Du rêve à la réalité

A.E Ferrets

Le bruit peut-être dangereux pour la santé mentale

31 janvier 2013, 15h55. Mathias Grown, 34 ans, pommé. Je vis à côté d'une station de métro aérien qui fait un boucan d'enfer toutes les 10 minutes. La rue est pourrie, les trottoirs sont recouverts de mégots et les murs sont tagués de partout, oeuvre des jeunes de banlieue qui s'ennuient après avoir refourgué toutes leurs marchandises.

    J'habite au 3ème étage d'un appartement miteux avec une grande vue sur ce foutu métro. Ma femme m'a quitté pour un sale type qui bosse dans les assurances et j'ai perdu mon job. L'odeur infecte qui se dégage de l'évier dans lequel baigne une vaisselle de plusieurs mois vient à bout des cafards qui s'asphyxient ou s'empoisonnent avec de la bouffe intoxiquée.

    Je suis vide, dénué de tout. Mon cerveau fonctionne désormais en mode automatique. Voilà quelque temps que je n'ai pas sorti les poubelles. Les mouches commencent à s'entasser petit à petit sur le rebord des fenêtres, agonisant dans leur dernier souffle d'air nauséabond.

    J'ai cependant une seule envie, là, tout de suite : prendre un bain. Heureusement, la baignoire est encore potable même si la tuyauterie est complètement pourrie. J'observe l'eau couler avec attention, l'air hagard, imaginant que mes problèmes vont couler avec elle. Pendant ce temps, je m'enivre l'esprit avec un vieux whisky que j'ai trouvé au fond du bar, dernier vestige d'une soirée entre amis qui date d'il y a plus d'un an, quand Marina était toujours là.

    J'enlève mes vêtements et me plonge dans l'eau chaude. Cela devrait être agréable mais seule une sensation de fourmillement m'envahit à son contact. Me voilà allongé dans ma baignoire face à la grosse tache d'humidité qui décore le mur de la salle de bain. Le papier peint s'est à moitié barré, lui aussi.

    Du bruit, encore du bruit, c'est à en devenir fou. Les voisins qui gueulent, les marmots qui chialent et le chien qui ne veut pas se la fermer. J'ai mal au crâne et les médicaments contre la migraine que j'absorbe depuis des jours n'arrangent rien. Trop de bruit, trop de stress, trop de vie à cent à l'heure. Stop.

    Je m'enfonce dans l'eau, je ferme les yeux. Le silence, si calme, si paisible… plus un bruit. J'entends juste les battements de mon cœur. Je sors le nez et la bouche, gardant le reste plongé au fond de l'eau. J'écoute le bruit de mon souffle qui me fait doucement remonter à la surface puis replonger au fur et à mesure que je respire. Je me sens bien. Trop bien. C'est agréable.

    Cette sensation m'enivre. Je flotte comme dans le ventre de ma mère. Protégé dans ma bulle et pourtant, si près de la mort. Que se passerait-il si je m'endormais ?

    Le temps passe, l'eau devient froide. Je remonte à la surface doucement comme si je venais au monde pour la seconde fois. C'est agréable. L'eau coule de mes oreilles, j'ouvre les yeux comme un nouveau né, je respire. Je me sens bien, léger, vivant. Je suis un autre. Je fixe le mur, la tache est toujours là mais elle ne me perturbe plus. Les bruits ont presque disparu. Ils me semblent lointains, perdus dans un caisson de métal que mon oreille ne peut à peine distinguer.

    Je décide de me lever, de sortir du bain. Encore nu, je me dirige vers la cuisine et prend le couteau de boucher qui a servi à couper la dinde de l'an passé. Il faut que cela cesse. Je sors de chez moi, encore apaisé par la sensation de ce nouveau moi qui vient de naître. Je frappe à la porte de mes voisins… Le père m'ouvre, une moustache mal rasée et l'œil étonné de me voir nu dans le couloir. Il a la clope au bec et un marcel blanc taché de café au-dessus d'un caleçon bleu rayé.

    Mon esprit ne s'arrête même pas sur lui, juste le temps de fixer ma cible. Une fois identifiée, je lui inflige d'un geste violent et vif, un coup de couteau à la gorge. J'entends les cris étouffés de sa femme qui hurle derrière lui pendant que cet abruti tombe sur le sol, la bouche ouverte, en me fixant d'un air ahuri.

    Je pousse la porte, j'attrape la femme qui semble marmonner quelque chose que je ne comprends pas. J'enfonce lentement mon couteau dans son ventre en la regardant droit dans les yeux. Mon souffle sur ses lèvres, j'avais presque envie de jouir du spectacle. Comme c'est beau. Je sens son sang chaud couler sur ma main alors que je retire le couteau qui l'a pénétrée comme après l'avoir violée. Elle s'effondre comme un vieux tas de viande sans aucun intérêt.

    J'avance dans une chambre et vois un adolescent, casque sur la tête, absorbé par un jeu vidéo en ligne sur son pc. Facile. Il n'a pas fait deux minutes.

    Dans la seconde chambre rose, une fillette de 5 ans est assise par terre en train de jouer à la poupée. Je la regarde, les mains encore rouges du sang chaud de sa petite famille. Elle ne comprend pas. Je m'accroupis près d'elle et lui montre de mon doigt la fenêtre afin qu'elle regarde à droite. La ruse fonctionne. C'est à ce moment que j'entends sa petite nuque se briser sous mes doigts, sans un souffle, net et efficace.

    Il ne reste plus qu'une seule pièce : la salle de bain. Une odeur de jasmin et de la vapeur d'eau qui émane de dessous la porte. Il y a une fille qui chantonne je crois à l'intérieur. J'entre. Je la vois belle et nue allongée dans son bain. La mousse qui s'est dissipée laisse voir les formes généreuses et fraîches de sa douce jeunesse. Une jeune pucelle, brune, les seins pointant comme deux jolis petits fruits sucrés, les cheveux mouillés. Elle ne me voit pas, je l'observe secrètement dans son dos.

    Dans ses oreilles se trouvent deux oreillettes de mp3 et elle remue la tête au rythme de la musique. Je sens l'envie m'envahir. Je décide de m'avancer doucement, sans un bruit pour ne pas la surprendre. Elle est belle. Je n'ai pas envie de salir sa douce peau avec du sang. Doucement j'appuie ma main sur sa tête pendant que l'autre entoure sa bouche pour qu'elle ne puisse pas crier ni même se débattre. Elle s'enfonce lentement dans l'eau en faisant des grands gestes avec ses bras et ses pieds, telle une danse prénuptiale qui me serait destinée. Quelques dernières petites bulles remontent à la surface et je la sens lâcher prise. Les yeux ouverts, elle ne bouge plus. Je retire mes mains et la regarde couler au fond de la baignoire telle une sirène qui se perd dans les profondeurs de l'océan. Quel spectacle magnifique elle m'offre là.

    D'un pas automatique, je retourne dans mon appartement et me dirige jusqu'à la baignoire. L'eau y est toujours. Je me plonge dedans mais elle est froide. Je décide de méditer un instant au fond de l'eau pour déguster encore les merveilles que mon nouveau moi vient d'accomplir. Chaque image me revient en tête, chaque regard, chaque souffle, chaque odeur. Un délice.

    Je relève la tête. J'ouvre les yeux : 17h. La tache est toujours sur le mur. Les voisins font toujours du bruit. En fait, je m'étais simplement endormi…


A.E Ferrets

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