Divagations hospitalières

maia

Par la fenêtre

La montagne du Roule se dresse devant moi, falaise béante laissant apparaître sa chair de terre brune, proue d’un navire veillant sur moi, seul point d’ancrage dans cette vie mouvante qui peut-être touche à sa fin. Autour, le ciel, le temps, les nuages, les espoirs, tout bouge, tout défile, et plus rien ne me retiens que ce roc solide et protecteur.

J’ai tord, rien ne me retiens plus au contraire que de voir, changeante, cette nature enveloppante découvrir chaque jour un  nouveau visage.

Rose, gris ou azur, je m’accroche à ce petit carré de ciel rarement bleu, à ce soleil, ombragé dissimulé, mais jamais lointain, qui baigne les éléments de sa douce luminosité, irradiant le ciel de toute sa palette arc en ciel, à ce vent dont  la force plus souvent libre que contenue  fait la pluie et le beau temps, gouvernant la course des nuages qui  lâchent au gré de ses humeurs menu crachin, grêlons ou  trombes d’eau, balayant de sa fureur  la moindre végétation, modelant à son idée les vagues et les flots qui dévorent à leur tour les cotes déchiquetées, et  à cette  terre, brune, verte, rousse, violine, sauvage et violente elle aussi, qui résiste malgré tout.

Je pense alors à  ces habitants qui n’ont pas toujours eu le choix, raptée par cette terre-mer nourricière et ogresse à la fois. Combien de naufragés, de paysans harassés ont-ils péri au cours des siècles pour qu’aujourd’hui je puisse observer par la fenêtre les vestiges de cette civilisation ? Tout en haut, le fort qui se fond encore à la montagne, mais  en bas, les maisons et immeubles, moins discrets, témoignages de cette présence toujours plus envahissante.

J’aime ces petites lumières qui le soir s’allument les unes après les autres, j’aime sentir cette présence de mes semblables, si proche malgré leur indifférence. Parfois quand j’ai de la chance, je surprends une silhouette qui passe dans cette lumière, vient fermer un volet où justement  oublie et s’attarde dans mon champ de vision. J’aime imaginer toutes ces petites vies grouillantes et vibrantes, derrières les fenêtres de la ville.

Et moi, derrière la mienne, je contemple ce tableau jamais immobile et toujours en mouvement, derrière ce cadre qui lui semble bien immuable, mais pour combien de temps ?

Et allongé sur un lit, moi, l’Homme  qui au cours de ma vie n’ai jamais pris le temps, hospitalisé,  j’ai maintenant tout le temps de perdre ce temps que je n’ai plu

Phobies

Le cancer me dévore, j’ai dans le crâne l’image de ce crabe qui me ronge les entrailles.

Roscoff en Bretagne,

Des milliers de carcasses de crabes

Abandonnées par des restaurateurs

Ou bien par des pêcheurs,

 Peut-être n’y en avait-il pas autant ?

 J’avais 4 ans.

 Et ces carcasses de crabes sur la plage ont accompagné mes premiers pas dans l’eau.

L’eau qui à marée basse, laissait apparaître vase et varech gluants

D’où se faufilaient multitude de minuscules crabes grouillants,

 Et la peur, panique, envahissante, irrépressible, paradoxale même

 De sentir leurs pinces mordre mes chairs, de voir un filet rouge s’échapper de mes sandales,

 Ou d’en écraser un et voir  une purée verdâtre suinter de sa carcasse.

Et ces images de crabes ne cesseront d’accompagner mes derniers jours sur terre

Et cette peur, panique, raisonnée et lucide cette fois, toujours irrépressible

De sentir les pinces de ces crabes microscopiques mordre mes chairs,

Et à l’intérieur de moi, deviner cette purée rougeâtre qui suinte de ma propre carcasse.

ETE

Eté

Rideau bleu foncé

Du soleil, il y a trop de soleil !

Surtout ne pas risquer une insolation,

Gentille infirmière qui prend bien toutes les précautions

Aujourd’hui, pas de nuages, pas de montagne, pas de surprise, seule mon imagination

 Pour transformer ce maudit rideau terne et délavé en cet azur turquoise que je devine derrière.

Et la colère !

La colère de n’être sur ce lit plus un homme, incapable de diriger sa propre vie, de choisir si je veux prendre un coup de soleil, si je peux marcher, marcher et tomber, comme si dans ma vie je n’avais jamais eu à me relever.

Il y a toujours quelqu’un qui sait tout mieux que vous, et c’est toujours pour votre bien.

Croit-elle, la jolie infirmière que de mourrant, en écoutant tous ses conseils, je deviendrais immortel ?

A cet instant, magie ou chimère,

 Une flèche d’or frappe l’infirmière.

