je reconnais une vieille Bible, à moitié bouffée par les ravages du temps. Le temps est précieux, on me l'a souvent dit mais ce qu'on a oublié de me dire, c'est qu'il était aussi long, interminable, insupportable. Attendre, espérer, vouloir que quelque chose se passe, c'est long. Un peu comme quand on déclare sa flamme à quelqu'un et qu'on attend sa réponse : quelques secondes d'éternité. J'ai un peu de mal à discerner ce que c'est vraiment, je parle de l'oiseau, pas du temps - j'essaie d'apprendre à ne plus attendre que le temps passe. Ça pourrait être une pie, un moineau, une colombe, je sais pas trop. Je reste là, je le regarde. Et puis de toute façon, j'ai rien d'autre à foutre.

19 avril 2015. Aujourd'hui le ciel est bleu. Le vide que je vois dans son regard me bouleverse. Je pourrais partir, rejoindre les autres, virevolter, danser, chanter…Mais non, je reste. Car son regard est vide, et que le vide me fait peur. Quand je dis vide, je parle de l'inexistence de l'être humain, de l'âme qui a été faire un tour du côté des Limbes et qui a du mal à trouver l'issue. J'aimerais lui expliquer à quel point c'est beau là-bas, de l'autre côté de l'horizon. Lui dire qu'il y a des prairies, du bois à couper, des fleurs à cueillir et des graines à planter. L'amour aussi est là-bas ; il est beau comme un soleil, tu sais ce même soleil que dessinent les enfants avec les rayons qui ressemblent à des triangles. Mais elle ne m'entend pas, son cœur est sourd, aveugle et fermé à double tour, il ne croit plus en l'amour ni à la beauté de la vie, il ne croit plus aux étoiles.

Là-bas pourtant les enfants jouent dans l'herbe, ils poursuivent les papillons et disent bonjour aux oiseaux. Parfois quand je chante, je vois leur sourire et leurs yeux qui commencent à briller, comme des étincelles, des éclats de verre ou un miroir dans le sable. Plus loin, les amoureux se bécotent, se disent des mots doux et s'envoient en l'air derrière un arbre, dans une cabane ou près de la rivière. Est-il possible de vivre sans amour, sans ce truc qui cogne dans ton corps jusqu'à cogner si fort que ça te donne le vertige ? Je sais pas. Mais quand je la regarde, la dame au regard vide, je me dis qu'il faudrait que je l'emmène là-bas, où les oiseaux chantent, où l'amour existe et où le temps passe trop vite, comme quand on doit dire au revoir à quelqu'un qu'on aime. Tic-tac, il faudrait que le temps s'arrête, quelques minutes, quelques secondes, juste un instant.

24 avril 2015. Aujourd'hui le ciel est gris. Mélange d'espoir et de désespoir dans les méandres de mes pensées les plus noires. 120 heures se sont écoulées depuis la dernière fois que je t'ai écrit et rien ne semble avoir changé, si ce n'est que la vieille Bible n'est plus là et que le ciel n'est plus bleu. Le semblant d'espoir que je gardais en moi s'en est allé avec lui, atteint par la grisaille et la fine pluie qui commence à toucher mes joues. On dirait des larmes…Si seulement je pouvais pleurer, crier, hurler. Mais non, tout est cassé à l'intérieur de moi, j'ai pas encore trouvé le médecin capable de réparer mes problèmes de tête, de cœur, de corps, de tout. Alors j'attends, comme la semaine passée, comme hier puis comme demain. Attendre que quelque chose se passe, c'est long.

Il est toujours là, lui. Je parle de l'oiseau. Je comprends pas pourquoi il reste là, est-ce encore plus triste derrière l'horizon ? Je crois que c'est une pie. J'aimerais pouvoir lui poser mille questions sur l'ailleurs, sur l'autre monde, sur l'imaginaire de mon imagination qui imagine un inimaginable. Parfois, je me dis que je pourrais le suivre, m'accrocher à ses ailes et tout découvrir d'en haut, tout sentir et me dire « c'est ça, la vie ! », comme un enfant qui comprend pour la première fois la règle de 3 en mathématiques. Délivrance.

24 avril 2015. Aujourd'hui le ciel est gris.  Son regard est aussi vide que la dernière fois. Son visage, pâle, sans vie, sans rien me fait frissonner. Comment pourrais-je l'aider ? J'aimerais lui dire que de l'autre côté c'est beau, que les enfants sautent à deux pieds dans les flaques d'eau et qu'ils s'éclaboussent les uns les autres en riant fort, si fort que ça en devient douloureux. Plus loin, les amoureux sautillent main dans la main pour trouver un abri contre la pluie, contre ces goutes qui tombent, mouillent et arrosent leur visage et leur rappellent qu'ils sont en vie. Sur la route, ils prennent le temps de s'arrêter pour s'offrir un baiser, celui de l'amour qui passionne et qui inspire les poètes les plus fous, celui qui éblouit même quand le ciel est gris.

Je pourrais l'emmener vers les prairies qui restent vertes même quand il pleut, vers les trottoirs où chancellent les heureuses victimes de l'amour, vers les rivières où se baignent les plus courageux qui gueulent comme s'ils découvraient que l'eau mouillait. Pourrais-je me poser sur son épaule et lui dire que la vie est belle, douce et étonnante, qu'elle illumine les teints gris et transforme le vide en quelque chose de fort, de coloré, de vivant. Comme une bouffée de chaleur, une lueur d'espoir dans un cœur trop usé. Je pourrais lui dire tout ça, mais le ciel est gris aujourd'hui, attendons demain.

30 avril 2015. Des nuages. Mélange d'espoir et de désespoir dans les méandres de mes pensées les plus noires.  Autrefois je m'amusais à voir des choses à travers cette masse blanche et opaque : un cerf, un cheval au galop, une fleur qui éclos, un enfant qui court. Aujourd'hui je ne vois qu'une masse blanche et opaque.

Il ne veut pas partir, l'oiseau. Veut-il me dire quelque chose ? Je sais pas. Je pourrais le suivre, partir avec lui pour découvrir ce qu'il y a derrière l'horizon. Est-ce que la vie est plus belle, le monde plus beau, le ciel plus bleu ? Est-ce qu'il y a des garçons ? Je pourrais me lever, ouvrir les yeux et avancer jusqu'à ce que je l'atteigne, l'autre monde. Non, une autre fois. Quand le ciel sera bleu.

30 avril 2015. Des nuages. Pour la première fois, je l'ai vue sourire. Ça m'a foudroyé, comme un coup de tonnerre en pleine nuit, comme une bombe qui était coincée dans mon cœur depuis des jours, des mois, des années et puis qui explose. C'est peut-être le moment de lui dire que là-bas, derrière l'horizon, il y a des prairies, du bois à couper, des fleurs à cueillir et des graines à planter.

Je me décide enfin à l'aider et me pose sur son épaule. Pas un geste de sa part. Muette, pâle, faible, froide, elle ne dit rien. Comme si elle avait mis les voiles, comme si elle avait décidé de partir dans les Limbes, comme si elle avait abandonné la vie. C'était peut-être pour ça, le sourire…un soulagement, un peu de liberté dans la prison qu'elle s'était construite avec les bras ballants, le cœur serré et l'âme enfouie. Comment pourrais-je l'aider maintenant ? Si seulement j'avais pu lui dire que, pour atteindre l'horizon, la vie, l'amour et les garçons, il n'y avait qu'un pas… Je lève les yeux, le ciel est bleu. Mais il y a des nuages.

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