Ding Dingue Dong

Pascal Mess

Un vendeur, déjà heureux des sons se produisant dans son magasin, va petit à petit développer une passion de plus en plus forte, libérée.

Ding, dingue, dong. A chaque fois que cette sonnerie retentit, j'ai l'envie irrésistible de lui répondre. Comme si c'était moi qui était absolument appelé, au même titre que mon prénom. J'ai beau travailler là depuis de nombreuses années, je ne suis pas le seul, et je ne suis pas non plus le propriétaire.

Ding, dingue, dong, et me voilà le pied prêt à démarrer, à servir, à être. Je ressens à ce carillon sonnant, presque une sensualité.

Bien sûr je n'en ai parlé à personne, et n'en dirait mot jamais à quiconque. On me prendrait pour un fou!

Ding, dingue dong, je propose au client, j'ai trouvé ce qui lui faut, ding dong. J'encaisse, cling-cling.

Je clique des doigts, clique claque, muet, clique, la vente avec moi, ça claque.


Après une belle journée de travail, je m'arrête chez l'épicier. Chez lui aussi, la porte, ding dingue dong, et je me sens heureux.
Et un peu de ceci et un peu de cela, la la la dans mon cabas. Cling clang chante la caisse, ding dingue dong exprime le carillon, boum boum boum tressaute mon coeur.


Dans ma cuisine, tout sonne, tout me répond, ding dingue dong. Claque la porte attirée par l'aimant, râcle le tiroir de bois s'ouvrant. Coucou, coucou s'exclame l'oiseau. Carillon sans faille, répond la pendule. Je fais tourner l'essoreuse de salade qui me gratifie d'un zip montant, puis redescendant.
J'ai mis un disque d'Elvis Presley et je lâche mon corps sur ce rythme endiablé. Et vole l'assiette, et claquent l'un contre l'autre les couverts, et ding le verre contre un récipient.

Je ne m'occupe même plus de ce que je fais cuir, de ce que je veux manger. Et j'accentue et je répète mes gestes, les sons, les diversifie, les multiplie, en trouve d'autres, j'invente des déclinaisons que je marie avec mon corps épris de rock, en un tintamarre infernal mais délicieux. Et je l'amplifie, boum boum, les voisins tapent contre les murs, au plafond, au sol. Que m'importe! La discordance que j'ai créé est ma musique à moi, celle qui me ressemble, celle qui m'anime, et j'aime cela.

Je pérennise mon plaisir jusqu'à une heure tardive mais que je trouve décente.


Encore tout excité de mon corps en délire, les draps me câlinant, la transpiration au front, je me promet à tout jamais de recommencer à l'infini, mon tintamarre du soir.

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