Disparition

L

 "Comment veux-tu distinguer le faux du vrai, quand on crève de solitude ? On rencontre un type, on essaie de le rendre intéressant, on l'invente complètement, on l'habille de qualités des pieds à la tête, on ferme les yeux pour mieux le voir, il essaie de donner le change, vous aussi, s'il est beau et con on le trouve intelligent, s'il vous trouve conne, il se sent intelligent, s'il remarque que vous avez les seins qui tombent, il vous trouve de la personnalité, si vous commencez à sentir que c'est un plouc, vous vous dites qu'il faut l'aider, s'il est inculte, vous en savez assez pour deux, s'il veut faire ça tout le temps, vous vous dites qu'il vous aime, s'il n'est pas très porté là-dessus, vous vous dites que ce n'est pas ça qui compte, s'il est radin, c'est parce qu'il a eu une enfance pauvre, s'il est mufle, vous vous dites qu'il est nature, et vous continuez ainsi à faire des pieds et des mains pour nier l'évidence, alors que ça crève les yeux et c'est ce qu'on appelle les problèmes de couple, le problème du couple, quand il n'est plus possible de s'inventer, l'un l'autre, et alors, c'est le chagrin, la rancune, la haine, les débris que l'on essaie de faire tenir ensemble à cause des enfants ou tout simplement parce qu'on préfère encore être dans la merde que de se retrouver seule"Gary.

Énième dispute. Surtout la dernière. Il m'a demandé de fuir. Alors j'ai disparu. Je retourne dans l'ombre et je sème derrière moi les souvenirs. Mon défaut est que je ne fais jamais les choses à moitié, j'agis avant de réfléchir, je suis une bombe à surprises. Dans certaines situations et surtout celle-ci, ce défaut se transforme en qualité et cette qualité en force. J'ai complètement disparue de partout sans dire au revoir à personne. J'étais fatiguée de trouver des excuses et des prétextes. Je suis douée pour les départs mais je ne le serai jamais pour les adieux expliqués et argumentés. Je préfère laisser derrière moi des interprétations et laisser les autres répondre seuls aux questions qui me sont destinées. Longtemps j'ai médité sur ce besoin de fuir. Parce qu'on part toujours pour fuir quelque chose, quelqu'un. On part toujours pour se fuir soi-même. On fuit ce qu'on a dit, ce qu'on a fait. Il y a cette envie de se laver de tout ça, comme si disparaître permettait d'effacer nos coups manqués. Je pars souvent en traînant mes casseroles. Je n'ai jamais été celle qui essayait de sauver l'autre, je suis celle qu'on essaie de sauver. Certains se sont tués à la tâche, ils se sont essoufflés jusqu'à se blâmer à ma place, jusqu'à l'épuisement et la prise de conscience qu'ils n'y parviendraient jamais, que tout partait de moi. Dans l'œil de l'autre, j'ai moi-même été personnifiée et idéalisée, prise pour quelqu'un que je n'étais pas.

