Discours 11 Novembre 2014

versenlaine

"Pour que la mémoire ne meurt jamais !"

Il y a dans nos vies des évènements qui nous marquent à jamais. Des traumatismes qu'on ne peut effacer. Des prises de conscience qui nous font avancer. Je me souviendrai à jamais de ces images d'un corps en décomposition, mi-os mi-chair, dévoré par des rats sur un champ de bataille Meusien, et projeté sur grand écran à l'ossuaire de Douaumont. Je n'oublierai jamais ces crânes fracassés, éventrés, défoncés me fixant sur un lit d'ossements divers au travers des vitres salies de ce même ossuaire. Je garderai à jamais le souvenir de mes yeux enfantins découvrant avec innocence ces 16 000 tombes fruit de la folie des hommes. Je crois pouvoir dire que lorsque j'ai découvert Verdun, alors que je n'avais que 5 ans, j'ai pris conscience de ce qu'était l'horreur sans pouvoir réellement la mesurer, car je n'avais devant moi que le résultat d'un « abattoir international en folie », pour reprendre les mots de Céline.

Une seule question me venait alors à l'esprit, comment avions-nous pu en arriver là ? Comment le XX e siècle avait-il pu laisser comme plus grand souvenir, un charnier mondial de près de 100 millions de victimes en un siècle d'enfer ?

Aujourd'hui, 11 novembre, nous commémorons la fin d'un conflit qui révéla l'inhumanité de l'être humain. Une guerre qui sacrifia des générations et des familles entières au nom d'une élite politique et économique qui a saigné le monde au profit ses intérêts personnels. Qui d'entre nous n'a pas perdu au moins un membre de sa famille dans ce déluge de feu et d'acier ? Ils étaient « puceaux de l'horreur », ils sont aujourd'hui les témoins mutilés des folies de l'homme. Et c'est notre devoir que d'entretenir leur mémoire afin que leur sacrifice ne soit pas vain !

Cependant, cette année 2014 fut pour moi jonchée d'exemples me laissant penser que la mémoire se meurt un peu plus chaque jour. Tout commença en mars dernier au mémorial de la côte 204 à Château-Thierry, ce monument américain en hommage aux victimes de la seconde bataille de la Marne s'était, en ce début de printemps, transformé en square public ! Des enfants jouaient au football, soutenus par leurs parents et s'injuriant de tous les noms, sur les collines mêmes où des milliers de soldats versèrent leur sang, alors qu'un un panonceau explicitait en anglais « Silence». Je nous sais mauvais élèves en matière de langue, la traduction de ce terme était assez difficile j'en conviens ! Il y avait aussi cet enfant qui faisait de la trottinette et s'amusait à frapper les murs du mémorial sa mère lui répétant « c'est bien mon fils ! C'est pas grave si tu rentres dans les murs, ils sont morts, ils sont morts, on s'en moque! » au milieu de cette scène burlesque deux hommes savouraient une coupe de champagne... que célébraient-ils ? La victoire de l'inculture et de l'irrévérence ? Ou les dernières prestations du PSG ?

Les mois passèrent, après le printemps de l'irrespect, place à l'été de l'inconcevable ! En juin je visitais le camp de concentration et d'exécution de Mauthausen en Autriche, et à l'oppressant spectacle qu'offraient les lieux s'ajoutait l'effroi d'une classe de jeunes lycéens espagnols riant dans les chambres à gaz ou encore jouant avec les brancards des fours crématoires.

Enfin, dernier exemple, c'est cet outil de mémoire mis en place par la Ville de Verdun pour intéresser les plus jeunes : un jeu de piste au milieu du cimetière de l'ossuaire de Douaumont pour retrouver une tombe! En voici un extrait : « Descend les marches du cimetière militaire, ensuite tourne à gauche dans la 2ème grand allée, marche jusqu'à la dernière ligne de tombe musulmane...et caetera » ! Où est l'intérêt de ce GPS macabre ? Transformer la mort en un jeu est-ce une façon d'entretenir la mémoire ?

J'ai longuement hésité à prendre la parole, me demandant sans cesse si le 11 Novembre était une date acceptable pour pareil discours. En ce jour, alors que nous célébrons la paix retrouvée, que nous rendons hommage aux victimes d'un conflit sans merci, sans égale et sans autres motivations que de servir les intérêts carnassiers d'une minorité dirigeante ; je vous livre mon désemparement devant l'indifférence la plus flagrante que nous offrons à tous ces sacrifiés. J'ose dire « NOUS » , car nous sommes tous coupables et victimes des pages d'histoire que nous écrivons ENSEMBLE à chaque instant.

Il y a un an, jour pour jour, j'étais avec vous et vous parlais d'histoire. Je vous rappelais ô combien elle était importante à la réalisation de notre avenir et à la compréhension de nos sociétés. Aujourd'hui, je reviens vers vous désemparé et exaspéré ! Mon monde, NOTRE monde est malade ! S'il tourne encore rond grâce à la physique il me semble pourtant qu'il a perdu le nord depuis quelques mois. Quel cap pour notre humanité toujours plus divisée ? Quel futur pour mes amis et vos enfants ?

À l'heure où bon nombre tentent de nous DIVISER, je NOUS accuse de les laisser faire. L'histoire ne nous a-t-elle donc pas appris à nous unir ? Notre passé n'a-t-il pas témoigné des dangers de pareilles divisions ? Ne serai-je pas hypocrite en commémorant la paix lorsqu'aux quatre coins du monde j'entends des cris d'agonies, des pleurs d'orphelins et le hurlement des bombes ?

Encore faudrait-il que la mémoire demeure pour prendre conscience de tout cela. Et ce n'est pas avec un jeu de piste ou quelques discours enjolivés par des doctrines politiques servant les intérêts de leurs orateurs avant d'honorer les victimes que nous y arriverons. Mais bien en redonnant le goût du passé et le respect pour autrui.

En ce 11 novembre 2014, rendons donc l'hommage qu'il se doit aux sacrifiés de la folie humaine et pour ce faire :

Cessons de nous servir des victimes de la Grande guerre pour appeler à l'union nationale alors que l'on divise un peu plus chaque jour notre société. Cessons de critiquer l'inculture de la jeunesse et offrons-lui un enseignement digne de ce nom ! Cessons de faire de l'histoire l'instrument d'une idéologie politique, Michelet et le roman national ont eu leur temps, et rendons à l'histoire ses lettres de marques afin que cette « passion française » nous apporte les réflexions nécessaires au renouveau de demain !

Ainsi, mon arrière-grand-père, mon arrière-grand-oncle, vos ancêtres, nos ancêtres, n'auront pas donné leur vie pour rien et alors leur mémoire ne sera pas qu'un nom sur un monument aux morts.

Mes chers amis, il y a un an, jour pour jour, j'étais avec vous et vous parlais d'histoire. Aujourd'hui je crois savoir que l'humanité a besoin de cours de rattrapage.

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