Ecran, dis-moi qui est la plus belle

nelopee

T'es qu'une ombre migrante sur le net, tu hantes le réseau et tu m'électrifies.

C'est comme si on avait le droit à une deuxième vie qu'on pouvait arranger comme bon nous semble, en lisser les bords pour la rendre plus présentable. 

Les heures de la journée passent mais Anna ne l'habite pas réellement. Anna, elle n'est plus là. Son corps est posté devant son écran et elle reste longtemps sans bouger, elle a de l'entraînement. C'est son esprit qui vagabonde virtuellement, à la recherche des frissons d'une aventure qu'elle ne pourra jamais vivre dans la réalité.

Sa spécialité c'est les réseaux sociaux, même si sa vie sociale en elle-même est bien peu remplie ces temps-ci. Alors elle ment, elle en rajoute. Le but final étant toujours de plaire, de récolter le Saint Like qui nous sauve de la disgrâce et mesure notre pedigree aux yeux des autres. Cependant Facebook l'a lassée. Ce site est créé pour se faire aimer mais à force de s'y perdre à tort on finit par être dégoûtée de sa personne.  

Alors elle a trouvé d'autre moyens de perdre son temps. Twitter, Tumblr, Pinterest, Instagram... Tous ses rêves sont correctement organisés, soigneusement classés. Cela la détend, ouvre son âme à de nouveaux horizons, mais l'empêche de vivre ceux qu'elle peut toucher. 

Elle n'a que 13 ans la première fois qu'elle laisse un message sur un forum pour ados. Elle a appris l'humour et la répartie au milieu des trolls de bas étages et des tirades de haut niveau de ces gens dont elle n'a jamais vu le visage. Il y a eu ce garçon tellement cynique, tellement plus vieux qu'elle aussi, qui lui a dit toi, t'es pas conne pour ton âge. Cela lui est apparu comme le plus beau compliment du monde à l'époque. Pourtant Anna l'était, conne, oh qu'elle l'était.

Elle a eu des amis virtuels, oui. Des filles à qui elle a tout raconté. Des garçons avec qui elle s'est bien marrée. De jolies discussions. De nombreuses nuits blanches passées à plisser les yeux devant un écran trop lumineux pour chatter. Mais cela n'a jamais bien duré. Elle est simplement incapable de garder le contact. C'est facile, jamais culpabilisant: il suffit de devenir soudainement silencieuse et d'oublier.

Et puis cela a évolué. En grandissant, Anna a passé le cap des conversations qui tournent en rond, elle souhaite plus. Elle se sent tellement seule, elle explose de l'intérieur mais personne ne comprend, personne ne l'écoute. Et y'a lui, ce beau garçon de son âge qui lui fait des compliments, des sous-entendus et elle rentre dans son jeu. Elle n'est ni la première ni la dernière mais elle s'en fout. Elle se sent un peu unique, un peu privilégiée pour la première fois de sa vie. 

Alors Anna a enlevé le haut, enlevé le bas, elle a tout montré, et lui aussi. Et puis est venue la honte, la vraie. Ces photos, Anna, elle ne se reconnaît pas, elle n'est pas cette fille. Alors elle a fait ce qu'elle sait faire le mieux. Elle a coupé les ponts. Elle est restée silencieuse à ses relances. Plus de notifications. Il a laissé tomber. Elle ne sait même pas si elle est soulagée ou déçue.

Anna ne sait plus rien. La petite fille s'est perdue.

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