Ce n’est pas une flèche pour la blesser, ni une flèche de cupidon, bien que je pourrais en rêver.

Juste un rayon de ce soleil  impétueux qu’on essaie en vain de dompter ;

Et en réponse à ce halo scintillant autour de la fenêtre, narguant les néons de lumière vide et crue, cet autre halo doré autour du visage si doux de la jeune femme.

Et moi, le mourant sur le lit, apaisé, je suis heureux d’être en vie. 

LA NUIT

Il fait sombre au dehors. Le soleil a laissé progressivement place aux ténèbres.

Les lourds nuages qu’on devine prêts à exploser ont progressivement envahis le ciel, car la nuit tombée, nul besoin  de dissimuler davantage leurs noirs desseins. On les voient s’agiter, poussés au combat par le vent, ils s’entrechoquent et s’allient en silence, attendant le premier coup de tonnerre annonciateur de l’éclair qui viendra les pourfendre.

La montagne, toujours immobile, se détache de l’obscurité ambiante  par sa noirceur encore plus menaçante. On la sent autoritaire, inflexible, forte, dominatrice, puissante. 

La lumière lunaire du fort du Roule se reflète sur la roche mis à nu et lacérée par des tranchées noires de ronces et d’arbustes malmenés par de violentes rafales. Cette lueur extraterrestre n’a rien de rassurante. Elle n’est que le symbole de  l’inégalité des forces qui vont s’affronter. Au sommet, l’œil sanglant de « Sauron ?» surplombe la ville endormie.

Pourtant, j’aime passionnément cette puissance de la nature qui va se déchaîner. J’aimerais m’y fondre, me laisser emporter et surtout oublier.

Car, hélas, ces ténèbres qui m’entourent ne sont rien en comparaison avec celles que je m’apprête, comme toutes les nuits à affronter dans la clarté des néons.

C’est contre une autre nature que je dois lutter, la mienne.

Regarder à l’extérieur pour tenter en vain de m’extraire de ce corps malade et douloureux, et surtout oublier,

Oublier cette dérisoire mais  tyrannique envie d’uriner.

La réprimer, se retenir, lutter tout la nuit s’il le faut,  mais, comme celui de la chèvre de monsieur SEGUIN, il y des combats qui sont vains.

Et tandis qu’au dehors les cieux déchaînés libèrent les vannes d’eau glacée, j’échoue, inexorablement, nuit après nuit au continent d’Inc, nom poétique de mon corps, devenu île inondé par sa propre miction. Naufrage, déchéance de mon être, délivrance aussi, le liquide chaud  remonte  le long de mes côtes tel un ressac, et coule le long de mes cuisses.

Je m’imagine, Simbad le marin, Ulysse voguant sur les océans, mais le continent d’Inc n’appartient pas au pays des rêves et si  seulement il pouvait n’être qu’un cauchemar !

Il est là, bien réel et aucun  jour ne parviendra jamais à le dissiper chez tous ceux qui l’on parcouru. Continent d’Inc, incontinence, c’est tout ce qu’avec le temps, on est devenu incapable de faire et qui reste dans les tablettes de la mémoire, au plus profond de notre dignité, gravé.

Neige artificielle ?

Aujourd’hui, surprise, les lourds nuages gris, annonciateurs sous d’autres cieux de blancs manteaux, ont finalement ici même libéré leurs lourds fardeaux.

Depuis quelques jours déjà, ils s’amoncelaient, ballons dirigeables résistant au vent et libérant par mégarde quelques flocons de leurs cargaisons, flocons  qui venaient se perdre  sur le carreau. Leurrée par la chaleur tropicale de l’hôpital, j’avais cru à quelques pollens anachroniques ou poussières égarées. Mais, ce matin, certitude, cette nuit, il a neigé sur la ville, et la montagne s’est drapée d’une moumoute blanche parsemée de taches brunes. On la croirait recouverte de ces fameux moutons à tête noires venu brouter une herbe inexistante.  

Doux tapis de nuages blancs, rendront-ils ma chute plus douce ?

Légers flocons blancs, est ce la neige ou tout simplement mes souvenirs embrumés qui se dispersent dans l’espace comme dans ma tête ?

Depuis hier, je suis morphiné.

Mes dernières idées claires luttent comme les têtes foncées des moutons sur  la montagne pour ne pas se laisser envahir. Il neige au dehors comme il neige dans mon esprit floconneux… et j’aime ça.

J’ai pourtant longtemps lutté contre cette idée, préférant la douleur à la liquescence de mon esprit, niant alors mon unité. Comme si un corps souffrant pouvait encore réfléchir ! 

