Dialogue de deux pâtés de tête

arthur-roubignolle

Dialogue de deux pâtés de tête


(Théâtre contemporain) Mise en scène : Kristof Warliklouwsky. Décors de Patrice Chevreau. Lumières : Luc Blondy. Costumes : Anne Icordy. Sandwichs : la baguette joyeuse.

Une pièce subventionnée par le ministère de l'agriculture.


Acte 1 scène 1


(deux pâtés de tête sont assis (nus) l'un à coté de l'autre dans la vitrine réfrigérée d'un boucher-charcutier)

Les personnages : les deux pâtés de tête. Le boucher. Une cliente.


Qu'est-ce que tu fais ?

Tu vois bien, je tête !

(L'autre pâté  : Ah ça c'est drôle, une tête qui tète!)

Imbécile ! Tu peux te moquer de moi, si tu voyais la tête que tu fais...

Quoi, quelle tête je fais ?

Tu fais une drôle de tête !

Une tête de quoi ?

Une tête de nœud pardi !

Dis tout de suite que j'ai une tête qui ne te reviens pas !

Oh que si, c'est ça justement le problème , tu as une tête qui me revient, sans arrêt.

Je te repousse et tu reviens toujours, sans cesse, n'en as-tu pas assez de mes brimades ?

Mais non, pas du tout, mais c'est vrai que je suis assez têtu moi !

Tu t'entêtes, je sais... Tu fais ta forte tête.

J'aime être en tête à tête avec toi...

Peut-être, mais parfois tu me fais penser à un gros têtard, avec tes yeux globuleux.

Ah bon ? Pour moi, au contraire, ta tête est fête pour moi.

Je ne verrai plus ta tête que je me sentirai bête...


(Le noir se fait dans la salle, un projecteur rouge s'allume, toute la scène est baignée dans une lumière rouge, le rouge censé évoquer l'univers symbolique de la boucherie ...)


Le boucher : « Bonjour madame Fruchou, comment ça va aujourd'hui ?

Bien, bien monsieur Trouchard, oh, comme ils sont beaux vos pâtés de tête !

Je les ai fait hier madame Fruchou, ils sont tout frais !


(Le rideau se ferme, applaudissements du public)


Acte 1. Scène 2


Les deux pâtés de tête sont maintenant assis devant un comptoir de bar, symbolisé par une simple caisse en bois...


Tu entends ça ? On plaît !

Oui j'ai entendu, je ne suis pas sourd, c'est normal qu'on plaise, on a de bonnes têtes, surtout moi...

Sottises que tout ceci, en réalité, tu n'en fais qu'à ta tête !

Moi ? C'est moi qui n'en fait qu'à ma tête ?

Elle est bien bonne celle-là, il y a de quoi se taper la tête contre les murs d'entendre ça !

Hé bien casses-toi la tète si ça te chante, mais j'ai horreur que tu me tiennes tête, je ne supporte pas quand tu fais ta tête des mauvais jours.

Mais que dis-tu là, je ne fais pas ma forte tête....

P'tite tête va !

Il vaut mieux avoir une petite tête comme moi qu'une grosse tête comme toi...

Stop ! Cessons ces enfantillages !

Oui d'accord, arrêtons de nous prendre la tête.

C'est cela, arrêtons de nous prendre la tête sinon nous finirons par avoir mal à celle-ci...


(Soudain une musique de fanfare retentit dans la salle, et des girls assez dévêtues passent entre les rangées de spectateurs en criant : «  Pâtés de tête, demandez nos pâtés de tête... » Elles offrent au public de petits sandwichs au pâté de tête...Le public, amusé, surprit, sourit...)


Rideau...


Acte 2 scène finale


Tu m'entends ?

Parles à mon cul ma tête est malade !

Pardon ?

Tu as très bien entendu. J'ai dis parle à mon cul...

(le pâté de tête se penche et regarde le cul de l'autre pâté...)

Qu'est-ce qu'il est beau ton cul !

Mon cul est plus beau que ma tête ?

Ce n'est pas comparable. Je dirais que ton cul est très beau mais que ta tête lui est supérieure...

Bien sur, j'ai la tête plus haute que le cul, encore heureux...

Même quand tu pètes plus haut que ton cul ?

Insolent ! Si ma tête n'était pas plus haute que mon cul, tu pourrais dire que j'ai la tête dans le cul, mais ce n'est pas le cas...

Ce dialogue stupide commence sérieusement à m'énerver...

Oui tu as raison, si on continue ça va être sans queue ni tête...

Ou finir en tête à queue...

Une tête à queue ? (dit le pâté en lorgnant vers les parties basses de son compère...)

Oh oui, oh oui !

(Sa tête disparaît soudain. Ne reste plus qu'une tête en scène, une tête qui soupire, qui gémit et qui dit : Tète -moi, oui, encore plus fort, c'est bon!)


A ce moment précis, le boucher arrive avec un grand couteau et tranche dans les pâtés de tête...

Il se retourne vers la cliente, qui est restée figée durant toute la pièce et lui dit :


« Mais ou avais-je la tête madame Fruchou pour commettre pareil crime ? »


La cliente : «  Vous m'affolez monsieur Trouchard, vous me faites perdre la tête, je ne sais plus ou j'en suis, donnez-moi plutôt deux bonnes tranches de votre jambon, là... »


En arrière-plan, l'on voit deux brancardiers de la croix rouge qui emmènent les deux pâtés de tête qui gémissent de douleur...


Rideau, fin de la pièce....



Note de la critique : «  Au travers du destin anonyme de deux pâtés de tête, Kristof Warlikowsky nous fait toucher du doigt l'absurdité de notre condition humaine et notre incapacité à avoir des relations amoureuse sereines. Le drame de l'incommunication entre les êtres nous est montré de façon extrêmement crue dans une dramaturgie volontairement dépouillée de tout artifice. Une pièce à voir absolument, d'autant plus que les sandwichs au pâté de tête qui sont distribués au public sont excellents... »


Le Figaro Magazine : « Les deux acteurs qui interprètent les pâtés de tête sont fabuleux. Évidemment, le metteur en scène Kristof Warliklouwsky n'a pu s'empêcher de mettre une note politique dans son texte... Il s'agit de toute évidence d'une pièce militante en faveur du végétarisme...




Signaler ce texte