Désirs lunaires

Isabelle Gabriel

1900.... Etait-ce bien durant ce siècle qui s'est vautré dans la fange d'une décadence morose, ou alors plus loin, très loin, dans un autre temps, un autre lieu, une autre civilisation? Tout se brouille et s'embrouille dans ma mémoire, tout se noie.... Des tristesses chantantes aux angoisses blanches, des soupirs brûlants aux silences nourriciers.... Quel a été finalement le chemin, le hasard, qui m'a mené jusqu'à vous?  Une rue étroite, une pénombre fantomatique, des pierres à la noblesse immortelle, et... Vous. Rencontre improbable de deux solitudes, dans un frôlement à peine perceptible. Votre main sur mon épaule, tressaillement coronarien, troublant et pétrifiant à la fois. En somme vous m'avez chuchoté : " Arrête-toi, c'est de toi dont j'ai besoin." Je me suis arrêtée et j'ai senti mon sang jusqu'alors glacé dans mes veines, s'agiter, danser, à l'intérieur de mes tempes. Je vous ai suivi comme il peut parfois arriver que l'on ait envie d'écouter aux portes, en retenant son souffle. Une chambre. La vôtre? Cette nuit-là j'ai plaqué ma vertu pour perdre et reprendre haleine dans vos bras. Restez! Restez! Là, toujours, au creux de moi! Nos eaux se sont enlacées, fluides rivières mélangées à jamais sur les parois de mes satins, sur la blancheur, accentuée par les reflets de la lune, de votre peau. Dégustation de saveurs intimes, échos de deux âmes gercées. Alors j'ai vu votre ombre puissante esquisser vos meurtrissures, vos cicatrices, dessus votre visage, dessus votre corps. Mon bel amour. Mon doux amour. Je vous ai aimé bien avant le premier cri, bien après le dernier gémissement. J'aurais voulu que vous m'emmeniez là-bas, chez les vivants, ceux qui savent respirer même sous l'eau, j'aurais souhaité que vous brisiez mon empire éclopé. Pourtant, j'ai caressé une dernière fois vos cicatrices et je suis partie, en emportant avec moi le torrent fugitif de nos plaisirs nocturnes, tout au creux de moi. La rue étroite, la pénombre fantomatique, les pierres dorées à la noblesse immortelle, et.... la Lune dans l'eau noire, me souriant de toutes ses belles ridules aquatiques.  J'ai sauté comme auparavant j'avais plongé dans vos bras. Pour toujours et à jamais. Hier, aujourd'hui, demain, l'éternité souriante, l'éternité lunaire. Et vous mon doux, mon bel amour qu'êtes-vous devenu ?
 © Isabelle Gabriel

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