Dialogue

Christian Lemoine

Elle dit : « Non, tu n'étais pas là, à ce moment charnière où, des abattis enchevêtrés, sur l'arrondi brumeux de la colline dans les bois, est sorti le vol trépidant et brutal d'une nuée de vanneaux affolés. Tu n'étais pas là. Et j'attendais pourtant ta main pour calmer mon effroi. » Il dit : « J'étais là, pourtant, j'étais là. Tu ne le savais pas, mais je guettais ton ombre, tout hérissée de givre. Je suivais pas à pas l'idée que j'inventais de ton parcours. Je touchais cet effroi, et je tendais là main, bien au-delà de l'absence, pour saisir tes doigts et étancher le vide. » Elle dit : « Non, je ne te voyais pas, je ne sentais pas ta main. Le carrousel furieux de mes fantômes m'assaillait, me cernait. Dans les tortures de mes cauchemars confus, je me heurtais à des murs suintants et froids. Je t'appelais, et seul me répondait le silence crissant des ongles sur le marbre. » Il dit : « Pourtant, j'entendais ton cri qui transperçait mes nuits. Tu ne le savais pas, mais je souffrais de ta souffrance, je ployais sous tes peines. J'en embrassais les fléaux appairés, dans le désir fougueux de les neutraliser. Je perdais mon haleine à avaler tes alarmes. » Elle dit : « Non, je ne te savais pas, je n'entendais pas l'essoufflement de ta sollicitude. Les vrilles incandescentes fouaillaient dans mes viscères. Dans ces déchirements, je devenais poupée, marionnette fripée, écrasée sur la scène, sous les acclamations sauvages de mes tourmenteurs. J'implorais vers tes baumes, et ne recevais au ventre que les éperons d'une glace brûlante. » Il dit : « Et cependant, je déployais mes paumes pour ceinturer les soubresauts de tes entrailles. Je les voyais, tes bourreaux, se repaître de tes spasmes. Je me voulais rempart contre leurs assauts malins, je concentrais dans le coquillage de mes doigts écartés tout l'apaisement de mon inquiétude. Je sentais sous ma peau la brûlure se résorber, pour s'effacer sous l'aube d'une chaleur bienfaisante. » Elle dit : « Je ne sais rien de tout cela. Tu m'as manquée, derrière les cibles exubérantes de tes chimères. » Il dit : « Toi, comme tu m'as manqué ! Les jours écroulés sont une poussière où le nombre de mes pas ne cesse de mesurer l'étendue de ton éclipse chronique. Je voulais tout pour toi. » Elle dit : « C'est trop. Ce n'est pas assez. Je ne peux rien pour toi. »
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