Ecrin d’hémoglobine

Stéphane Sapin

Ça démarre par un cliché, un bête accident de la circulation, pour se terminer sur les chapeaux de roux sur les routes de France à tenter de m’arracher à une mort certaine si je ne parviens pas à gagner un laboratoire secret que seule la responsable de mon état connaissait.

Elle m’avait délivré un petit cadeau, un précieux virus, une petite arme bactériologique utilisée pour des frappes chirurgicales. Une arme précieuse pour laquelle j’étais devenu l’écrin. Nous n’avions pas plus de 36 heures pour rejoindre le point de rendez-vous situé à 18 heures de route de là.
Mon compte était bon, il ne s’agissait pas de se méprendre.

Deux destins qui ce rencontrent pour le meilleur et pour le pire un vendredi 13. Un jour inoubliable, infernal ou merveilleux.

Je pris m’a voiture comme chaque matin sans bien réaliser que nous étions un vendredi 13, jour qui avait fait date dans mon existence puisque j’étais moi-même né un vendredi 13. Tout débuta par un mouvement inconsidéré, une pression de la semelle épaisse de ma chaussure écrasa un peu trop lourdement la pédale des gazes. Cette maladresse me fit oublier ma vive allure. À la hauteur du feu rouge je tentai de freiner sans compter le poids du véhicule et le terrain accidenté préfigurant la suite des événements. Je vis donc le feux rouge passer sur ma droite et le flash du radar me griller sur place. Un véhicule venu de la gauche me stoppa net dans un bruit infernal de tôle broyée.

La conductrice sortit de sa voiture comme de ses gons.

- Mais ce n’est pas vrai !

- Oui je sais ! reconnus-je. Autant pour moi ! Il suffit de regarder mon véhicule.

- Mais enfin ça vous prend souvent de brûler les feus rouges ?

- Non, pas souvent, mais aujourd’hui je dois reconnaître… Je suis navré.

- J’espère ! Vous avez vu ce qu’il reste de ma Peugeot !

- Je vois. En même temps pourquoi vous n’avez pas freiné ?

- J’ai freiné ! Vous voyez ces traces noires là ?

- Bon, je vais être bon prince, je prends tout sur moi.

- Bon prince ?!

- On peut toujours voir ce que la police en dira.

Curieusement, à ces mots la demoiselle se calma et accepta ma proposition d’une manière si docile que je me demandais s’il n’y avait pas anguille sous roche. Quoiqu’il en fût, je n’allais pas taquiner la bête.

- Bon, comment procède-t-on ? demandai-je.

- A vous de me le dire.

- Je remplis la déclaration pour l’assurance que vous signez et vous êtes libre.

- Libre ? Libre de devoir marcher jusque chez moi.

- Je ne peux malheureusement pas vous raccompagner mais je peux vous offrir le taxi et je m’occupe du reste.

La jeune femme semblait préoccupée, elle regardait régulièrement autour d’elle avec une certaine angoisse comme si elle attendait quelqu’un. Les voitures tentaient de passer en contournant les deux épaves. Je n’étais pas insensible aux charmes de la belle et me réjouissait à l’idée de connaître ses coordonnées. Je sortis le formulaire que je dépliai sur un petit bout de capot non tordu.

- Si on pouvait se dépêcher un peu ! Ce ne serait pas plus mal ! me dit-elle, toujours avec la même inquiétude.

- Je procède, je procède, non pas que je sois procédurier, mais vous connaissez les assurances, il faut faire les choses dans les règles de l’art.

Son activité de vigie prit de plus en plus d’ampleur. Elle devait craindre quelque chose, la police peut-être. J’allais lui demander son adresse quand une voiture s’approcha à toute allure. La jeune femme se précipitât soudain vers moi en m’empoignant l’épaule. Je ressentis une piqûre dans ma chair qui me fit émettre une plainte. Tout se passa alors très vite. Du bolide sortit un individu qui saisit la jeune femme pour l’embarquer et repartir aussitôt dans un bruit de gomme brûlée sur l’asphalte.

Je restai arrêté, tout penaud sans même avoir eu le temps de réagir me tenant l’épaule piquée au vif. Une voiture de flic vint se garer derrière moi, j’en profiter pour me précipiter vers elle afin de leur annoncer la malheureuse nouvelle.

- Messieurs les policiers, il faut absolument intervenir, des hommes ont enlevés une femme dans un véhicule, je n’ai malheureusement pas pu relever le numéro. C’était une voiture noire, une Alpha je crois.

Je n’ai pas tout de suite compris pourquoi, mais ils ne m’ont pas cru.

- Bonjour Monsieur, qu’est ce qui se passe exactement.

- Je vous dis que la conductrice de cette voiture c’est faite enlevée.

- Celle-ci est à vous ? demanda le deuxième policier.

- Oui, j’ai eu un léger accident, j’allais faire un constat quand une voiture noire a débarqué pour enlever la conductrice.

- Vous avez consommé de l’alcool ? demanda le premier policier, comme si cela pouvait couler de source.

- Non, c’est un peu trop tôt le matin.

- Pouvez-vous souffler dans ce ballon.

Il me tendit un objet étrange dans lequel j’étais sensé souffler. J’ai du m’y reprendre à plusieurs fois au point de me demander si je n’allais pas expirer.

- C’est bon. dit le flic.

- Non ce n’est pas bon, la demoiselle qui occupait la place du conducteur a disparu, enlevée par des inconnus.

- Mais la conductrice aussi est une inconnue. fit le premier policier.

- Oui justement ! Il faut se dépêcher pour la retrouver !