Il y a une croyance qui dit que pour vivre heureux il faut vivre caché. Lorsque je pars, je ne me cache pas. Je crois que le terme n'est pas assez fort, pas assez retentissant. Lorsque je pars je me réfugie, je ne reviens pas, je suis tellement loin qu'il est impossible de savoir où je me trouve. Je me perds moi-même dans certaines de mes localisations. J'étais de passage, je suis constamment de passage. On part mais pas pour revenir. On part pour voir plus loin. J'ai longtemps été passive, j'ai attendu des retours qui ont laissé des creux profonds en moi. Un jour on croit mourir du départ de quelqu'un et puis le lendemain on aperçoit une éclaircie, on reprend son souffle. Un jour on croit aimer à en perdre la raison et puis le lendemain notre lucidité nous revient en pleine face. Je suis partie car je voulais avoir le choix. Le choix de ne pas revenir. Le choix de souffrir ou non. Le choix de me protéger. Je suis partie pour avoir cette impression de posséder un libre arbitre, pour avoir la certitude de me posséder. J'ai arrêté de vivre, je défilais sous mes yeux. Je respirais pour un signe, emprisonnée dans une attente vaine. Je rêvais, j'idéalisais. Je chérissais le vide. J'ai alimenté une perte de temps, ce temps est passé devant mes yeux à une vitesse folle. J'étais un poisson bloqué dans son bocal, je tournais en rond, j'en ai même oublié la raison de ma passivité. C'était la peur de me retrouver seule. Le pire est surement que je me complaisais dans cette situation. Je préférais vivre ça plutôt que de prendre une décision. Partir du jour au lendemain n'est pas l'issue, mais comment faire lorsque c'est la seule option qui nous fait tenir debout ? Comment faire lorsque c'est quand je n'existe plus publiquement que je me sens le plus intimement vivante ? Je le fais alors. Je n'aime pas être vue, je n'aime pas être sue. Je préfère surement être devinée, imaginée. Je n'aime pas être appréhendée, je préfère être désirée. J'ai façonné autour de moi un mystère, quelque chose d'inconnu qui me rassure. Trop me montrer, trop me donner, m'est nocif. J'ai toujours pensé que le fait de se montrer était accompagné d'un besoin de se justifier. C'est donner une justification à ce que nous sommes, ce que nous faisons. Se montrer c'est se mettre en scène et jouer inlassablement l'entièreté d'une pièce qui se trouve être notre vie, lorsqu'on décide de garder ce rôle. Certains le font jusqu'à ce qu'il ne leur soit plus possible de jouer. Ils collectionnent les preuves d'existence, leurs valeurs sont mises à prix. Je l'ai fait assez de temps pour savoir combien c'était vain. Mon rideau s'est fermé, mon spectacle est terminé. J'ai compris que si je fuyais encore aujourd'hui c'est parce que mes blessures étaient toujours aussi vives et qu'il fallait cesser de les faire évoluer dans cette violence endémique. Je suis restée paralysée à un endroit que j'ai longtemps considéré comme mon point d'arrivée car j'avais peur de reprendre ma route, sous l'emprise de l'habitude et des acquis. Mais le jour où je resterai quelque part, alors je serai prête. Prête à ne pas repartir, à garder les gens que j'aurai rencontrés, prête à me créer et grandir dans cet endroit. Je ne cours pas derrière quelque chose, j'expérimente. Se montrer c'est ne pas être naturel ni honnête. C'est chercher approbation et légitimité, ailleurs, partout, auprès des autres. C'est attendre de l'autre qu'il nous dise ce que l'on devrait se dire soi-même. Acquérir une validation que l'on devrait se donner soi-même. Je ne disparais pas pour être rattrapée. Je ne pars pas pour que l'on me supplie de rester. Je l'ai fait dans le passé, j'attendais que quelqu'un se pointe. J'attendais que quelqu'un qui n'est pas moi change le cours des choses, de mes choses. J'attendais qu'on me sorte la tête de l'eau quand bien même je ne cessais de couler. J'attendais. Personne n'est venu sortir ma tête de l'eau. Personne ne m'a demandé de rester. Et je crois que de toute manière, dans tous les schémas possibles, j'étais déjà loin. Je ne cours pas derrière quelque chose de plus radieux. Je ne cours même pas. Je pars pour être oubliée. Je pars car c'est ma seule manière de survivre. Départ ou fuite, les deux peut-être. L'un dans l'autre, finalement.

Trop souvent, on préfère encore être dans la merde que de se retrouver seule. 

  • J'ai adoré votre texte, je n'ai pas de choses particulières à dire je serai même incapable d'en dire. Vous semblez très lucide sur vos visions et spirations dans la vie même si l'on pourrait les penser étrange. Beau texte

    · Il y a presque 3 ans ·
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    jeffrey-gandhide

  • Notre couple était à l'image des autres: une grande mascarade. Le couple ne fait que reproduire le modèle de domination de la société. On aliène une personne. Célia Levi. Les Insoumises

    · Il y a environ 3 ans ·
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    enzogrimaldi7

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