Deux crimes parfaits

corwin-clerc

À vrai dire, je ne saurais dire ce qui m'a poussé à commettre cet acte. Peut-être une forme de « folie » ? Peut-être. Sans doute. Mais après tout, qu'importe ?

Testament mystique réalisé conformément à l'article 976 du Code civil déposé le 17 mai 20XX chez Me Dourel, notaire à Vielmur-sur-Agout, avec pour mention« je souhaite léguer à l'ensemble des media nationaux une copie du texte suivant ».


À vrai dire, je ne saurais dire ce qui m'a poussé à commettre cet acte. Peut-être une forme de « folie » ? Peut-être. Sans doute. Mais après tout, qu'importe ? 

J'aime cependant – non pour m'en disculper, bien au contraire – penser que c'est avant tout une de provocation à laquelle je me devais de répondre. Il fallait, en quelque sorte, que je rétablisse une vérité ancestrale. Il fallait qu'on cesse enfin de rabâcher dans les media que « le crime n'existe plus, qu'aujourd'hui aucun crime ne demeurait impuni dans notre pays ».

Depuis quelque temps déjà il n'y avait plus d'homicide dans les journaux. Tout semblait sous contrôle. En commettre un était devenu pour moi un devoir, une tache, une mission, « ma » mission. Vous comprendrez donc aisément que j'étais devenu le simple exécuteur de ce qui devait être. Il fallait rétablir la vérité. Il fallait ouvrir les yeux des citoyens sur ce mensonge, sur cette mascarade. Vous conviendrez sans doute que j'ai réussi bien au- delà de mes espérances.

A bien y réfléchir tout cela avait commencé quelques année plus tôt, lors de la campagne électorale des élections présidentielles. « Demain, avec moi, plus aucun crime ne restera impuni dans notre pays », promettait sur les écrans celui qui allait présider à nos destinées devant une foule hystérique et qui lui était dévouée corps et âmes. Une foule, tout un peuple, dénué qui semblait privé de raison. Ce « impunité zéro » promis le pouvait être qu'une foutaise. Et pourtant... Quelques semaines avaient suffit à l'issue de l'élection. Plus aucun media ne rapportait de crime. Mais... Par quel prodige ? Cela semblait irréel. Rendez-vous compte ! Aussi aberrant que cela puisse paraître la peine de mort avait été rétablie dans notre pays en quelques mois à peine.

Avait-il été à ce point dissuasif ? Nulle part dans le monde et à aucune époque cette sentence n'avait permis d'éteindre la criminalité. Le contraste était d'autant plus frappant que les crimes étaient jusque là si nombreux depuis des années. Inondant les journaux, ils avaient plus que contribué à faire venir au pouvoir ce petit homme. Ils ne pouvaient qu'être passés sous silence. Alors, peut-être pour en acquérir une certitude absolue, il fallait que je me résolve à en commettre un moi-même.



Durant de nombreuses semaines, je fomentais mon plan sans rien laisser paraitre. Seulement dans ma tête. Sans aucune recherche sur la toile, sans aucune consultation d'ouvrage. Uniquement en ressassant tous les faits divers plus ou moins sordides qui avaient jonchés les journaux ces dernières années.

Mon œuvre, le crime parfait, existerait bel et bien et ce malgré les prodigieux progrès de la technologie, de la science, des crédits d'État gargantuesques alloués aux forces de l'ordre au détriment de ses autres missions. Malgré la fin des libertés depuis un état d'urgence permanent qui ne révoltait plus personne. Un silence assourdissant était partout. Un silence plus que suspect. Un silence que je devais respecter. Un silence qui serait aussi le meilleur des camouflages qui soit. Il suffisait de se taire, vaquer à ses occupations et ne rien laisser paraitre de cette obsession. C'était là une tâche difficile mais aussi un mal nécessaire à l'accomplissement de l'oeuvre.

