Docteur Maalouf

Patrick Brothier

Comment un disque génial accouche de la renaissance musicale d’un ado...

C'est l'histoire d'un petit malin d'aujourd'hui qui aime la musique électronique d'une inquiétante manière, monomaniaque. Je sais, c'est difficile à, comprendre car trouver une pépite dans cette diarrhée musicale est aussi facile que de débusquer l'ombre dans le désert du Namib.

Cette musique peut même abîmer les tympans des imprudents qui l'écoutent en boucle et les parents du garçon s'inquiètent de voir leur fils se complaire à ce point dans ces enchaînements bruyants et si rarement brillants. Mais comment le sevrer ou au moins l'aider à varier les nourritures pour éviter l'overdose ?

Le miracle se produit un vendredi soir, en 2014. Les parents regardent parfois en dînant l'émission de Frédéric Taddei Ce soir ou jamais. L'animateur a souvent une programmation musicale souvent plaisante pour boucler les débats. Ce soir-là, Ibrahim Maalouf est justement l'invité chargé de conclure.

Et l'improbable se produit. Le jeune garçon assiste médusé à la prestation du musicien libanais. Dans un match de boxe dont ses parents sont les témoins inconscients, le jeune garçon reçoit un uppercut au foie. Mais il reprend son souffle et dissimule le choc. Ses parents ne décèlent en rien le moment précis marquant le début d'une cure de diversification musicale. Car leur progéniture a fait de son amour exclusif de l'électro un étendard dont il ne saurait se défaire ni devant les filles qui lui plaisent ni bien sûr devant ses proches.

True sorry, tel est le titre du morceau délivré de façon imparable par Ibrahim Maalouf et ses acolytes. C'est un étonnant concentré jazz pop mâtiné d'accents orientaux. Nourri de puissantes oscillations, le morceau vous transporte illico même si vous étiez étranger à cet univers musical deux minutes auparavant.

Acheter le disque (illusions) et l'écouter dans son intégralité, c'est découvrir médusés un talent protéiforme. Le musicien hors normes et ses comparses ne labourent pas les terrains connus et jouent avec la fluidité des plus grands.

Ceux, nombreux assurément, qui ignoraient son existence seront à la fois médusés et honteux, un peu comme s'ils lisaient éblouis Cormac Mac Carthy pour la première fois vingt ans après Le grand passage…

Ibrahim Maalouf avait pourtant déjà beaucoup donné à écouter de son insolent talent. Mais à l'image de sa naissance au Liban, déclarée avec plusieurs semaines de décalages en raison d'une terrible séquence de guerre, la vie artistique d'Ibrahim Maalouf a démarré pour le grand public avec un effet retard.

Un phénomène finalement aussi fréquent que la guérison subite des ados prompts aux passions musicales sans partage.

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