Drone de drame : la métamorphose des papillons

Marie Beaumert

Octobre 2015. Paris a peur. Une étrange angoisse s'est installée sur la ville. Les passants se précipitent vers les bouches de métro. Les automobilistes ferment les vitres de leur véhicule. Un nuage aussi effrayant que majestueux plane au-dessus des Parisiens.

Que se passe-t-il ? Flashback…


18 septembre 2015, nuit de vendredi à samedi

La nuit tombe. L'été se termine, l'air est doux mais une pluie fine mouille sa veste à la sortie de son immeuble. La porte claque derrière lui. Il traverse la rue pour descendre dans le métro. A cette heure, les passants sont fatigués de leur journée et pressés de rentrer. Mais pour lui, la nuit ne fait que commencer. Les stations défilent…Châtelet... Pyramides : il descend.


Lui, c'est Simon Carlsson, un policier de quarante-deux ans. Il travaille au commissariat central dans le premier arrondissement de Paris. L'équipe de nuit est devenue sa deuxième famille. Recruté pour son efficacité sur le terrain et sa persévérance dans les recherches, il ne laisse jamais rien au hasard.


Son bureau est toujours propre, impeccablement rangé. Chaque soir, en arrivant pour prendre son poste, Simon Carlsson passe une lingette aseptisée sur son bureau puis vérifie que son pot à crayon, dans le coin de son bureau en haut à droite, n'a pas bougé d'un centimètre. Son feutre noir, qu'il utilise le plus souvent, est le seul à être toujours à côté du pot à crayon.

Ses dossiers sont classés par couleur selon les sujets et chaque dossier est placé dans une pile suivant la date de début de l'enquête. Le dossier rose traite de trafic de drogue avec un certain Tony dont la police n'a pas encore retrouvé la trace, le vert est une sale histoire d'agression d'une fillette, Lola, par une bande d'adolescents, tandis que dans le bleu, aussi appelé dossier Fournier, on trouve l'étrange histoire d'un homme poussé dans les escaliers du métro par une femme dont on ne connaît pas encore l'identité.


Ce n'est qu'ainsi, une fois tout en ordre, qu'il peut se mettre au travail.


Le téléphone sonne, c'est un appel pour lui annoncer une bien étrange information. Au bout du fil, le préfet :

- « Cela ne peut plus durer, la population n'en peut plus et le Ministre de l'Intérieur vient de m'appeler. Il faut absolument trouver une solution radicale »…

Simon comprend tout de suite : le préfet parle des bandes de jeunes qui s'affrontent à coups de cutters et battes de baseball… La semaine dernière c'était près du Louvre, hier aux Invalides. Ce soir, ce sera où ?

Jusque-là, le policier ne bronche pas… Cela fait partie de son quotidien. La surprise vient quelques minutes plus tard :

- « Le gouvernement a décidé de faire appel à des drones pour aider la police dans ses enquêtes. Vous aurez une semaine de formation pour apprendre à les piloter. » lui assène le Préfet avant de raccrocher.


Finalement, contre toute attente, la nuit est calme. Simon peut rentrer chez lui au petit matin, toujours un peu troublé cependant par l'appel qu'il a reçu en début de nuit.


Simon en a vu d'autres depuis le début de sa carrière… Mais là il est quand même intrigué. Avant de s'endormir, il pianote sur son ordinateur et trouve la définition suivante : «Un drone (de l'anglais « faux-bourdon »), également appelé UAV (pour Unmanned Aerial Vehicle), est un aéronef sans personne à bord, télécommandé à distance ou autonome qui peut éventuellement emporter une charge utile, destinée à des missions (ex. : de surveillance, de renseignement, d'exploration, de combat, de transport, etc.)…»

Cela confirme bien ce qu'il pensait. Il en avait déjà entendu parler comme aide dans le secteur de l'agriculture ou comme outil de surveillance et de combat dans l'armée mais dans la police ? Pourquoi pas...


Intrigué, il l'est encore plus le lendemain. Sur son bureau, une grosse boîte en carton. Et dans la boîte, d'autres boîtes, une bonne cinquantaine. Il hésite tout d'abord à les ouvrir.

- « T'es sûr de toi, et si c'était des colis piégés ? » s'inquiète son collègue.

C'est vrai qu'hormis ce chiffre dix indiqué au feutre noir sur chacune des boîtes rien est indiqué, ni sur le carton, ni sur les boîtes. Simon ose tout de même, il se lance et à l'ouverture de la première, rien qui ressemble à un avion miniature…Mais du coton sur lequel sont posés… des cocons !

- « Mais qu'est-ce qu'ils vont faire de ça ?... » Simon s'interroge, il se dit qu'il doit y avoir une erreur de destinataire.

Avec son collègue, ils ouvrent quand même une à une toutes les boîtes pour voir si rien d'autre n'y a été caché. Rien... rien que des dizaines de cocons.