J'avais toujours eu un goût certain pour les polars et les faits divers. J'avais donc à ma disposition une bibliothèque assez conséquente que je compulsais avant de m'en débarrasser. Bien entendu je ne faisais pas seulement disparaitre ces seuls ouvrages. La mode n'était plus aux livres et à la lecture depuis longtemps. Je me conformais ainsi à l'air du temps. Tout en me débarrassant de ce qui aurait pu être une source de soupçon, je ne faisais que me confondre un peu plus dans la masse. Cette masse inerte de pseudo-citoyens amorphes et crédules prompts à avaler et recracher en re-publiant sur les réseaux sociaux des « fakes news » résolument absurdes pour quiconque était encore pourvu d'un minimum d'esprit critique. Ce dernier avait semblé lui aussi avoir disparu.

Télécharger ou consulter un document numérique sur le sujet auraient simplement risqué de faire de moi un suspect. Plus encore que de commettre un crime il ne fallait pas être inquiété. Etre condamné pour cet acte l'aurait rendu absurde.

Le seul risque que je prenais était de rédiger sur du papier, chez moi, des notes codées sur ce qui avait conduit de sots assassins à leur perte. Ce petit jeu confinait sans doute au plaisir que peuvent ressentir les collectionneurs et les maniaques. Mais ma tâche était tout autre. Il me fallait préparer mon oeuvre, seul, envers et contre tout, envers et contre tous. 

Plus je travaillais à ce plan, plus je réfléchissais à la situation dans tous ses aspects, plus j'étais convaincu que l'absence de crime dans les media et les palais de justice ne pouvait être que la conséquence d'un étouffement des affaires criminelles. Jamais la peine capitale n'avait dissuadé tous les criminels d'un pays. Son retour avait d'abord concerné les assassins d'enfants et les dépositaires de la loi. Nombre de ces criminels avaient été arrêtés sous les yeux des caméras et des téléspectateurs rassurés par ces scènes de violence. Ce n'est qu'ensuite que la mesure fut étendue à tous les crimes de sang, ce qui fut finalement très heureux, comme nous le verrons plus tard. Dès lors il n'y eu plus de trace de nouvelles affaires criminelles. Cela ne pouvait être être lié à la seule force de dissuasion de cette mesure.

Longtemps, donc, je pensais au meurtre parfait. Quelques axiomes été nés dans mon esprit : il devait être sans mobile. Sans arme. Sans trace. Sans lien entre le meurtre et sa victime.

Il suffisait donc - si j'ose dire - de choisir quelqu'un au hasard afin que remonter la piste impossible. Ce n'est pas chose aisée que de choisir quelqu'un au hasard. Il m'aurait fallu pour cela établir ou consulter un liste quelconque de personnes. Ce n'étais pas prudent. Je décidais alors de m'en remettre au destin. Il choisirait pour moi. Il pourrait ainsi choisir quelqu'un qui méritait de mourir ou qui allait mériter de mourir dans un avenir plus ou moins lointain. Peut-être pas. Comment aurais-je pu le savoir ? J'avais toute confiance en la providence. Il me suffisait donc de choisir un lieu et un moment pour opérer. Je n'étais pas pressé.

J'avais finalement jeté mon dévolu sur un coin en bord de route, un lieu relativement « risqué » mais qui était un lieu de passage, une petite aire d'arrêt. Le tracé de l'ancienne nationale avait inspiré quelques providentiels décideurs dans des bureaux d'étude de doter cet endroit de tables de pique- nique et de sanitaires publics à l'écart de yeux indiscrets des automobilistes de la route principale. On avait là une aire de repos réalisée à moindre frais. C'était un lieu de passage de victimes potentielles. C'était un lieu à l'abris des regards. C'était un lieu avec des centaines si ce n'est des milliers d'empreintes génétiques. C'était « le » lieu par excellence.

Bien entendu, je décidais de ne pas y revenir pour un repérage plus poussé, pas plus que je ne comptais sottement y revenir en pèlerinage plus tard. Le bon assassin ne revient pas sur les lieux de son crime. Je m'interdisait formellement par avance de revenir un jour dans ce lieu. Je n'avais aucun lien avec cet endroit, si ce n'est une proximité de quelques kilomètres entre lui et mon lieu de résidence. Comme des milliers d'autres personnes. Cette proximité relative e permettrait de m'y rendre discrètement, sans véhicule. C'était vraiment le lieu parfait, le cadre idéal. Il était définitivement adopté.

