Dieu épousée

nicolas-r

J'avançais à travers la pinède. J'étais jeune. J'étais nu, je crois. Mes pieds l'étaient : je me souviens encore des aiguilles de pins qui s'enfonçaient légèrement dans ma chair d'enfant. Le sable était chaud. J'avançais et je découvrais le monde, et je découvrais le soir qui tombe. Je découvrais le soir qui tombait, comme un rideau, dans le ciel rouge. Rouge, c'est la couleur dont les pins se parent à l'heure où les soleils se couchent – tièdes. Oui, les soleils étaient couchants sur toutes les horloges ; mais il n'y en avait pas ici. Le soir tombait où j'avançais ; le soir tombait à travers la pinède.


Le théâtre absurde du monde jouait son dernier acte. Je l'observais attentivement, debout entre deux pins, dans l'obombrée forêt de ma première naissance. C'était drôle, mais je ne rigolais pas. Ou : ce n'était pas drôle, mais je rigolais. Je ne sais plus, j'ai oublié. Le théâtre absurde du monde jouait son dernier acte, mais qui le savait ?


C'était ma première naissance, c'était mes premières visions. Au loin, la nuit faisait tomber les masques lumineux du jour. Le monde, comme un arbre soumis aux saisons, était soumis au temps. C'était le temps de l'automne en cette fin de jour. Des pétales morts se posaient par vagues sur des bras de mer. Je tendais les miens pour en attraper, c'était les masques lumineux du monde ! Les belles-de-jour tombaient : sur l'arbre de nuit fleurissaient les premières étoiles. Les belles-de-nuit naissaient, sur le tronc noir de la nuit, grimpaient. Désormais, de nombreux masques de lumière flottaient sur le sel de la mer, comme des reflets. Dans leurs sillages, le bleu du ciel avait explosé : les couleurs étaient multiples, vivantes. C'était un tableau d'entre-deux-mondes, un portrait de Dieu. C'était un pacte entre le ciel, entre la mer. C'était un pacte vertical qui prenait sens à l'horizon. Les masques de lumière tombaient et mon œil y croyait. C'était ma première naissance et c'était mes premières visions, mais qui le savait ?


Je n'avais encore jamais aimé. Sur mon œil froid, mon œil bleu, la lumière était rouge. Le soleil, faible, se vidait de son sang. L'astre, dans un dernier effort, une première transfusion, m'injectait ce liquide brûlant dans les yeux : mes prunelles éclatèrent, j'avais un regard de feu. D'ailleurs, il n'est de feu qu'aux couleurs du désir, et le mien était rouge. Comme le sable sous mes pieds, rouge. Et sous ce sable, sous mes pieds, j'entendais la Terre qui chantait. C'était l'amour, je crois, qui venait. Et c'est ce chant qui l'annonçait. Je n'avais encore jamais aimé, mais déjà tant désiré.


J'explorais les limbes chaudes de la vue. Et j'ai vu Dieu, partout. Je recevais des signes et c'est Dieu qui les signait ; ils étaient illisibles et pourtant je lisais. J'ai vu Dieu, ses lèvres, ses cuisses, et Dieu disait : « Je suis une femme. Qui ne le sait ne m'a jamais regardé ». J'ai tout compris ; je l'avais toujours su. J'explorais les limbes chaudes de la vue. Et j'ai vu Dieu. Et je l'ai épousée.


J'ai quitté les hommes et j'ai quitté le monde. J'ai quitté les femmes pour rejoindre les limbes. Mais c'était noces folles et ce fut vaine alliance que de vouloir lier son vide à la lumière du plein. J'ai vu Dieu, ses lèvres, ses cuisses, et je l'ai épousée. Mais quand je voulus voir ses yeux, ce sont les siens qui me virent. Elle m'a vu naître et, à chaque instant, mourir. Je l'ai toujours connue, j'ai du la voir partir. J'avais quitté le monde puis le monde m'a quitté.


La nuit tombe comme un rideau. Les hommes jouent leur dernier acte et je les ai rejoint. J'ai quitté la pinède, j'ai longé des rives ensablées, les rives des départs et des arrivées. Du feu dans mes yeux ne restait que des braises. Le souvenir des limbes lumineuses filtrait la pièce qui se jouait devant moi. Des jeunes hommes et des jeunes femmes dansaient. Je vis leur vraie nature : sous les dernières lueurs du jour enseveli, leurs chairs s'effaçaient et leurs contours n'étaient que lumière. Au fur et à mesure que la nuit avançait, leurs formes humaines se dissipaient dans les ténèbres. Les hommes jouent leur dernier acte, je joue avec eux. La vie tombe comme un rideau, et je tombe avec elle.
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