Dilemme

Nicole Bastin

4 protagonistes, 4 états d'esprit.


Papily. Le bon vivant.

Il adore sa grande tablée de réveillon. S'il peut, le jour de Noël, il passera d'un repas à l'autre, sans jamais quitter sa chaise.

Maman. La révoltée de l'extrême.

Elle peste contre le gaspillage et l'excès de nourriture. Elle déteste, par dessus tout, les « orgies » de fin d'année.

Violette. Le cuistot derrière ses fourneaux.

Elle est fascinée par la grande tradition des repas de fête. Plongée dans ses livres de cuisine, elle révise assidûment les classiques de Noël.

Papa, le 30 millions d'amis, à lui tout seul.

Chaque année, il milite, avec ferveur, contre le gavage des volailles.


Alors qu'approchent les vacances et le doux parfum de marrons chauds qui les accompagne, tout ce petit monde s'est empaillé autour d'un malheureux bloc de foie gras.

Que Papily a sorti fièrement hier, et posé royalement sur la table de la cuisine.

« Tadaam ! »

Il en salivait d'avance, le gourmand !


« Tu sais ce que j'en pense... » lui dit aussitôt Papa, sur un ton de reproche à peine déguisé.

« Oui, oui, fais ton rabat-joie. Ce n'est pas grave, je partagerai avec les autres. »


Violette saute de joie.

« Génial ! Je vais pouvoir enfin essayer ma sauce aux.. »


Mais Maman ne lui laisse pas le temps de finir.

«Je ne veux pas casser l'ambiance, mais je n'en mange pas, moi, de foie gras. Vous ne pensez pas sérieusement vous enfiler ça, à deux ? »

« Comment ça, à deux ? » rugit Papily. « Et les garçons ? »


J'interviens doucement.

« Papily.. tu sais bien que je n'aime pas ça... »


Sa moustache en frémit d'indignation. Quoi ! son petit-fils prodige qui le poignarde dans le dos !

« Et le petit Mael, alors ? »


Le petit Mael ne sait même pas de quoi on parle. Perché sur la table de la cuisine, qu'il vient d'escalader en douce, il observe la terrine d'un air circonspect.

« Ça a une drôle de couleur... »


« Ha, mais vous m'escagassez avec vos principes à la noix ! Un réveillon sans foie gras, et sans escargots d'ailleurs, hein, faut qu'on en parle tout à l'heure,

c'est..., c'est...»

Papily en perd ses mots.


« Ça craint ! » tranche Violette, boudeuse.

« Ça craint du boudin, ça craint du boudin !... » chantonne Mael.

Assis au bord de la table, il balance ses jambes en cadence.


Maman reprend.

Plus arrangeante, cette fois.

« Et si chacun mangeait ce qui lui fait plaisir ? »

« Bonne idée ! » enchérit Papa, qui saute sur l'occasion pour améliorer la situation. « Et puis, on peut aussi congeler la moitié du bloc et le conserver pour une autre fois.»


Le regard sombre de Papily semble crier « Hérétique ! Sacrilège ! ».

Mais il se ravise devant l'enthousiasme de Violette, qui bat des mains, en suppliant

« Oh oui, oh oui ! Dis oui, Papily, s'te plaît ! »

« D'accord, d'accord. Mais attention, vous deux ! » Il pointe Papa et Maman, du doigt. « Ne vous avisez pas, pendant le repas, de me bassiner les oreilles avec la misère des orphelins, ou je ne sais quoi à propos des oies qu'on martyrise !... »

« Voui, voui, voui », semblent promettre les deux mauvais élèves du fond de la classe.


Au final, après moultes discussions, on a fini par trancher. Non pas le foie gras, mais le menu !

Ça sera chapon farci pour les uns, fondue savoyarde pour les autres.

Miam, miam!


Bon bah, c'est peut-être ça, en fait, l'esprit de Noël dont tout le monde me parle.

Concilier.


TIMothée


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