Venait ensuite la question de l'arme. Les progrès de la science comme une forme d'aversion personnelle m'avaient dissuader de commettre le crime sans arme. Je ne m'imaginais pas un instant commettre ce crime à mains nues. Enfin... Paré d'une paire de gants, cela va s'en dire. J'ai une véritable aversion pour toute forme de violence... Une violence à laquelle pourtant j'allais devoir me résoudre pour accomplir mon oeuvre.

Après des semaines de réflexions mon choix se porta sur une simple et solide cordelette. Le l'avais trouvée par hasard dans une rue à l'occasion d'un voyage, quelques mois avant la réalisation de mon œuvre. Cela ne pouvait être qu'un signe du destin. L'instrument de mort était assez solide pour accomplir sa tâche mais ne résisterait pas à la flamme d'un simple briquet, faisant disparaître à tout jamais l'éphémère arme du crime. Une arme du crime qui allait disparaitre, une arme parfaite.

Même si je ne pensais pas en avoir besoin, je pris soin de me constituer un alibi m'offrant une fenêtre de tir de quelques heures. Pendant ce temps, j'entretiendrais depuis chez moi plusieurs dialogues électroniques avec des amis qui jureraient que j'étais bien derrière mon écran grâce à un petit logiciel fort utile de ma conception et qui allait lui aussi disparaitre. Un nouvel ordinateur serait commandé avant et celui constituant mon alibi mis au rebut quelques jours plus tard après que j'ai pris grand soin de rendre le disque dur illisible de façon définitive.

Il ne restait désormais plus qu'à choisir le moment après avoir brulé mes notes codées. Ce serait un moment où je pouvait programmer un appel téléphonique depuis mon domicile vers un ami sachant qu'il ne serait pas là. Je ne laisserais pas de message, mais la trace de l'appel sera là pour témoigner qu'au moment des faits j'étais chez moi. « Oui, je savais qu'il ne pouvait pas répondre, mais j'avais oublié. Je suis un peu tête en l'air, tout le monde vous le dira monsieur l'agent ». C'était une chose vrai. Mon entourage pourrait en témoigner de ce trait de caractère qui ne peut laisser présager l'accomplissement de mon oeuvre. Jamais je n'aurais pu mettre au point un plan aussi méticuleux et complexe.


Le jour « J » j'avais plus d'une heure à ma disposition dont la vingt minutes qui pourrait être passées sur le site choisi. Si le hasard décidait de ne faire venir personne dans ce laps de temps, je décidais de ne pas aller à son encontre et de me résoudrais à ne rien faire malgré tout le temps passé à peaufiner ce plan.

Sur le chemin, loin d'être le plus direct sur lequel je restais invisible jusqu'aux abords du site, je me remémorais tous les détails du mode opératoire, même si je l'avais déjà passés en revue un nombre incalculable de fois en silence, dans ma tête. Parfois même au milieu de la foule. Ha, s'ils savaient ! Je n'avais sur moi aucun téléphone ou autres objets connectés susceptibles de trahir mon trajet. Tous, y compris mon véhicule, m'attendaient sagement à la maison. Je portais des vêtements récupérés sans la moindre trace il y a fort longtemps. Bien entendu, ils n'étaient pas à la bonne taille pour le trahir ni ma silhouette, ni ma pointure. Personne ne m'avait vu le porter. Comme l'arme, leur destin était d'être détruit par les flammes dès le retour à mon domicile. Dans les poches j'avais un masque et des gants enfilés dès avant l'arrivée sur la future scène de crime pour éviter d'y laisser des traces d'ADN. Ces dernières allaient se compter par milliers dans ce lieu de passage. Revoir tout cela en détail me prit presque le temps d'arriver sur le site.

La providence fit s'arrêter un automobiliste au bout de quelques minutes à peine. Fort heureusement il était seul. Dès que j'en au l'assurance, je savais que ce serait lui. Je ne savais rien de lui et je n'en connaîtrais rien, si ce n'est peut-être plus tard dans les media s'il ne passaient pas cet acte sous silence. Le hasard avait bien fait les choses. En sortant de sa voiture, il titubait. Je me dis simplement qu'il devait être fortement alcoolisé. J'étais devenu simplement l'instrument de la providence. Elle seule savait pourquoi cette personne s'était arrêtée ici et maintenant. Arrêtée définitivement, peut-être avant de commettre à son tour un crime en conduisant ainsi une voiture à la tombée de la nuit. Le destin aurait aussi pu ne faire venir personne. Il était aussi coupable que moi ou celles et ceux qui acceptaient de passer sous silence les homicides.

