DIRE

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©ISK Illustration Lukas Ptacek

Il faudrait épurer cette langue qui en crève d'être offerte à des porcs, il aurait fallu les faire taire, tout de suite, et se saigner du dernier mot juste – et plus pour leurs conneries, leurs je t'aime, la fraternité, la patrie – la tendresse même les salauds, ces mots qui ne sont plus que des mots dans leurs bouches mauvaises, non, au-delà des mots dire seulement ce qui survit la substance nue, dire encore seulement les vestiges brûlants mais debout de soi quand le reste a fini de flamber, les dents qui résistent à la cendre les os qui font désordre dans l'urne qui dépassent du bûcher –oui, en somme ne dire plus que la rage et la chair les mots sales qui parlent encore, une épitaphe du beau puisque le beau s'est tiré depuis longtemps avec les mots pour le dire alors une mystique érotique, une esthétique de la rage en un seul mot sans artifices pour une fois – se saigner du dernier mot juste.

– et me vider de mes mots, n'en garder qu'un oui, pour dire, rien, mais le dire bien, pour la rage, un mot-cri un mot-ventre animal dans cette langue qui ne serait qu'à nous – mais déjà je recommence tu vois, à tricher, à habiller mes mots-putains de carnaval pour te plaire et me taire, pour oublier ma faim oublier la chair pour oublier un peu que je ne sais plus dire…

Avant l'avant alors. Avant le temps. Il faudrait que ce soit biblique, puisque tu voulais des anges. Il faudrait le Verbe, vivant, celui qui marchait à côté de nous, qui dans un souffle offrait le monde et les bêtes à nommer, pas ces raclures de mots-tapins à six sous qui nous racolent encore entre deux étreintes trop tièdes, ou gémir alors et la boucler enfin, pour y croire encore un peu. Sans mots pour te le dire, mon pauvre amour dégénéré, tu y crois, toi ?

Ou comme les enfants, alors ?

On dirait ?

On dirait que tout n'est pas sali, gâché, on dirait qu'il reste autre chose que la rage et la chair, et que leur queue entre nos reins on les voudrait quand même encore un peu après ? On dirait que les grands mots, les mots des grands, on s'en fout, que nos toujours d'une heure, c'est déjà mieux que rien – l'éternité d'une heure ?

Va pour une heure alors. Pour apaiser un peu la rage et le silence. Pour la faim et l'absence.

Va pour une heure.

 Pour toi.

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