Demain ce soir avant Episode 2
Magali Gasnault
Il est presque 19 heures lorsque je descends du TER 871644. Je n'en reviens pas ! Au lieu des 2 heures habituelles de trajet, j'ai mis presque le double pour poser mes pénates à Gourdon ! Je précise, je détaille ! Toute guillerette, je parviens à choper le train de 14H44. Je me faufile dans l'étroit couloir du wagon numéro 8 et jette mon dévolu sur une place côté fenêtre, dans le sens inverse de la marche. Parfait pour ma concentration. J'ouvre mon carnet à idées. Reparfait ! Je suis en phase, du moins c'est ce que je crois. Des images défilent dans mon esprit. Je repense à Nougat et à mon tapis marocain. Je pourrais utiliser cela pour commencer mon texte. Mais pour en faire quoi ? Non ! Pas bon ! Le train file, je me torture les méninges. Mon esprit part dans tous les sens. Je rature plus que je n'écris. Je capitule et je décide d'allumer mon ordi afin de regarder pour la énième fois Burn after reading des frères Coen lorsqu'une secousse manque de faire valser mon ordi. Les freins du train poussent un hurlement horrible puis tout s'arrête. Nous sommes en pleine cambrouse. Immobilisés entre Cahors et Dégagnac. Génial ! Les quelques passagers du wagon échangent des regards interrogateurs. Personne encore n'ose ouvrir le bec mais l'envie d'éructer un commentaire désagréable n'est pas très loin. Aussi, quand nous apprenons que le train a percuté un sanglier désorienté , que la locomotive est naze et que nous devons attendre qu'un autocar vienne nous prendre en charge, les remarques fusent. Je m'enfonce dans mon fauteuil et dans mon film. Je refuse de me joindre au concert de protestations. Attendons donc ! Dans un temps plus ou moins long, je serai calfeutrée au creux de ma maison, blottie au creux de la rue Sourde. Là, au rythme des cloches de l'église Saint-Pierre, je vais être plus brillante, plus imaginative, incisive que jamais. Je vais te pondre une nouvelle aux petits oignons. N'empêche, à cause de ce sanglier, candidat au suicide, j'ai les abeilles.
Je suis encore fumasse d'avoir été bloquée dans le train. D ‘un pied rageur, je gravis le chemin des Pargueminiers. Et je fixe du regard le drapeau rouge serti de la croix occitane qui flotte au plus haut de la butte, sur cet éperon rocheux où jadis se dressait le château des seigneurs de Gourdon et dont il ne reste que les murailles. Pas à pas, je me rapproche de mon but. Je franchis la porte du Mazel, je grimpouille la ruelle du Marsis où les maisonnettes s'égrènent. Je débouche alors sur la place de l'Hôtel de Ville sur laquelle trônent l'imposante église gothique fortifiée ainsi que l'ancien hôtel des consuls devenu la mairie. Le goupillon et Marianne côte à côte, je trouve cet assemblage cocasse. Ma mauvaise humeur s'apaise lorsque je m'enfonce dans la rue Sourde. Cette ruelle médiévale, étroite avec ses hauts murs en pierre du Lot, me donne toujours l'impression de quitter le monde moderne pour atteindre un cocon protecteur et intemporel.
Je glisse la clé dans la serrure. Tiens, tiens. La porte, massive, n'est pas verrouillée. Au cas ou, je tourne la clé vers la droite. Oui, là, elle est bien fermée. J'actionne la clé en sens inverse et imprime une légère pression sur la porte pour l'ouvrir. Y a quelqu'un ? Quelle idiote de crier comme cela, si un intrus est dans la maison, je doute qu'il fasse preuve de civilités. J'enjambe les deux marches carrelées qui mènent sur un palier. Pas de réponse. Je grimpe l'antique escalier en bois permettant d'accéder au premier étage. La porte qui donne sur le jardin est ouverte. J'attrape une chaise que je hisse au-dessus de ma tête, prête à assommer le sinistre crapeautin qui s'est introduit dans ma maison du XV° siècle.
Il s'en faut de peu pour que, sous l'effet de la surprise, je ne lâche la chaise sur mes propres panards. A quatre pattes, tel un crabe souffrant d'arthrose, j'aperçois mon neveu, crapahutant le long du mur séparant mon jardin de celui de mon voisin espagnol.
- Rodolphe, j'hurle, qu'est-ce que tu fabriques encore ici ? Tu étais censé avoir décampé depuis une bonne semaine.
Le dit Rodolphe se retourne dans ma direction. Il ouvre de grands yeux dont l'expressivité ferait pâlir un poisson rouge. Il tente d'émettre un son mais je le coupe aussi net.
- Suite à tes différends avec ta mère, au fait que tu ne réussis pas à tenir un job plus de trois jours, que tu t'es fait virer par ton colocataire, je t'ai proposé de loger dans cette baraque. En précisant que cela serait temporaire. Temporaire, je tempête. Cela devait être temporaire ! J'ai comme le sentiment que tu n'es pas vraiment intime avec ce concept ! Je t'écoute.
- T'énerve pas, Tatie. J'avais bien l'intention de partir, ce matin, oui, c'est un peu plus tard que prévu mais je n'arrive pas à mettre la main sur Zéphyr, ma tortue. Je ne peux partir sans elle.
- Et alors ? Vu la vitesse de déplacement d'une tortue, elle ne devrait pas être loin. Tu as probablement mal cherché.
