Dune

lespizzasjoey

Je frotte. Pas très longtemps, et pas trop fort. J'ai toujours peur qu'il y ait des bouts de peau qui s'en aillent. Et que lui s'efface avec. Alors je ne frotte pas, je caresse. Je le caresse. Sur les bras, sur les jambes, sur le ventre... Pour le visage c'est différent. Je ne le caresse pas, je lui offre des baisers. Mais avant je le rase. Tous les jours. J'applique la mousse sur son menton, sur ses joues, au dessus de sa bouche... Et je balade le rasoir comme si je tondais la pelouse. Des fois je fais même le bruit de la tondeuse, mais il n'y a que moi que ça fait rire. Alors j'arrête et je tonds en silence. Ensuite seulement viennent les baisers. Tout doucement je les dépose avec ma main, à l'intérieur d'un gant, rose et mouillé. Avec de l'eau chaude, mais pas trop. Tiède. Je trouve ça agréable. A chaque fois c'est comme un voyage. J'ai l'impression d'être dans le désert, avec des dunes à pertes de vue, des dunes de peau séchée.

Mais il s’efface en silence. Il s’en va peu à peu, s’effrite comme un vieux manuscrit. Il n’a que 35 ans. Et déjà la fatigue accentue les traits de son visage. Il n’est plus lui-même. J’ai beau le laver, lui enlever cette crasse, lui décaper les pores de la peau, la fatigue ne s’en va jamais avec le gant. Elle reste là, collée à ses poils, collée à son corps et sûrement à son esprit, s’il ne l’a pas déjà perdu. Il n’a que 35 ans. Et déjà des plaques rouges traversent son corps, blanc. Il est aussi pâle que la Lune. Il a les mains attachées aux bords de son lit, pisse par une sonde, s’alimente par une sonde, respire par un tuyau… Ce n’est pas un homme, c’est une machine. De lui partent toutes sortes de conduits, de cylindres de différentes compositions. Ce n’est pas un homme, c’est un fil. Un fil ou plutôt un cylindre. Qui rétrécie, qui se solidifie de jour en jour, jusqu’à ne plus pouvoir se tordre. Même la douleur ne le fait pas plier. C’est un cylindre, une boîte de conserve. Non, c’est un fil, un fil de légume, un fil de haricot. Qu’on mâche, qui nous chatouille la gorge, qui nous énerve, et qu’on fini par recracher. 

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