Edimbourg ou "Ocean Terminal"

koss-ultane

               Edimbourg ou “Ocean Terminal”

     J’ai assisté malgré moi à une étrange cérémonie. L’aîné marchait les jambes exagérément écartées et le cadet pleurait beaucoup.

     Edimbourg, une grande cité où il suffit de tourner la tête pour être loin d’être urbain et déjà sauvage, ne pouvait que plaire à celui qui partageait ces caractéristiques. Agglomération au raccourci symbolique où il n’y avait qu’à grimper au plus haut pour jouir de la meilleure vue sur notre fin à tous. Un des plus envoûtants cimetières auquel plus aucun habitant ne prête un regard. Je n’y ai croisé que des bestioles et des acnéiques en quête d’intimité relative.

     Basé dans une chambre d’hôte, comme disent les Français, je rayonne, à défaut de briller, dans les artères de la ville. De l’aorte à ces veinules, qui n’intéressent que moi et les éboueurs chargés d’y escamoter les poubelles aux arrière-boutique, j’offrais le discutable spectacle de mon sourire jaune béat avec micro-hochements du bonnet lourds de sous-entendus admiratifs devant ce qui n’étaient souvent que des ruelles crasseuses et malodorantes mais telles qu’en un film ou un roman que j’aurais adoré. Bref, le touriste benêt, découvrant le joyau architectural, demandant à visiter le local poubelle et y prendre ses repas en bordure d’écrin, avait toujours été mien. Evidemment, ces “lanes” filaient un mauvais coton pour qui ne s’intéressait qu’aux sites touristiques classiques et ne voulait renifler la ville. Joyeusement, j’étais cet hurluberlu qui flattait les flancs des plus beaux bâtiments anciens comme si j’y avais été pour quelque chose. Chez moi, “Arthur’s Seat and the Saliisbury Crags” aurait été un groupe de punk rock ultra violent sur-maquillé et le “Radical Road” leur premier album et seul moyen d’accès. Ici, ce sont des falaises qui surplombent la cité sans jamais l’écraser et un chemin y conduisant faisant le tri entre touristes cardiaques ou pulmonaires et les autres. Je recherchais ici aussi l’étrange sensation vécue à Glasgow la veille de mon départ pour Edimbourg, ce magique vingt-trois janvier deux mil cinq. Regarder, scruter et chasser le “pas comme à Paris” et puis vivre ce moment de grâce quand, lassé de toujours braquer ma petite carcasse vers la gauche en sortant du MacLeys où je dormais, je décidais un jour de filer à droite bien qu’ayant déjà aperçu ce qui ressemblait à un simili périphérique qui, pour le Parisien que je suis, préservait forcément le beau du laid, l’intéressant du banal. Ma chance fut d’être surélevé et d’avoir encore un peu d’acuité visuelle à cette époque. Deux églises, une blanche immaculée et une noirâtre, m’attirèrent au-delà de cette frontière. Les rues montaient, je pris délibérément les plus tortueuses et étroites, passai devant l’église blanche dans une ambiance de samedi matin surréaliste. J’étais seul. Comme ce lundi où j’étais allé au lycée en ignorant que c’était la journée du maire. Maisons identiques accolées en parenthèses autour de places vides dont les seuls propos étaient : beauté et quiétude. J’escaladais toujours. Bizarrement, le ciel semblait soudain être la limite de l’urbanisme. Je m’avançais en bordure d’azur et découvrais une dépression en forme de parc et un bâtiment sur une colline plus loin et un fabuleux navire en réfection qui semblait être un château-fort en cale sèche. Ses tours et ses pavois lui donnaient des airs turcs médiévaux monumentaux. Un musée fabuleux mais clos. J’en fis le tour comme un squale s’enivrait du sang d’une proie blessée mais constatai que les travaux ne seraient pas achevés avant cécité. Je pris toutes les allées du parc, admirai jusqu’à son pied l’université de Glasgow et me dis que, décidément, rien ne valait de se perdre dans une ville. Conseil que je donnais toujours aux touristes à Paris et auquel je ne croyais qu’à moitié.

     Exceptés les haricots au réveil, passablement bons mais trop matinaux à mon goût de Français attaché à ses pâtisseries mouillettes en milieu chocolaté, tout m’avait plu à Glasgow. Après ces cinq jours géniaux et quelques miles de marche avec mon cartable sous le bras à regarder les façades le sourire aux lèvres, à grimper descendre, chasser le Charles Rennie dans ses moindres détails et picoler et puis écrire, j’étais arrivé à Edimbourg. Là, tout me plu aussi. Je furetais dans le château une journée durant, descendais, remontais, croisais le “Royal Mile” de son début champêtre et mercantile à sa fin médiévale et mercantile. Je m’enfilais toutes les ruelles transversales à toutes les heures du jour et de la nuit, ou presque, jusqu’à épuisement du bonhomme. Un jour, ayant écumé depuis déjà quatre jours la capitale écossaise, à deux pas de mon confortable Bed and Breakfast, je manquais d’inspiration et de courage. Passa devant moi un bus au nom qui m’attira : “Ocean Terminal”. Puisque c’était là que finissaient toutes les gouttes d’eau, et que j’en possédais moi-même quelques-unes amoureusement pré-salées sur mon front et que cela descendait, je le suivis mollement en me laissant glisser jusqu’en bas. Ma foulée, simultanément nanisée et dopée par la pente, et mon port altier me donnaient des allures de jument de dressage à l’ouvrage. Cette hautaine apparence, habituellement étrangère à l’effondré de naissance que je suis, était dû à mon regard vissé sur cet invisible terminus au décorum improbable d’un contrebas qui semblait pourtant avoir de l’aplomb. Après tout ne fallait-il pas assumer le fait de prendre ses vacances en Ecosse au mois de janvier ?

