DES RONDS SUR LE COMPTOIR
Isabelle Revenu
'reusement que Dieu a inventé les caniveaux .... le papier journal et les bateaux au savant pliage.
Déjà que les hommes ont enlevé les bancs et les WC publics. Les jolies corbeilles à papier aussi, celles des squares de mon enfance. En fonte. Indestructibles.
Et d'ailleurs, où qu'elle est mon enfance indestructible ?
Les années joyeuses - les meilleures d'après ma défunte grand-mère - ont passé sur moi comme un éclair au chocolat.
Le temps d'en croquer un peu et de commencer à trouver ça bon, zou ! l'autre moitié est engloutie par la Vie. Il y eut un temps béni où je l'avais en entier devant moi, la Vie.
Saleté de Vie. Toujours trop rapide à la course quand on la prend du bon côté et lente comme la fonte des glaces aux pôles quand elle nous pèse.
Quelle heure est-elle ? Deux heures moins vingt ?
Boudiou, pfiouff ! Ca fait quatre heures et demie que je glande au Vincennes, attablé avec mes souvenirs et une carafe de rouge.
Mimile est rentré at home depuis un bon moment sans doute, je ne l'ai pas vu sortir.
Quel blaireau ce Mimile ... Un appel de madame sur son phone et il rapplique ventre à terre. Fait le larbin chez lui déjà. Maintenant, il imite la carpette.
Pff... Chienne de vie de merde ! En plus j'ai plus rien pour m'humecter le gosier.
J'ai tout mélangé au long de la soirée...Le pastis et le whisky, le blanc et le rouge, les olives et les chips, mes jours d'avant, mes volées de bois vert, les copains de mon quartier, les virées sur ma trottinette. Mes chutes en patins à roulettes, les soirées à jouer dehors au ballon dans le ciel d'été.
Mes premiers émois qui se voyaient comme le nez au milieu de la figure. Mon cartable dont j'étais si fier, cadeau de mon paternel.
Mon premier stylo Tigre, à la plume d'or, carrée. Il prenait si bien l'encre noire que j'avais commencé à écrire des poèmes avec. Sur un carnet à spirales.
Des poèmes au goût de fleurs, aux odeurs d'amour déçu, aux enluminures travaillées.
De temps à autre, j'y versais une larme qui se fondait dans mes mots pour en noyer l'amertume. Poèmes que je n'ai jamais envoyés à Mathilde.
J'ai mélangé mes jours d'après, quand Mathilde s'est mariée avec cet abruti de Lucien. Quand j'ai foiré mes études supérieures, quand j'ai commencé à picoler, quand tout le reste a foiré. Quand j'ai fait l'enfoiré aussi.
Aujourd'hui, j'ai grandi, j'ai vieilli. J'ai flétri. Et je noie mon chagrin jusque dans les moindres recoins du temps présent.
Je ne sais pas si je ferai de vieux os. mais je ne voudrais pas devenir un vieux con pessimiste, au passé glorieux de combattant téméraire.
Soûler mes petits-enfants avec mes guéguerres stupides et hésitantes.
- Paulo, tu me remets un demi de rouge ? J'ai encore des choses à éponger.
- M'sieur Sailor, ça fera trois litres bientôt... c'est pas raisonnable. je sais pas où vous mettez tout ça. Vous rendez compte de l'état de votre foie ?
- T'occupe pas de mon foie Paulo, suis à moitié crevé. Regarde-moi bien au fond des yeux et dizzy ce que t'y vois...
- J'y vois une ardoise qui s'allonge et une addition qui risque d'être salée, plus que mes cacahuètes.
- Où qu'il est le bon temps Paulo ? Tu peux me l'dire ? Où qu'y sont mes poteaux ? Où qu'elle est la porte vers ailleurs ? Quel est le sombe cretinus habens qui a plombé mon horizon ? Putain Paulo, remets-moi un demi carafon ...Allez...Allez quoi ?
T'as vu Paulo, ce type qui s'est fait greffer une main articulée entièrement commandée par son cerveau, avec capteurs sophistiqués intégrés ? Peut tout faire comme avant le gonze. Même boire sans renverser... pas comme moi, je tremble tellement que j'en renverse la moitié sur le comptoir.
Si j'avais des ronds en trop, je me ferais greffer deux mains toutes neuves, pour pas gâcher la marchandise. Et si j'en suis satisfait, c'est deux bras supplémentaires. Greffés sur le ventre.
- A propos de ronds, z'en faites plein sur le teck du comptoir et ça m'étonnerait beaucoup qu'un jour on appelle ça de l'Art brut et qu'un amerlo givré vous passe commande pour le mettre dans le salon de son ranch à Vegas. Z'avez atteint le point de non-retour m'sieur Sailor, vot' cerveau carbure à l'éthanol pur. Des bras greffés sur le ventre... Pourquoi faire ?
- Ethanol, éthanol.. Et ta soeur ? J't'en pose des questions ? Ben des bras c'est fait essentiellement pour quoi ? Pour m'enlacer tiens pardi ! Tu peux pas comprendre Paulo, ce que c'est le manque de tendresse, non, tu peux pas. T'es genre brute épaisse, les femmes derrière le comptoir et c'est tout. Tu mets quoi dans ton plume pour te tenir chaud ?
- C'te question, en été mon chien, en hiver mon chien plus une bouillotte.
- Pfff... Et vous comptez officialiser votre union quand ?
- C'que vous z'êtes con quand vous voulez m'sieur Sailor. Et vous voulez souvent. J'vous garderai un p'tit. Tenez vot' demi carafon, ensuite va falloir dégager la piste, demain je vais à la perdrix avec Furax. Veux pas me coucher pour me relever aussi sec.
- Puisque tu m'chasses Paulo, voilààààààààà, le carafon vidé en deux coups de cuillère à pot. A propos de pot, j'vais pisser et je décarre. Ca sent l'amitié qui fout le camp par ici. Merci les poteaux... Paulo, y sont où mes poteaux ? Tu mets ça sur l'ardoise de Mimile, je vais soulager ma vessie et je m'en vais.
Tu diras à Furax que je l'embrasse et qu'il oublie pas d'enlever ses bigoudis pour la partie de pattes en l'air hein ?
- J'vais vous mener aux commodités, vous risqueriez de vous paumer encore dans l'arrière-cave, comme d'hab.
- T'es un vrai ami toi Paulo, tu veilles sur moi comme ma mère ne l'a pas fait...
- Allons vous mettez pas dans des états pareils, z'êtes grand maintenant, vot'mère elle a fait ce qu'elle a pu avec ce qu'elle avait. Ca y est, on y est. Vous voulez que je vous ouvre la por...Ben, m'sieur Mimile ? Vous faites quoi la tête dans la cuvette ?
- Ben ça se voit pas qu'il cuve ? Mimile, mon copain ! J'savais bien qu'étais pas parti sans me dire au revoir ! Allez accroche-toi à mon bras bionique, je vais te serrer si fort contre moi que tu vas t'en souvenir jusqu'à ta mort. On va aller fêter ça... Paulo, remouille la compresse et double dose pour moi, j'ai quatre mains !
un grand moment d'amitié pochtronne avec sa sensibilité si particulière et pourtant si navrante...
· Il y a presque 12 ans ·woody
Bravo,fort mistral gagnant ce texte,juste un zen Zan avis,wesh re bravo a vous et Merci pour votre tigre ovalin stylet stylo,Bonne journée a Vous.
· Il y a presque 12 ans ·Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher