Dis M. le Clown, pourquoi tu pleures?
plumedesang
Pagos était rongé par le chagrin. Une tristesse infinie, de celles qui ne vous lâchent pas tant que vous n'êtes pas asséchés, drainés de toutes les larmes que votre corps peut produire. Cela lui arrivait toujours après une représentation. Clown de métier, il arpentait les routes en compagnie de sa troupe, allant de ville en ville afin de se donner en spectacle. Mais cette vie ne lui convenait plus.
Issu d'un milieu défavorisé, Pagos avait connu une enfance et une adolescence très difficile. Flanqué d'un père alcoolique et violent, d'une mère dépressive et d'une sœur ayant fugué dès que s'était présenté l'occasion, il n'avait pas connu l'amour d'une famille aimante. A l'école c'était pire encore. Souffre douleur de ses camarades, il subissait sans cesse les agressions physiques et verbales de ces derniers, mais aussi les remarques acerbes de ses professeurs, mécontents de ses résultats médiocres et de son ignorance. En effet, les parents de Pagos étaient très pauvres, seul le père travaillait, aussi, la priorité était la boisson. Venait ensuite, lorsque c'était possible, la nourriture. Pagos ne pouvait ainsi pas lire, les livres et le matériel scolaire ne faisant pas partie du vocabulaire familial. Analphabète et illettré, aucune perspective d'avenir s'offrait à lui. Jusqu'au jour où il avait découvert le milieu du cirque.
C'était un après-midi d'Octobre, alors qu'il venait tout juste d'avoir dix-sept ans. Il avait quitté le taudis familial depuis quelques mois, faisant la manche pour subvenir à ses besoins. Il s'était aménagé un abri dans un container juste en face d'un terrain vague. D'habitude désert, il était désormais occupé par une multitude de fourgons aux couleur criardes, ainsi qu'en son centre d'une étrange tente immense, aux rayures jaunes et rouges. Bien qu'intrigué, Pagos ne souhaitait pas poursuivre plus avant l'inspection: brisé par tant d'années où il avait été battu, moqué, violenté et rejeté, il avait totalement perdu confiance en lui et aux autres. Qui que soient les personnes s'étant installées là, ce n'étaient pas elles qui allaient l'accueillir. De plus qu'allait-il pouvoir raconter, lui qui n'avait rien à dire digne d'intérêt? Il se réfugia dans son container pour y passer la nuit.
Aussi, il fut surpris lorsqu'on frappa trois coups à la benne qui lui tenait lieu de domicile. Ne sachant comment il devait réagir, il sortit néanmoins. Quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu'il découvrit une jeune femme et un garçon d'à peu près son age, habillés de drôles d'accoutrements aux couleurs irisées, brodés de sequins. La fille lui adressa la parole: elle se présenta tout d'abord avant de lui proposer de venir avec eux. Ainsi il aurait droit à un bon repas et un endroit pour dormir, au moins pour quelques temps. Elle l'avait vu entrer dans la benne à ordures et ça lui serrait le cœur de savoir qu'eux étaient aux chaud et que pendant ce temps lui était tout seul, avec personne à qui parler. A ces mots, les larmes montèrent aux yeux de Pagos. Profondément touché par la gentillesse dont faisait preuve cette inconnue à son égard, il accepta volontiers son invitation. Pagos n'avait jamais été aussi heureux que cette nuit.
En effet, les trois jeunes adultes restèrent éveillés jusqu'à l'aube. D'abord réservé, Pagos s'était ensuite livré comme jamais il ne l'avait fait. Tout y était passé, de sa famille à ses camarades de classe, en passant par son incapacité à lire ou à écrire. Émus par son histoire, les deux itinérants lui avaient proposé de les rejoindre. Il ne serait plus seul, et pourrait gagner sa vie ainsi. De plus, ils n'avaient plus de clowns dans leur troupe, le dernier les ayant quitté pour vivre d'amour et d'eau fraiche. C'est ainsi qu'il prit le nom de Pagos, laissant derrière lui son ancien patronyme au même titre que son passé.
Assis sur la banquette à l'intérieur de son fourgon, Pagos pleurait amèrement. Les larmes inondaient son visage, roulant sur ses joues rebondies avant d'aller s'écraser sur le sol. Il pleurait ainsi tous les soirs depuis qu'il l'avait vu. Lui, l'enfant...
C'était il y a quelques années de cela. Pagos était en représentation ce soir là. Il avait commencé son spectacle lorsqu'au milieu de la foule, il l'avait aperçut. L'enfant. Il y en avait des centaines, rassemblés ce soir sous le chapiteau. D'autres fois, il y en avait même bien plus. Mais lorsque Pagos avait croisé le regard de celui-ci, il sut qu'il n'était pas comme les autres, il était différent. Tandis que les autres semblaient blasés, voire las, les yeux de l'enfant brillaient d'une lueur intense, il semblait se raccrocher au spectacle comme si sa vie en dépendait. Pagos l'observait tout en continuant son sketch, jusqu'à ce qu'un homme, son père à n'en pas douter, fasse irruption sous la tente, saisisse son fils par le poignet et le gifle violemment, l'entrainant à sa suite à l'extérieur. Si personne ne semblait faire attention à ce qu'il venait de se passer, Pagos lui avait tout vu. Et depuis ce soir fatidique, il pleurait.
Il ne pleurait pas à cause de son propre passé. Il pleurait parce que, ce soir là, il avait compris. Compris que les enfants privés d'amour, rejetés, brisés, martyrisés, ces enfants là obligés de grandir trop tôt, trop vite, ces enfants pour qui il se battait au quotidien, à qui, par le biais de son spectacle, il voulait, le temps d'un soir, redonner le sourire, ces enfants là étaient aussi privés de cette lueur d'espoir qu'il désirait tant leur offrir. Et plus que tout ce qu'il avait subi par le passé, c'était ce sentiment d'impuissance, de ne pouvoir aider les enfants qui étaient en train de subir ce que lui avait vécu, qui le faisait souffrir.
Malgré tous les efforts de la société pour changer tous ces comportements malheureux, certains abus passeront toujours entre les mailles du filet !
· Il y a environ 4 ans ·Louve
Je le sais bien, d'où l'importance pour moi d'avoir traité ce sujet délicat. Écrire afin de témoigner de la souffrance que peuvent engendrer de tels abus sur des personnes les ayant vécues, mais aussi pour eux, afin qu'ils aient une voix pour se faire entendre et comprendre qu'ils ne sont pas seuls.
· Il y a environ 4 ans ·plumedesang
Bien :)
· Il y a environ 4 ans ·Edgar Allan Popol
Merci!
· Il y a environ 4 ans ·plumedesang