Il s'apprête à questionner le policier à l'accueil du commissariat pour savoir si on ne lui a pas donné plus d'information à l'arrivée du colis… Mais à ce moment-là, une camionnette de livraison arrive avec une dizaine d'énormes couveuses. Simon et son équipe se demandent s'il n'y a pas d'erreur. Mais le tout porte le sceau de la Préfecture de police.


Suivant les instructions, Simon et son collègue placent toutes les boîtes ouvertes dans les couveuses rassemblées dans une salle de réunion. Puis le policier reprend ses dossiers… « on verra bien » se dit-il.


La nuit suivante, un homme arrive au commissariat pour la formation des policiers au pilotage des drones. Il explique à l'équipe de policiers :

- « Le gouvernement a contacté des chercheurs américains de l'Université d'État de Caroline du Nord qui ont imaginé des drones papillons. Ils ont fixé des électrodes à l'animal directement dans son cocon avant qu'il se métamorphose. La grande évolution de ce drone est sa discrétion et son intégration totale dans le paysage urbain. Son seul inconvénient est qu'il ne dure que vingt-quatre à quarante-huit heures, la durée de vie du papillon. »


Pilote de papillons, celle-là on ne lui avait encore jamais faite ! Mais Simon Carlsson est un policier obéissant et il apprend vite. En attendant que les papillons prennent vie, il apprendra à les manier et à les maîtriser. Pas d'angoisse donc… enfin, presque pas !


L'homme continue :

- « Votre formation sera assurée par des étudiants du département informatique de l'Université Pierre et Marie Curie. En effet, eux-mêmes ont été formés par des chercheurs du laboratoire d'informatique de Paris 6, ainsi que des étudiants de l'école Epitech qui est l'école de l'innovation et de l'expertise informatique. Bien évidemment, on a établi un contrat de confidentialité avec les étudiants recrutés dans ce programme. Effectivement, pour son efficacité, ce dossier doit rester totalement confidentiel. »


Ce matin, les papillons commencent juste à sortir de leur cocon. Les premiers nés serviront à la formation des policiers la nuit prochaine. Simon rentre tranquillement se reposer.


La formation commence ce soir. Simon ressent une certaine impatience. Sa nouvelle mission, bien étrange, pique sa curiosité comme tout ce qu'il ne connaît pas. Mais là, cependant, le fait de pouvoir utiliser de vrais papillons, de vrais êtres vivants, le trouble. Il se demande même si c'est bien légal.


Arrivé au commissariat, il effectue son rituel : lingette, rangement... mais pour une fois il s'attarde peu car l'envie d'aller voir où en sont les cocons est bien plus forte que sa maniaquerie.

En entrant dans la salle de réunion, il découvre qu'une douzaine de papillons se sont formés. Simon les trouve un peu étranges, plus gros que de simples papillons de nuit, mais ils sont plutôt beaux, finalement.


Les cinq étudiants recrutés arrivent. Ils s'installent dans une salle accolée à celle de réunion où sont regroupés quatre postes informatiques.

Un des étudiants prend la parole :

- « Bonsoir, vous connaissez la raison de notre présence ici je suppose. »

Les quatre policiers acquiescent d'un signe de tête.

- « Pour commencer cette formation, il faut que vous vous mettiez dans la peau d'un vrai hacker.»

Cela commence bien... Simon a l'impression de participer à quelque chose d'illégal.

- « Se former sur ces drones n'est pas très compliqué mais il va falloir explorer les détails de ce programme pour en voir toute l'étendue, les capacités, et non pas seulement apprendre le minimum nécessaire. Vous devez pouvoir réagir en toutes circonstances. »


Les policiers ont désormais entre les mains une télécommande miniature qui leur permettra de piloter mais aussi de programmer chaque drone.


Leur formateur peut continuer :

- « Tout d'abord il faut savoir que votre papillon est un UAV, c'est à dire un véhicule aérien sans pilote ».

Simon arrête net l'étudiant :

- « Stop, il faut que j'aille prendre un carnet pour noter tout ce que vous nous racontez avant d'être complètement largué ».

Ses collègues font de même, bien contents de l'intervention de Simon.

L'étudiant enchaîne :

- « En cas de problème, à n'importe quel moment, faites un RTH, c'est un retour à la position de départ. Contrairement à certain drones, lorsque vous aurez appris tout ça sur votre papillon, il sera RTF ». A la tête des policiers, l'étudiant comprend qu'une petite traduction s'impose de nouveau.

- « RTF est l'abréviation de Ready To Fly, cela désigne donc qu'il est prêt-à-voler. »

Après cette brève explication, Simon se met à son poste, un étudiant à ses côtés pour lui expliquer le principe.

Pendant ce temps, le cinquième étudiant va chercher quatre papillons, un par policier, dans un premier temps.


