Diner de promo/1

jireoparadi

On a juste troqué le costume pour un jean’s...

20H55. Ligne 7. Il fait une chaleur à crever dans cette rame. Ma migraine s'est réfugiée quelque part ailleurs que dans le fond de mon crâne.     

C'est le soir de notre diner mensuel avec quelques anciens de Sup de Co R..., je me rends compte que j'ai de plus en plus de mal à m'y rendre. Pas que mes potes soient désagréables note bien, juste qu'il ne s'y passe pas grand chose de différent que dans mes journées.  On a juste troqué le costume pour un jean's. Ou un chino pour les plus décalés... On se raconte nos vies dans la journée, buvons quelques bières, refaisons le monde persuadés qu'il tournerait mieux sous nos ordres, mais ne prenons pas cette responsabilité, pas plus que celles de nos jobs, ceux qui les ont pris sont d'ailleurs beaucoup moins présents à nos commémorations. Sauf Frédéric, DG à 34 ans, en passe de prendre la présidence de la filiale Nord-Américaine de sa boite, qui reste fidèle au poste, ça doit faire partie des choses à faire pour conserver « l'élément humain » et la proximité que les RH ne manqueront pas de noter dans ses évaluations ou le journal interne de la boite. J'exagère. Fred est loin d'être le moins investi dans la relation, je le vois à l'air absent qu'il a quelquefois. Il n'est pas Ailleurs, il voudrait juste se sentir mieux Là. Parce que finalement on ne fait que rejouer la scène, justifier les postes que nous n'avons pas eu, trouver de multiples défauts à nos boss et toutes les qualités du monde à notre « qualité de vie », nos femmes, nos gosses pour ceux qui en ont, regarder quand même les serveuses de la brasserie de l'odéon et  tenter la phrase ou le regard qui tue quand elle nous demande si « pas de dessert ? », mais on n'en prend pas,  « juste un café », on partage l'addition et Fred prend les boissons, on rentre vers 23 heures, à part quelques uns dont moi, et Fred, qui a du mal à nous quitter, pas que s'encanailler soit son truc, pourtant je n'aime pas vraiment les bars de Saint-Germain, mais parfois je me dis que l'ivresse serait envisageable pour nous, ici, ensemble, voir ce que ça fait de remplir nos verres encore, encore et encore, perdre notre portable entre les coussins des fauteuils, rentrer à pied, se coucher la bouche pleine de Téquila, de Gin-Tonic, de tabac, de mots d'amitiés,  ne pas se réveiller le lendemain, enfin si, tard, téléphoner à C... pour prendre des nouvelles d'E..., remettre l'oreiller sur notre tête, se rendormir et se remplir du bon tour qu'on vient de jouer à notre boss, notre DAF, notre vie...   

Je « change à Chatelet », avec ou sans couloirs fumeurs, ça pue toujours autant. Déboule à Odéon 10 minutes plus tard et avec 15 minutes d'avance sur notre rendez-vous. L'histoire de ma vie ça, à la bourre aux meetings boulot et en avance aux soirées...

Jamais su pourquoi.

Je suis le premier, j'ai donc le temps de réfléchir un peu à ça et décide de le faire au bar. Je m'y colle, devant un verre de Pouilly quelque chose. Et oui c'est surement ça, si je pouvais disparaître et passer tout le temps inaperçu ce serait parfait. Donc tant que je peux pas, ni arrivée tardive devant mes potes, temps passé à la machine à café avec mon boss. C'est pas que je ne vous aime pas les gars, ni que je suis timide, introverti, coincé, mélancolique,... Je n'ai rien à dire, c'est tout, vous faites fausse route, n'attendez rien de moi.

Je suis vide.

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