- Pas du tout ! répond Rodolphe en se hissant sur ses jambes. J'ai tout ratissé. Moi, je suis sûr que c'est le voisin qui l'a embarqué, ajoute-t-il en pointant du doigt la maison mitoyenne.
_ Quoi ? M. Pepito Gomez aurait chouravé Zéphyr ? Et pour quelles raisons ?
- Pour en faire de la soupe, pardi ! J'ai lu ça sur Internet y a pas longtemps !
- Mon pauvre garçon, tu dévisses de la boule ! je m'esclaffe. M. Gomez tient à peine sur ses guiboles et toi, tu l'imagines escaladant le mur pour s'emparer de ta tortue ! Tu peux me la refaire sans trembler des genoux !
La mine déconfite de Rodolphe déclenche chez moi un furieux fou rire. C'est plus fort que moi ! Je n'arrive pas à me contrôler, je me gondole comme une baleine. Mon neveu ne partage pas du tout mon hilarité. Il s'assoie près des bégonias qu'il entreprend de déplumer.
- Ecoute-moi. J'ai besoin d'être seule. Pour un projet important. Soit tu retournes chez ta mère, ce qui me semble compromis, soit tu t'imposes chez l'oncle Azzo. Il est toujours prêt à accueillir quelqu'un et en plus, il crèche à deux pas de la gare Matabiau.
- Il est à moitié cinglé ! crie Rodolphe en jetant une poignée de pétales de bégonia derrière lui.
- A moitié seulement ! Cela devrait suffire pour t'accueillir ! Et pas plus que toi avec ton histoire de tortue transformée en soupe Liébig. Vous faites la paire .Je l'appelle !
Sans prêter attention aux récriminations de Rodolphe, je bigophone à l'oncle Azzo. Sans rentrer dans les détails, je lui explique la situation. Le pauvre homme, veuf, s'ennuie à mourir. Son âme de bon samaritain ne demandant qu'à être brossée dans le sens du poil, j'obtiens sans trop de difficulté son assentiment.
Débarrassée de mon boulet de neveu ! Je vais enfin pouvoir me poser. Je décide de me concocter un bon petit repas. J'avais entreposé aux vacances dernières, au sous-sol, pas mal de bocaux de ratatouille, autres légumes en conserve et confits de canards mijotés par M. Gomez. Ancien cuisinier à la retraite, il a toujours peur que je ne me nourrisse pas assez. Une vraie petite mère !
Je descends donc au cellier. Plus une conserve dans la canfouine ! Rodolphe a tout englouti ! Plus rien à becqueter ! Un nuage de sauterelles à lui tout seul ! Et dire que l'espace d'un quart de seconde, j'ai éprouvé un léger remords de l'avoir viré. Quel parasite ! Y a pas à tortiller, je dois me sustenter. Mon estomac se manifeste par des gargouillis désagréables et ma mauvaise humeur reprend le dessus. Je m'extirpe hors de la maison. Je veux atteindre mon sauveur, la supérette tenue par M. Fréchou qui se trouve le long du Boulevard du Dr Cabanès, en contrebas, entre une agence immobilière et un coiffeur. J'ai tellement faim que j'engloutirai mes propres doigts.
Au bas de la rue Sourde, je fonce à droite vers la rue Danglars. Je salue rapidement M. Delval, le boucher ventru qui prend l'air devant sa maison. Un détail attire mon attention et stoppe ma course. Derrière la baie vitrée qui donne sur sa petite véranda, un matou, famélique, me fixe, raide comme un piquet. Je ne sais pourquoi mais un léger frisson me parcourt l'échine. Je trouve ce regard flippant.
- Vous avez un chat maintenant ? je demande.
- Depuis avant-hier, répond le commerçant. Il est apparu de je ne sais où, je l'ai trouvé miaulant dans la chambre froide de ma boucherie. Depuis il est calé sur cette chaise, à zieuter les passants tel un sphinx. C'est marrant comme il vous regarde !
- Vous trouvez ? Peut-être qu'il est en train de dégeler ?
- Vous allez où comme ça, si pressée ? ajoute-t-il sans prêter attention à mes questions.
Je lui résume rapidement la situation et je fais mine de poursuivre ma route.
- A cette heure-ci, c'est fermé ! lance-t-il goguenard. Ah ! Ces citadins ! Je vais vous chercher une côtelette ! Vous me règlerez demain.
Aussitôt dit, aussitôt fait. M. Delval me colle entre les pognes une côtelette bien épaisse accompagnée d'une bouteille d'un picrate local.
- C'est mon beau-frère qui produit ce vin, me confie-t-il. Vous m'en direz des nouvelles !
Le temps de penser, c'est pas comme si j'avais le choix, le temps d'écouter les conseils de cuisson prodigués par le boucher, j'aperçois le minet , tel un bolide, s'élancer hors de la maison, me passer entre les jambes et disparaître de mon champ de vision . M. Delval, qui n'a rien vu, disparaît à son tour et je me retrouve seule, plantée comme un cep, avec dans une main, un morceau de bidoche et dans l'autre, un pinard, au demeurant, bien venu.
A suivre....
Ce n'est quand même pas Nougat ce chat qui aurait fait des kilomètres pour te retrouver ?
· Il y a environ 8 ans ·Un récit tout fou fou, bien mené !
Louve