Le coeur qui valse

redstars


Écriture en Vrac -

09/10/14



Elle attend toujours le soir.

La pire des toutes ces garces.

Elle sait tout de son rôle et sait profiter de son pouvoir. Après tout, ça fonctionne si bien que ce serait dommage de ne pas en abuser.


Je replie mes jambes, pose mon visage contre mes genoux. Contractée, j'oublie qu'il faut respirer pour vivre.


L'air manque et mes poumons aussi se sont cachés à son approche. Je choppe l'air que je peux, mais ça ne suffit pas. Je suis un poisson hors de son bocal, qui sent qu'il va crever là, la gueule ouverte sur du vide.

Ça n'a pas de sens. Le cœur qui débute son triathlon, et dont souvent je me dis, il va lâcher. Il va finir par lâcher, c'est pas humainement possible de subir des assauts tels sans séquelles.


Je pense, il va lâcher.

Je pense, ça serait pas plus mal.

Je pense, l'angoisse va me tuer.


Ça cogne fort, je pourrais vomir et la solitude et la lassitude, si je m'écoutais. Je pourrais gerber la haine, le dépit, la fatigue.

Mais ma bouche reste close et l'oxygène est denrée rare.


Me laisse pas toute seule.

Sois pas indifférent.

Putain je vais crever, regarde-moi.


Pitié, me laisse pas seule avec ma peur.


Regarde-moi.

Regardez-moi.


Regardez-moi...



Le crépuscule à un goût de viande avariée. Mon corps a lâché, le cœur s'est emballé et je tremble.

Marche ou crève, subis ou crève, attend ou crève.

Crève ou crève.


Je gobe un cachet supplémentaire. Mais le cachet se rit de moi.


Je tourne en rond et en triangle.


Ma respiration saccadée est trahison. Je laisse mon corps s'enfoncer entre deux coussins. Le plafond n'a pas changé.


Elle attend toujours le soir. Elle lance ses troupes et m'envahit. Elle m'effleure de son fleuret, parce que c'est plus drôle comme ça. Elle mordille avant de croquer. Elle a ce regard qu'on toutes les putes de bas-étage.


J'écoute mon cœur tambouriner. Et me répète qu'il va lâcher.

J'étouffe, parce qu'il n'y a plus d'air, plus rien, juste du vide autour de moi, j'étouffe, complètement renfermée, mon corps en boule comme protection, mon corps contracté pour prendre moins de place dans cet espace devenu soudainement trop terrifiant.

J'attends un mot, ou deux, une caresse, un regard, j'attends qu'on vienne à mon secours, qu'on ne m'oublie pas là, dans un coin, abattue, échec et mat, la solitude ayant été aussi invitée au spectacle.


Le tango débute, et nous nous affrontons, elle et moi, héroïnes d'une déchéance identique.

Ma robe sombre et fendue semble invisible à côté de la sienne, rouge sang-de-bœuf.

Nos yeux ne se quittent pas, charbonneux, et dans le public personne n'ose prononcer le moindre mot tant la tension entre nous est palpable.

Nous évoluons sur cette scène braquée par des projecteurs aveuglants, mes yeux sont peut-être éblouis, mais je connais encore les pas.

Je tournoie, tente de la menacer, mais déjà je sens son bras me rapprocher d'elle, peut-être pour que je saisisse mieux le vice de ses yeux gris.

Nos corps s'entremêlent, du noir et du rouge alors que nos cuisses meurtries se dévoilent sous nos robes de bal.

Je suis si fatiguée.

Soudain je réalise qu'elle me domine, mon corps glissant sur le sien, selon ses vœux et ses souhaits. Je me laisse entraîner par sa danse, mon corps projeté, rattrapé, elle a su deviner les cordelettes invisibles reliées à mes poignets.


Et ça tourne.

Et je me laisse faire.

Et y'a cette sensation qui revient.


Du temps où je ne savais pas parler, mais où déjà, la peur me dévorait sans détour, dans le berceau, comme ce souvenir flou, la lampe-boule accrochée au plafond, et mes cris, mes hurlements, mes appels à l'aide étouffés.

Ça ne veut rien dire, et y'a pas assez de preuves à mon dossier pour me défendre.

Je me sens seule soudain, abandonnée et livrée sur un plateau d'or blanc à ces angoisses qui depuis ne m'ont jamais quittée.

Ça me revient en pleine gueule, l'enfance, ou plutôt, les bribes, des mirages qui n'en restent que trop réels.

Ces crises qui se répétaient, et dont le souvenir suffit souvent à tout raviver, me renvoyant à cette petite chose chétive qui n'avait pas la possibilité de hurler suffisamment fort pour que l'on vienne la rassurer.

Le souvenir d'une gosse trop jeune pour dire qu'elle avait peur, et qui se sentait crever sous les draps, à côté de ses peluches aux yeux tristes.

La gamine qui quand elle a su parlé s'est tue, éveillée des nuits entières, cherchant des morceaux de lumière pour se rassurer, surveillait la maison, tours de garde après tours de garde, haute comme trois pommes. Vérifiait ici et là que tout le monde respirait bien. La gamine dont le sommeil faisait peur, parce qu'alors les cauchemars faisaient leur entrée, l'enfermant dans un cercueil dont elle ne parvenait à s'échapper, enterrée vive. Et cet air qui a toujours manqué. Cet air vide en lequel on se sent doucement crever, sans personne autour, sans personne à agripper de ses mains.

Un cachet, encore.

Parce que je ne peux plus.

Parce que c'est au-dessus de mes forces de résister encore.


L'angoisse me fait face avec son sourire en coin, son arc tendu prêt à se rompre, et j'avoue ne plus savoir où j'ai rangé mes propres armes, d'ailleurs existent-elles encore ou ont-elles été détruites lors de la dernière guerre ?

Je devine ses flèches me transpercer tel un gibier insignifiant dont on empaillera la face pour la suspendre au-dessus d'une cheminée hypocrite.

La nuit s'est installée et m'a complètement recouverte, complice du crime.


Ne reste qu'à attendre, le corps froid, les yeux asséchés, le corps démantelé à qui il manque de plus en plus de pièces, oubliées sur les champs de bataille.


Attendre qu'elle décide quand aura lieu le bouquet final, là, juste avant qu'une autre de ses alliées puisse ensuite prendre le relais.

Et souffler sur mon cierge.


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