Du côté obscur
Cathy Galliègue
Et c'est là, je crois, que je suis passée du côté obscur.
À ce moment précis, vidée de toutes mes forces, de toutes mes belles illusions, amputée de ma moitié, sans plus rien ni personne, sans aucune issue de secours, il ne me restait qu'une seule chose à faire.
Comme téléguidée, je me suis relevée, j'ai dénoué mon déshabillé noir, l'ai laissé glisser de mes épaules au sol. Je l'ai enjambé et j'ai enfilé ce qui me tombait sous la main : un jean, un pull, des bottes.
Je me suis regardée au-dessus du lavabo. Il y a deux heures, tout allait si bien… Il faut que je quitte cet endroit qui n'est plus chez moi, que je parte… maintenant !
J'ai ouvert la porte du cagibi au fond de l'appartement, là où il flanque en vrac ses fringues, ses treillis, ses chaussures. J'ai passé ma main sur les piles défaites, les tissus imprégnés de son odeur, j'ai enroulé autour de mon cou un de ses souvenirs d'Afghanistan, un foulard en cachemire, j'ai fourré mon nez dedans et inspiré fort… quel gâchis !
Je le trouvais tellement séduisant quand il rentrait, habillé en civil, sortant le flingue de son holster et le posant sur le meuble du salon. Un vrai mec.
Sur la petite étagère, son arme de service était restée à sa place. J'ai passé mes doigts dessus… Tiens, chargé. Ah, ah ! Monsieur l'instructeur, on apprend à ses élèves que la première règle de sécurité c'est de ne jamais laisser le chargeur dans son flingue, et qu'est-ce que je trouve là…
J'aurais pu régler le problème là, tout de suite. Je ne ressentais aucune peur, juste cette souffrance intolérable, le néant comme une spirale, et moi, fétu de paille, aspirée, engloutie, morte…déjà.
Non. Je n'allais pas lui imposer la macabre découverte, lui donnant là une dernière occasion de me détester alors qu'il nettoierait les murs, qu'il ferait évacuer ma carcasse et que je lui offrirais le dégoût sur un plateau.
Et puis toutes ces images ancrées à jamais, chaque fois qu'il se retrouverait là, l'odeur de la mort, mes boucles rousses baignant dans le rouge épais, les morceaux éparpillés, la tête éclatée, l'arme dans ma main.
Qu'il ne garde de nous que le beau et qu'il se souvienne bien de ses derniers mots ignobles et assassins, qu'il passe des nuits entières à regretter, à devenir fou, à demander pardon, qu'il ne puisse plus jamais baiser ni sourire, ni parler, ni être heureux.
Qu'il paye sa vie tout entière celle que j'aurai perdue à cause de lui. Pour moi, ce soir, tout sera fini. Mais pour lui, ça ne fera que commencer.