Quelques secondes plus tard, j'abandonnais un corps sans vie, avec le sentiment du devoir accompli mais aussi la crainte d'avoir oublié un détail. Cela aurait tout gâché. Je repassais tout cela en revue et une fois à mon domicile j'immolais par le feu les vêtements et arme du crime.



Pendant les jours qui suivirent, il n'y eu pas de trace de cet acte dans les media. Je savais pourtant que je l'avais bien commis. Se retenir de faire éclater le scandale au grand jour n'état pas chose facile Combien d'autres crimes étaient-ils passés sous silence ? Il me fallait à présent informer le plus grand nombre de ce qui avait été commis et passé sous silence.

À plusieurs reprises cependant j'était pris d'un doute. Aurais-je oublié un détail qui mènerait les enquêteurs jusqu'à moi ? C'était un bouillonnement intérieur dont il ne fallait laisser paraitre aucune trace. Parfois, l'idée de réitérer mon acte m'effleurait même l'esprit et je prenais soin d'occulter cette pensée très vite. Définitivement, je ne ferais pas partie de ces amateurs qui y reviennent jusqu'à se faire prendre.

Je n'étais pas assez sot pour chercher trace de mon méfait en effectuant une recherche sur la toile. Il ne me restait qu'à attendre patiemment que les media révèlent l'information ou qu'elle le soit par ce testament public. J'ai même été tenté durant cette attente de les contacter anonymement les media signaler mon acte afin d'être sur qu'il ne passe pas aux oubliettes. Mais donner le moindre détail sur le mode opératoire était un risque. les contacter aussi. L'attente était insoutenable.

Enfin, l'affaire fut connue... Lorsqu'une personne, coupable idéal, avait été arrêtée. J'écoutai d'une oreille que je voulais distraite, tout en bouillonnant intérieurement d'entendre qu'une autre personne s'était appropriée mon oeuvre. Plus exactement on lui avait décerné mon oeuvre car elle criait corps et âme son innocence.

Je dois confesser qu'un instant j'ai pensé à avouer mon crime pour sauver la vie de cette innocent que tout semblait accabler. Mais revendiquer mon acte et l'avouer auraient tôt fait de détruire son sens. Il fallait donc que je garde le silence, coûte que coûte. Dans cet affaire, rondement jugée, le crime ne restait pas impuni, comme promis par le petit homme à la tribune.

Mais par mon silence c'est peut-être là que j'ai commis, mon second crime parfait. Sans arme, sans trace, sans une once de violence. Me dire qu'il ne s'agissait plus là de mon oeuvre mais de mon chef- d'oeuvre, me permettait de trouver la force de me taire durant ces années. 

Aujourd'hui, par ce testament public, j'avoue le crime de l'inconnu dans les toilettes de l'aire de repos. A présent mort, et peut-être incinéré à l'heure où vous lisez ces lignes, j'ai échappé à votre justice. Mais que dire de vous, de votre crime ? Je suis coupable d'avoir tué un innocent, potentiel coupable. Quant à vous, vous êtes coupable d'avoir ôté la vie à une femme résolument innocente. Je vous laisse seul juge de désigner lequel de ces deux crimes est le plus répréhensible. Ce qui est sur, c'est que les deux crimes demeureront impunis, contrairement à ce que hurlait le petit homme nerveux qui hurlait à la tribune.



Fait le 17 mai 20XX à Serviès, lieu de rédaction du testament, en trois exemplaires remis ce jour à maître Dourel. 

  • Sempiternelle question : A qui profite le crime ?

    Donc l'innocente ne l'était donc pas complètement ! A force de prier pour la mort de cet homme la destinée l'avait entendue !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

  • Difficile choix ! Mais cette femme condamnée à tort ! J'ai horreur, par exemple, de visionner un film en sachant à l'avance que tout du long un innocent serait accablé, et même si, à la fin, on reconnaît son innocence, c'est une souffrance. J'ai beau me répéter que ce n'est qu'un film, parfois je préfère "tourner la page"
    Super texte !.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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