Deuil

immarcescible

« Ce qui ne tue pas rend plus fort » ? Alors j'attend que le temps fasse son boulot. J'attends l'indifférence.

Au fait, je me suis fait tatouer.

Date d'aujourd'hui : 9 février 2014. Cela fait quatre ans.

Ce qui est actuellement encré sur ma peau, c'est la traduction elfique de « Life goes on », et cette funeste date. La vie continue quoi. Et comme pour les 3 premiers « anniversaires », j'me retrouve encore à écrire une sorte de compte-rendu annuel de « comment ma survie d'après-deuil se passe ».

Un jour on m'a demandé de définir le deuil. « Détresse liée à la perte d'un être aimé » peut on lire dans n'importe quel dictionnaire. La question a résonné dans ma tête, comme pour en stimuler ma réflexion, mais en vain. Le deuil, comme l'amour me diriez-vous, est un sentiment subjectif, qu'on ne peut finalement pas définir universellement. Sentiment particulier étroitement lié au manque, à l'absence, à la tristesse. Éric Clapton, Johnny Cash, Victor Hugo, et plein d'autres chanteurs, auteurs, réalisateurs, ont tenté et plus ou moins réussi d'exprimer le deuil, comme pour montrer que nombreux sont les êtres ayant vécu cette « détresse ». Se dire qu'on n'est pas la seule, est-ce se rendre moins triste ? Non.

Alors, après quatre années et du recul sur les choses, je me rends compte que mon problème à moi reste le même : Je ne connais pas le deuil. A ce que j'ai pu comprendre, « faire le deuil de quelqu'un » c'est se faire à l'idée qu'il ne reviendra pas, parce que la mort est définitive même à travers les déchirements qu'elle procure.

Je puise dans ma mémoire les images brouillées de souvenirs lointains, j'y vois ma mère, en pleurs, m'annonçant que mon père est mort, avec des mots adaptés pour une petite fille loin d'être prête à comprendre que son géniteur s'est jeté du troisième étage de l'immeuble. Premier « deuil » : Le cerveau d'une fillette qui se brouille, qui commence à se poser des questions, sur la vie, sur la mort, le « peut-être que mon père ne m'aimait pas ? », l'incompréhension.

Mais la vie a continué. Aucune réponse, cette incompréhension permanente qui nous suit comme une maladie incurable, ce sentiment ineffable. Et quelques années plus tard, la mort est réapparue. Après le père, elle frappe le frère. Le frère tant aimé. Arraché à la vie. Le frère devenu le 41éme soldat français mort en Afghanistan. Et là le sens du mot deuil est devenue vraiment flou. Je serais incapable de découper les quatre années qui ont suivi cet événement en périodes, distinguer une évolution, une reconstruction.

Je revois une nouvelle fois ma mère, m'annoncer que mon frère a été tué le matin même, quelque chose qui s'échappe de mon corps , quelque chose d'immatériel, une sorte de principe vital. Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà écrit du haut de mes 14 ans, la seule chose qui a changé depuis est justement le fait que rien n'ai changé. Perdre le goût de la vie, l'envie de sourire, la peur d'oublier, de ne plus se souvenir, ressasser trop souvent les souvenirs douloureux, ne plus vouloir se battre, vouloir abandonner, avoir la sensation d'être au fond d'un gouffre, tout cela ne s'en va pas, on est juste forcé à vivre avec.

Encore une fois, la vie continue. Elle n'attend pas la fin des crises de larmes, elle n'attend pas la fin des regrets. Le temps passe sans compassion, et laisse les blessures à vif. Et me voilà en train d'écrire tout cela alors qu'il est strictement impossible de coller des mots à des sentiments.

Et jamais deux sans trois, le cœur d'une adolescente peut finalement en subir des drames. Le grand père. Ce dernier deuil fut particulier. Trêve de tristesse et d'apitoiement, mon seul sentiment fut l'agacement. « C'est reparti », encore un deuil. Troisième cérémonie de funérailles dans le même cimetière que le père et le frère, endroit morbide, imprégné de souffrance. Une nouvelle fois, la vie s'adapte. Mais pas moi.

J'ai beau n'être qu'une adolescente, mais je me rends compte que la vie regorge d'imprévus. On se lève un bon matin et on se recouche le soir avec une envie de mourir. On reçoit un message de son frère et la semaine d'après on est face à son corps inanimé. Quand bien même la mémoire aurait ses failles, je serai toujours certaine que toutes ces expériences que je pensais m'avoir détruite m'ont plus ou moins forgé.

Aujourd'hui, le fait qu'on puisse tout ignorer de la vie d'autrui me passionne. On se croise, on se côtoie, mais on ne sait absolument rien. Quel parcours nous a emmené là, à cet instant présent. Si j'essayais de coucher par écrit toutes les merdes qui me sont arrivées depuis mon premier souffle, on dépasserait l'encyclopédie. Et pourtant je suis encore là, je sors, je vis tout de même d'innombrables moments de bonheur.

On tombe, on se relève. On encaisse. Life goes on.

  • J'ai pas les mots... Touchée en plein coeur. Je ne peux que te souhaiter de te relever, d'encaisser comme tu l'écris si bien. Mettre un genoux à terre n'est pas une fin, tu es forte cela se lit. Cela se ressent. Tu nous fous des frissons avec tes tripes étalés sur le papier. Je te remercie sincèrement pour ce partage de tes sentiments. Et je te souhaite vraiment de continuer à vivre, à accepter que ce n'est pas de ta faute si parfois t'as un genoux à terre. Et surtout accepte d'être heureuse. Comme je me le répète souvent, "The show must go on".
    Courage petite luciole, de douce pensée.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    mamzelle-plume

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