     Dépaysant pour un Parigot d’être, dans une grande ville, entouré de larges et beaux bâtiments anciens, d’arriver à un carrefour, comme il y en a des millions dans le monde, sur North Saint-Andrew street, avec un petit bout de trottoir sous les chaussures face à la clinquante Multrees walk, de tourner la tête sur la gauche et d’apercevoir un bras d’eau sans construction autour et une verte langue de terre abrupte tomber dans le bleu. Des Français auraient tout construit, des Espagnols tout bétonné et implanté une colonie d’Allemands en sandales-chaussettes avec des buildings qui auraient mis le château à l’ombre pour longtemps quand un lâché de Monégasques aurait bétonné le Firth of Forth jusqu’à Kirkcaldy. Je dégoulinais donc tranquillement jusqu’au bord puis, apercevant un pont magnifique, marchais dans sa direction. La merveille étant ferroviaire, je me rabattis sur son voisin autoroutier et assistai à une drôle de cérémonie que je pensai d’abord furieusement autochtone. Mais les quelques locaux qui croisaient mes pas et cette réunion étrange avaient l’air trop surpris pour qu’elle fût inscrite au calendrier de l’office du tourisme. Une mère, à l’air renfrogné, et un père, qui paraissait gêné, avaient garé tant bien que mal leur voiture sur un des trottoirs du pont. Les warnings égayaient un peu la triste scène. Entre eux, un adolescent, marchant avec les jambes à quinze heures quarante-cinq mais sur deux horloges séparées tant elles étaient éloignées l’une de l’autre, avait du mal à retenir un sanglot pendant que son cadet, pas encore entré dans l’âge ingrat, tenait entre ses mains un petit colis dont il avait soigné l’apparence. Le paquet, d’un beau papier bleu océan de la taille d’un livre de poche, fut jeté du haut du pont. Le petit, inconsolable, s’effondra sur la rambarde terrassé par un chagrin abyssal comme seuls les enfants en éprouvent. Il ne voulait pas partir. Les parents semblaient affectés mais leurs caresses de soutien allaient plutôt vers l’aîné apparemment handicapé.

     Le grand Peter et le petit Ian n’avaient pas les mêmes pôles d’attraction semblait-il. Il n’y avait pas plus différent que ces deux frères là sinon tous les autres frères du monde à quelques exceptions près. Grand Peter était sportif, peu doué pour les études, et plaisait déjà aux filles. Petit Ian était le fort en thème et s’intéressait aux poissons exotiques. Passion pour laquelle il dépensait tout son argent sans jamais rechigner à sacrifier tout le reste. D’ailleurs, ils s’entendaient plutôt bien puisqu’ils vivaient sur le même palier mais pas sur la même planète. Il y avait un armistice durable entre les deux descendances de la studieuse famille Silesi. “Moi, je suis nul en tout mais j’aurai une vie géniale faite de conquêtes en tout genre et de fêtes et, toi, tu seras intelligent et tu auras une vie grise de travail et de recherche”. Les deux consanguins étaient contents de leur sort et du verdict qu’ils en avaient tirés chacun de leur côté. Ils ne se retrouvaient que pour le football et supporter leur équipe locale. Grand Peter était demi défensif dans son équipe de minimes. Petit Ian jouait aussi mal que son aîné mais feignait de l’admirer pour avoir la paix. Bruno, le père, avait été gardien… du stade dans sa jeunesse. Petit Ian pouvait néanmoins facilement sauter une retransmission télévisée de l’équipe nationale ou d’un match de coupe d’Europe alors qu’un grand Peter aurait défenestré sa grand-mère pour ne pas perdre une image de ce genre de spectacle, plusieurs fois si nécessaire. Les jours de match télévisé, Grand Peter, n’y tenant plus, avait même décidé de pisser, toute salle de bain éteinte pour ne pas se faire surprendre et lyncher, dans le lavabo plus proche d’un salon télé que les toilettes à l’autre bout de la maison. Les filles, même particulièrement empêchées du bulbe, ne se seraient jamais mises en balance avec la moindre opportunité de voir du football. Petit Ian, ne voulant et ne pouvant, pour l’instant, lutter avec le prestige sportif de son aîné, avait opté pour le rugby dans son école, ce qui lui conférait un statut un peu moins chétif qu’il ne l’était réellement. Grand Peter ne venant jamais le voir jouer ou s’entraîner, il pouvait aisément lui cacher qu’il se faisait régulièrement aplatir par des morveux qui faisaient la moitié de sa corpulence déjà problématique pour un petit corps devant transbahuter une grosse tête.

     Aujourd’hui, c’était le grand nettoyage bimensuel de petit Ian. Celui de Grand Peter se résumait à un coup d’aspirateur dans sa chambre et à bourrer tous les contenus dans tous les contenants et de foncer devant la retransmission footballistique quasi journalière. Petit Ian, lui, n’avait pas besoin de ranger son impeccable chambre mais s’occupait avec tous ses petits pensionnaires pendant que les parents profitaient de leur jardinet : les anguilles dans la baignoire, les lièvres de mer dans les petits aquariums de ses débuts, les poissons clowns dans l’évier, les tortues dans des bacs et les piranhas… dans le lavabo.

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