A la première manœuvre, Simon trouve ça surnaturel, prodigieux. Tout à coup l'étudiant lui dit :

- « To balance your props ». Simon le dévisage... Il lui explique que cela signifie qu'il faut équilibrer les ailes du drone. En effet il se peut qu'une des ailes soit plus lourde que l'autre et que cela déséquilibre légèrement le drone en lui donnant des vibrations pendant le vol. Balancer les hélices signifie pour le drone papillon que Simon doit ajuster le poids des deux ailes en envoyant un peu plus de puissance dans l'une des électrodes.


Consciencieusement, Simon note tout. Petit à petit, en pratiquant avec l'étudiant, l'utilisation devient plus claire même s'il comprend qu'il faut connaître un minimum de vocabulaire dronique pour s'en sortir.


L'étudiant poursuit :

- « Vous avez toujours le MAP au cas où. »

Encore un sigle barbare…

- « Le Manuel d'Activité Particulière » lui précise immédiatement l'étudiant.


La formation des policiers se poursuit. Ils apprennent à programmer les drones pour suivre quelqu'un, sans avoir besoin d'opérateur en permanence pour les diriger. Grâce au drone, le commissariat gardera la trace de tous les trajets de l'individu.

« Là c'est big brother puissance dix » se dit Simon, à la fois impressionné par la prouesse technologique et inquiet de ses conséquences pour la vie privée des futures cibles des papillons.


Les premiers essais commencent. Les premiers papillons sont programmés puis lâchés en pleine nuit. Quelques passants sont bien un peu étonnés, mais à cette heure-ci les rues sont surtout occupées par des fêtards et beaucoup ne s'aperçoivent de rien. Pourtant, les premiers incidents se produisent : certains papillons se percutent, se mettent à tourner sur eux-mêmes à toute vitesse... ou explosent en vol.


Deux nuits plus tard, première enquête sans les étudiants pour les guider... Les policiers ont repéré quelques individus bien connus de leurs services… revendeurs de drogue, alcooliques notoires, anciens détenus récemment libérés… Des clients parfaits pour leurs premières tentatives de surveillance ! Après quelques hésitations, Simon et ses collègues arrivent à programmer leur drone pour qu'ils suivent ces délinquants en puissance… Sur leur ordinateur, s'affiche en temps réel le parcours des suspects. Première étape réussie … Simon peut enfin aller se coucher, avec le sentiment du devoir accompli.


Mais en rentrant chez lui, Simon entend derrière lui :

- « Aïe, mais il est con ce papillon, il m'a foncé dedans ! »

Un peu plus loin, une femme s'écrit :

- « Mais ils sont débiles ces papillons, ils se rentrent dedans. »


Mais au fait, pourquoi ces papillons étaient-ils au-dessus de cette femme, se demande Simon. « Je ne me souviens pas qu'on ait programmé un papillon pour la suivre. Ils nous avaient dit que c'était uniquement pour surveiller les délinquants. Cette pauvre femme n'a vraiment pas l'air d'être dangereuse, qui a bien pu décider de la faire suivre par un papillon ? ».


Mais Simon est fatigué après sa nuit blanche. Il se dit que l'expérience n'en est qu'à ses débuts et qu'il y a forcément quelques ratés. Que tout va s'arranger. Les chercheurs américains savent sûrement ce qu'ils font ! Donc, pas d'angoisse.


L'angoisse, pourtant, Simon va la connaître dès le soir même… Après avoir dormi toute la journée pour récupérer de ses nuits de permanence… il allume la radio et entend :

« C'est une invasion pas comme les autres qui touche Paris depuis ce matin. Une invasion de papillons ! Ils sont partout, pénètrent dans les maisons. Les habitants retrouvent déjà des dizaines de spécimens dont la taille est parfois impressionnante. Selon les témoignages et les réseaux sociaux, certains papillons mesureraient jusqu'à seize centimètres et appartiendraient à une même espèce : Saturnia Pyri ».


Simon s'habille en hâte… pas de douche ni de collation avant d'aller travailler… Il faut qu'il se renseigne sur la façon de réagir à cette information. Faut-il garder le secret de la surveillance ou informer la population qu'elle est surveillée, épiée ou encore va-t-on enfin arrêter cet excès de surveillance ?


En sortant de chez lui, Simon découvre un spectacle désolant qui, provoque chez lui une réaction très étonnante, un hoquet violent qui le secoue brutalement… : des papillons morts jonchent le sol, ils sont démembrés, piétinés... Et au-dessus de sa tête, ils sont des dizaines. Un étrange bourdonnement se fait entendre. « Ça bourdonne les papillons ? Cela doit être à cause des électrodes… Nous voilà attaqués par des PGM (papillons génétiquement modifiés) maintenant » se dit Simon qui n'en mène pas large.


Il n'en croit pas ses oreilles… « ils semblaient sous contrôle. Est-ce que des drones papillons peuvent buguer et devenir fous ? » se demande le policier.


Cette fois, Simon commence sérieusement à perdre son légendaire sang-froid. Il se précipite vers le métro, mais sent quelque chose qui le gène… Il se retourne et se retrouve nez-à-nez avec… un papillon ! Serait-il lui aussi surveillé ?...


Marie BEAUMERT


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