Deux jeunes filles
Pascal Mess
Ce matin-là, une étrange ambiance planait sur la ville. Ombres et nuages pesaient sur cette endroit, pourtant d'ordinaire si vivant et si clair.
Haut perchées sur leurs talons, Amandine et Sophie descendaient le centre du vieux village. On ne savaient pas ce qu'elles se racontaient, mais jamais elles ne se lâchaient, ni d'une semelle, ni d'un bras. Depuis toutes petites, elles étaient ensembles et on aurait pu croire qu'elles avaient grandies comme cela, le bras de l'une dans celui de l'autre. Aujourd'hui, leur échange paraissait encore plus intense, presque dramatique; souvent elles s'arrêtaient et, tour à tour, se penchaient à l'oreille complice et chuchotaient. Celle qui recevait, basculait de sa tête, d'avant en arrière, dans un rythme de l'entendement. Pour la énième fois le rituel s'exerçait, lorsqu'elle se sentirent épiées.
D'instinct, elles levèrent leurs mentons et tombèrent nez à nez avec des yeux brillants et noirs, coincés quinze centimètres plus haut, entre volets et mur. La dureté de ces yeux les firent reculer d'un pas et suscita un cri qu'elles étouffèrent d'emblée. Ce regard, quasi animal, ne les effraya pas complètement. Elles se ressaisirent en se pressant d'avantage, et regardèrent de nouveau en direction de ces volets bois vermoulus et peinture passée. Avec du recul, ce regard ne paraissait pas si terrible que cela et peut-être même, y avait-il de la chaleur en lui, de la bonté, aussi.
Malheureusement, l'inconnu lui-même s'était affolé de la réaction des jeunes filles, et se cachait. La peur de Sophie et Amandine, laissait place à l'intrigue, à un début de séduction. Elles se promirent de revenir le lendemain, doucement, conscientes maintenant de la frilosité de l'inconnu.
L'atmosphère, depuis le début de la journée apparemment si sombre, avait préparé à quelque chose de nouveau, pas forcément palpable, mais plutôt perceptible de façon diffuse. Les deux jeunes filles, tout en s'éloignant de l'endroit, y pensèrent intensément et se sourirent.