 Ne suis-je pas moi-même ce petit flocon égaré qui flotte et se liquéfie en même temps que mes pensées ? Quel plaisir de sentir enfin son esprit quitter ce corps souffrant et la douleur en même temps disparaître ! Quel plaisir de pouvoir enfin délirer en toute quiétude sans s’en soucier !

 Et me voici, libre, béat, me demandant comment ais-je pu attendre si longtemps ?

FIN

Il fait sombre, je ne vois plus rien, est-ce ma vue qui ce brouille ou le brouillard qui  enveloppe la montagne ? Je ne devine que son pied, masse floue plus foncée enveloppée et  coupée à la base par le gris laiteux de la brume.

 Je sens bien que c’est la fin, mais combien de temps cette fin durera-t-elle ? Combien de temps cette fin a-t-elle déjà durée ? Je ne suis pas désorienté, mais tous mes repères ont disparus.

J’attends…

J’attends que le temps fasse son œuvre sans le mesurer ce temps qui m’échappe ;

Les minutes sont elles des heures ; les heures des secondes ?

Je ne sais, j’ai perdu tout contact avec la réalité.

Au tout début, je me fiais à mon estomac, comme un bébé, il dictait mes journées : petit déjeuner, déjeuner, goûter, dîner, et une journée de passée.

Et puis petit à petit, je n’ai plus pu rien avalé, alors le flux continu de la sonde a remplacé mon horloge biologique, et seule l’alternance jour/nuit rythmait le flux du temps selon si j’étais ou non attaché par ce cordon ombilical qui me nourrissait.

Un jour, ils sont venus me questionner.

On ne peut garder éternellement une sonde naso-gastrique, (quel nom barbare !), ils me proposaient une jéjuno, le mot était plus doux, mais pas l’intervention qui l’accompagnait.

Et  pourquoi faire ? S’il venait me poser la question, ce corps médical omniscient, c’est qu’il n’y avait pas de réponse. Toute leur technique  ne saura jamais disperser le brouillard épais comme la brume de mer cherbourgeoise dehors, qui couvre la frontière entre soins et acharnement thérapeutique. Je leurs suis reconnaissant d’ailleurs de m’avoir enfin à la veille de ma mort considérer comme un Homme, un Homme autonome, capable comme toute sa vie durant, de faire ses propres choix.

Il était temps que je m’en aille.

Alors, j’ai refusé, et le flux a cessé.

Au début j’avais juste faim, c’était l’appel de la vie qui réclamait de l’énergie à dépenser. J’adore cette formule qui me fait irrémanquablement  pensé à une publicité, et je me nourrissais virtuellement de ce nutella onirique qui encore mieux que l’estomac, m’emplissait l’esprit.

Mais petit à petit, la vraie faim s’est installée, avec elle la douleur du ventre creux, avec elle la difficulté de se concentrer, avec elle plus tard la nécrose de mes tissus dénutris, et bien sur la souffrance qu’aucun traitement ne pouvait soulager.

Mais la vraie fin, je l’attends toujours, cette fin qui me libèrera de ma faim, qui mettra fin à mes souffrances, mais aussi à mon existence. Faim, j’ai faim. J’ai faim de cette fin qui ne vient pas.

Je n’ai plus la force de l’appeler, encore moins de la provoquer, alors j’attends.

Je souffre et j’attends.

Pendant encore combien de temps ?

Personne dans ce corps soignant si enveloppant pour réellement m’aider.

Je suis prêt, pourtant, prêt à me soumettre à l’épreuve du temps, mais le temps pour réaliser son oeuvre prends parfois tout son temps.

Le temps de la faim est là

Le temps de la fin approche.

Pendant combien de temps aurais-je encore faim ?

Pendant combien de temps attendrais-je encore la fin ?

Aujourd’hui, demain, dans une seconde, dans une semaine, le temps de la fin sera là et l’oeuvre du temps sera enfin achevée.

  • Un texte qui m'a beaucoup touchée et qui d'une façon très particulière m'a fait ressentir ce temps qui devient très particulier, le temps qu'il fait dehors, le temps qui passe, l'intérieur du corps et les éléments... ce temps de l'hopital... une envie aussi que ce texte finisse comme ce que vit le personnage ? un côté "décousu" qui convient bien à ce long malaise... Vous avez su raconter sur un sujet qui est loin d'être évident... bravo !

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • Suite à ton appel, je vais essayer de donner un avis construit: à mon sens ce texte mériterait d'être plus travaillé au niveau de l'écriture. Tu as un vocabulaire intéressant, un univers très visuel qui me plaît, une écriture picturale en somme. Le sujet, le ton la composition et les couleurs sont là, reste à bosser les coups de pinceau! :)

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Freaks26 orig

    monster-inside

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