Derrière les mots.

Dorothée Pierry

Chronique d'un mercredi après-midi de maman.

Depuis le début de l'année scolaire, tous les mercredis après-midi, c'est natation. Pas pour moi, ça fait bien longtemps que je sais faire la nage papillon en dos crawlé sans prendre ma respiration sur 50 mètres, cela va de soi. Nan, c'est natation pour mon aîné, qui, lui, ayant un physique aussi avantageux que Camille Lacourt, s'est très naturellement orienté vers un sport que personne ne lui a suggéré de faire.

Bref, le mercredi après-midi, chez les Pierry, c'est bain de chlore et maillots collants sous l'immense hangard du Cercle des Nageurs Marseillais. Ça fait chic quand on dit ça comme ça, mais sachez qu'une claquette Arena, ça reste une claquette Arena : c'est moche et ça te fait voir les gens sous un angle que t'aurais préféré éviter d'explorer. Finalement, entre le maître-nageur Jacky Boulard qui exerçait à Forges-les-Eaux dans les années 1980 et ceux du très réputé CNM d'aujourd'hui, la différence n'est pas flagrante. #camillelacourttumastrahi, l'année prochaine j'inscris mon fils au rugby (Frédéric Michalak, si tu m'entends…).

Chaque semaine, c'est la même chose… lassée d'observer (devrais-je dire subir) tous ces hommes qui défilent en slip, j'inspecte attentivement les autres mamans. Leurs manières de faire semblant de suivre le cours de leur enfant alors qu'elles postent un selfie sur Instagram, leurs sourires dégoulinants (il fait en moyenne 33 degrés sous ce foutu hangard), et leur bonheur à s'évader quelques minutes dehors pour aller fumer une cigarette comme pendant les intercours au lycée. Et mercredi dernier, j'ai retrouvé l'une d'entre elles, « la blonde aux trois enfants ».

Cette maman-là, elle m'a tout de suite interpellé par son style impeccable et son sourire intact malgré les sollicitations permanentes de ses trois enfants, bien sûr superbement blonds eux aussi.  Chaque mercredi, j'admire son détachement et son attitude qui a l'air de nous dire : « mais si mesdames, la vie est bien un long fleuve tranquille ». A l'observer, j'imaginais déjà les magnifiques photos de famille posées sur la cheminée, sourires Colgate sponsorisés par Petit Bateau.

Mais là, mercredi, tout a basculé. Je l'ai vu prendre sur elle, d'abord, quand sa petite dernière lui a fait comprendre qu'elle n'irait pas à son cours du jour. Je l'ai vu essayer différents stratagèmes, sourire toujours intact, pour convaincre la petite effrontée. Puis d'une seconde à l'autre, elle a lâché la bride. Elle a laissé filer des mois de résistance héroïque, et elle a craqué. Le bonnet de bain de la petite a volé dans les airs, la voix de la maman s'est mise à ressembler à celle qu'on a toutes quand on est au bord du rouleau, et elle a lâché cette phrase qui a fini de ternir sa réputation de « mère de l'année » pour toujours : « eh ben puisque c'est comme ça, t'auras plus de télé, au moins jusqu'à ce soir, et plus de console non plus, et puis tu vas voir…. ». Bon, puis elle s'est arrêtée là parce qu'elle s'est sans doute rendu compte que ça prendrait trop de temps d'énumérer tous les écrans de la maison.

Voilà. A cet instant précis, j'ai songé à toutes ces photos formidables qu'on met sur nos cheminées ou bien que l'on poste sur les réseaux sociaux. Tous ces clichés souriants, qui, certes, sont agréables à regarder, mais qui mentent un peu (beaucoup ?) sur nos vies de parents ou simplement d'adultes imparfaits…

Je me suis dit qu'il valait mieux faire comme ceux qui traînent en claquettes Arena et arrêter de chercher un angle avantageux à offrir aux yeux des autres. Derrière les photos, tant de grimaces, d'agacements, et de pétages de câbles sous les bonnets de bain qui font que la vie n'est pas un long fleuve tranquille, et que c'est quand même très bien ainsi.

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