J’avais débuté un dialogue de sourds sur divers mal entendus, la communication était brouillée et j’ai passé près de deux heures à me faire embarquer au poste de police pour une déposition sans nom pendant que les véhicules prenaient la direction du garage. Je sortis fatigué par ce ramdam mais content de ne plus avoir à faire avec les forces de l’ordre. Mon téléphone sonna. Je regardai le numéro de téléphone, il était masqué. Je répondis.

- Allo ?

- Bonjour, c’est la conductrice de la voiture que vous avez enfoncé, il faux que vous m’écoutiez attentivement.

- Mais vous êtes libre ? Je vous ai vu vous faire enlever il y a de ça à peine deux heures ?

- Ne vous préoccupez pas de moi. Il faut que vous me rejoigniez au 17 de la rue Girard, maintenant, c’est très important.

- Mais… Je suis sensé aller travailler, j’étais sur le chemin de mon travail quand je vous ai percuté.

- Il faut venir, je vous dis, c’est très important.

- Si vous le dite. Je peux savoir pourquoi ?

- Je vous expliquerai quand vous m’aurez rejoint. Je vous attends.

- Bon, j’ai besoin d’environs 20 minutes.

- C’est bon, je vous attends.

Je raccrochai, surpris par cet appel et incapable de remettre les événements dans l’ordre, comment avait-elle eu mon numéro, et pourquoi devais-je la rejoindre. L’idée de la revoir ne me déplaisait pas même si ces retrouvailles me confrontaient au mystère. J’en profitai pour contacter ma boîte et leur dire que je ne viendrais pas travailler aujourd’hui ; je venais d’avoir un accident et j’avais besoins de repos.

Je ne mis pas une minute de plus que les 20 énoncées plus tôt pour parvenir sur les lieux. Elle avait précisé qu’il s’agissait d’une arrière-boutique. J’entrai prudemment. Elle fit irruption devant moi et m’emmena de l’autre côté du bâtiment.

- Venez ! Il faut partir, je vous expliquerai en route.

- En route ? Vous voulez dire que vous avez une nouvelle voiture ?

- Oui, et pas grâce à vous…

- Bon. J’obtempère, mais il va falloir m’expliquer, parce que je commence vraiment à ne plus rien comprendre et je suis de nature à m’angoisser alors…

- Alors je vous dirai que le strict nécessaire.

- Tant que je parviens à comprendre un minimum.

Nous sortîmes de l’autre côté de l’immeuble où nous attendait un véhicule flambant neuf.

- Eh ben ! Vous ne lésinez pas sur les moyens.

- Je n’avais pas le choix.

- Ha !

- Montez !

J’entrai dans le véhicule qui sentait l’odeur de la voiture neuve à s’en rendre malade.

- Eh ben ! C’est du joli véhicule ça. Et maintenant si vous me racontiez.

Elle démarra vivement ce qui eut pour particularité de m’enfoncer dans le siège moelleux.

- Je vais être bref. Je vous ai injecté une substance dans le sang que je dois récupérer.

- Ha, et pourquoi ?

- Les types qui m’ont enlevé voulaient le récupérer, je n’avais plus trop le choix que de vous utiliser.

- Vous m’en voyez ravi. Mais qu’est ce que ça implique, je veux dire qu’est-ce que ce produit ?

- Un virus.

- Hein ?!

- Ne vous inquiétez pas son incubation est de 36 heures, j’aurai le temps de me rendre au laboratoire pour extraire le virus et vous donner l’antidote.

- Et si on n’y arrive pas ?

- Vous mourez !

- Hein ?!

- Mais ne vous inquiétez pas ça n’arrivera pas.

- Et si on arrive pas ça arrivera ?

- Pas de pessimisme.

Je restai silencieux ressassant ses dernières paroles quand une question me traversa l’esprit.

- Et comment vous avez fait pour vous défaire de vos assaillants ?

- Le moins vous en saurez, le mieux vous vous porterez.

- Ha bon ? Vous me direz rien sur le virus qui circule dans mes veines.

- Non, vous risqueriez encore de faire un accident vasculaire.

- Vous avez une piètre opinion de ma conduite. Combien nous faut-il de temps pour arriver à destination, si je puis me permettre ?

- Environs 16 heures.

- Hein ?! Vous voulez dire que nous allons rouler durant seize heures et si je compte bien le virus aura déjà incubé durant 18 heures.

- Oui, et il restera dix-huit heures, donc pas de panique.

- Pas de panique pas de panique, j’aimerais bien vous y voir, ce n’est pas vous qui êtes sur la tranche. Au passage je vous remercie pour le cadeau. C’était très gentil de votre part.

- Vous avez remarqué ?

Elle sourit comme si toutes ces péripéties l’amusaient ce qui avait la fâcheuse tendance de m’angoisser. Je continuai à m’inquiéter comme d’habitude.

- Au fait. Fit-elle. Quel est votre prénom, si on doit passer un peu de temps ensemble autant nous appeler par nos prénoms.

- Oui en effet, mais je ne dois pas m’attendre à avoir un vrai nom.

- Appelez-moi Lise, c’est assez proche de la vérité.

- Ha ! Moi c’est Antoine. Pas très original, je sais.

- Mais non, c’est un prénom comme un autre.

- Oui ? Et bien un autre m’aurait mieux convenu, enfin pour ce que j’en dis. C’est mon père et ma mère qui ont choisi ce prénom et je ne sais pas ce qu’ils avaient bu pour choisir Antoine. C’est comme dans la vie on a le choix que d’accepter ce que l’on est.

- Vous pouvez toujours le changer s’il vous gêne.

- Boaf ! Je ne sais plus, je l’ai tellement entendu, que je ne sais même pas si je m’entendrais avec un autre prénom.

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