Divagations U-bahnesques

louison-ty

Aimer depuis Berlin

Comprends que je t'écris pour que tu te souviennes, de ma voix, grave à nos réveils, rauque à nos entrevues dans les bas fonds enfumés de la ville, tremblante à ton toucher. De mes yeux qui sur toi se posaient avec la plus grande candeur de l'amitié fragile. J'entame ce soir la cinquième lettre, elle va venir se poser sur les autres, c'est un petit tas d'amour que je regardes pour te garder rien qu'un peu. Elle dominera mes mots d'hier pour cette nuit seulement et demain un autre feuillet viendra la cacher par d'autres pensées et fantasmes accablants pour mon cœur. Je te raconte tout, de mes premiers pas hors du lit à mon vagabondage quotidien dans les rues où je te cherche toujours du coin de l'œil sachant bien qu'un miracle seulement te ferait apparaître dans l'ombre des immeubles froids. Je te décris mon menu, souvent tu aurais été consternée par mon régime digne d'un pauvre étudiant. Je te dépeins mes après-midi au restaurant, chaque épluchure est une image de toi qui s'envole en un souhait, que tu te souviennes. Je n'ai entendu ta voix que deux fois là-bas, cristalline de pudeur puis excessive par l'alcool que tu ingurgitais sûrement pour ne plus rougir à mes regards. J'aurais dû peut-être rester à tes côtés, ne pas continuer dans mon projet enfantin de fuir pour un meilleur monde illusoire. Tu m'as écrit une fois depuis mon départ et je ne peux me résoudre à te répondre. Je te parle tous les jours pourtant, les femmes que j'enlace sont de simples imitations de ta perfection. Toi, la fille qu'on ne remarque pas, au visage simple, pas beau, peut-être même un peu amusant avec tes joues rondes, ta petite bouche rosée, tes cheveux qui n'en font qu'à leur tête sur la tienne. Et pourtant je sais qu'un autre te trouvera, et comme avec moi tu le repousseras pour mieux l'accueillir, je ne serai plus qu'un lourd souvenir raté tandis que mes lettres resteront dans le tiroir impuissantes. Tu ne te souviendras bientôt plus et moi je me souviendrai de tout.

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