"Eldorado"

Budmo

Ils étaient là devant moi et il m'a demandé ce que je pensais d'eux. Qu'étais-je censée répondre? Sincèrement, mon cerveau s'est chamboulé à l'entente de cette question.

Devais-je parler comme la plupart des gens qui démontraient leur force et que je n'aurais jamais pu faire comme eux? Aurais-je dû leur dire qu'ils étaient bienvenue dans mon pays alors que ce même territoire ne m'appartient pas? 

Ils venaient de terres brûlées, de terres où la guerre et la violence étaient omniprésentes. Il n'y avait plus que ça. Et ils étaient en face de moi, à répondre à mes moindres questions sans aucun tabou. Tant bien que j'ai appris que Bilel avait perdu son meilleur ami et sa fiancée. Simplement parce que l'armée le réclamait, qu'il se cachait car il ne voulait pas de cette violence et qu'il n'avait rien demandé. Tout simplement car cette même armée a été chez son meilleur ami et sa fiancée pour leur demander où il se trouvait mais qu'ils se sont fait assassinés en niant la question. Je devais répondre quoi à ça?

Je ne pouvais agir comme les autres et leur répondre comme tout le monde. Ce n'est pas dans mes codes. Je les ai regardés droit dans les yeux et j'ai commencé, sans plus vraiment m'arrêter, un vrai moulin à parole. 

J'ai commencé par leur dire que je ne les pensais pas ainsi. Que pour moi les réfugiés, c'était des réfugiés, encore et encore. Des taxes, des impôts, toujours la même chose. Des étrangers qui débarquent encore dans mon pays. Que j'étais surprise en ayant fait la connaissance de leur réelle nature. Qu'en fait ils étaient comme mes parents, comme moi. Qu'ils avaient des diplômes, une famille chez eux, en Syrie, en Irak. Et je m'en suis voulu, énormément. Je m'en suis tellement voulu de penser d'une façon aussi odieuse. D'avoir grandi dans une famille pure sang, une Belge en Belgique. Je m'en suis voulu car les valeurs priment au-delà des clichés. Je m'en suis voulu à cause de mes parents, à cause du gouvernement qui nous manipule, je m'en suis voulu à cause de tout ce système qui nous donne des à-priori honteux sur ces personnes qui cherchent un peu de chaleur à défaut de la guerre. 

Je m'en suis voulu car l'existence n'est qu'une roue et que celle-ci tourne. Aujourd'hui ils sont touchés, lors de la première guerre mondiale, nous étions touchés, nous partions de notre pays car la guerre faisait maints ravages. Je m'en suis voulu de la cruauté de l'Homme, de sa façon de penser, de sa facilité à se faire influencer. Je m'en suis voulu alors que je n'y peux rien et que les ministres, pour la plupart, s'en contre-foutent. Qu'ils sont tous mouillés jusqu'à la moelle et qu'ils ne cherchent qu'à s'enrichir.

J'ai continué en leur disant que pour moi le système de frontières n'était rien d'autre qu'absurde. Car les gens sont partout, les pays ne sont que des territoires, que les hommes bougent, devraient pouvoir aller où ils se sentent le mieux sans contrainte. Le système de papiers et de réfugiés me dégoûte. Tant bien même qu'un des quatre réfugiés m'avait dit que le monde était son pays, peu importe où il se trouvait.

J'aurais pu leur dire qu'ils étaient d'une force incomparable et pourtant, j'aurais été incapable de leur dire ceci. Pour moi c'était normal, c'était normal de tout lâcher pour aller vers son avenir. Et j'ai appris qu'un autre avait laissé sa femme et sa fille pour venir dans mes terres. Tout ça pour survivre et essayer de sauver sa famille. Mes entrailles se sont serrées, ma gorge s'est nouée, mes larmes sont montées. Voilà ce qu'est la guerre, misère et malheur. L'amour n'existe plus. 

Et ce qui me dégoûte encore plus, c'est qu'on les accueille des plus noblement alors que ce n'est qu'une façade. On fait tout pour les renvoyer chez eux. On fait tout pour que leur famille ne vienne pas les rejoindre, on fait tout pour qu'ils ne retrouvent pas leur vie. Ils sont entassés dans des centres, dans des tentes, des douches d'eau froide. Des bébés doivent même être lavés chez des familles à cause des sanitaires. Dans ce même pays où je n'ai pratiquement jamais connu de problème de plomberie. Je leur ai dit qu'ils pouvaient venir se doucher chez moi s'ils en éprouvaient le besoin, qu'ils pouvaient venir manger chez moi s'ils avaient faim et que si je le pouvais, je leur donnerais un emploi pour qu'ils refassent leur vie. 

Au final, ils m'ont dit que j'étais forte, très forte. Ce qui m'a encore plus torturé l'esprit. 

Je ne peux rien faire, je ne possède pas les richesses, je ne possède que l'humanité. C'est peut-être une grande chose mais ça n'est pas assez. Je ne pensais pas l'Homme capable de telles choses. Bien sûr que je le savais en mon for intérieur, mais lorsqu'on n'est pas confronté à ce genre de situation on continue son quotidien sans se poser plus de questions. 

Je t'aurais bien dit de ne pas me quitter pour que je t'aide à retrouver une vie qui en vaille la peine. Je t'aurais traîné s'il le fallait pour que tu ne sombres pas. J'aurais tout fait pour voir les gens sourire, pour voir les gens heureux, pour les voir équitables. J'aurais tout fait pour qu'ils ne soient pas séparés de leur famille, j'aurais tout fait pour que le monde tourne rond.

Mais je suis cette artiste torturée qui ne sait déjà pas se gérer, comment mener une révolte? Comment redonner de l'espoir aux gens pour qu'ils ne sombrent pas?

On n'a pas le droit de priver les gens d'espoir.

  • Aider ces gens, à notre petit niveau ! Parce que, au suoer niveau de haute politique, j'ai comme un doute sur la sincérité.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

  • En étant nous conscient que la vie peut être sombre mais que c'est aussi une petite partie de celle-ci,
    en prenant conscience que finalement c'est la volonté qui décide de tout sur la vie.
    S'il y a des choses dont on peux nous priver, et du coup qui peuvent influencer notre volonté, ce n'est que matériel (superficiel).
    Comprendre que la souffrance peut des fois être notre ami et peut-être toujours.
    Ne pas voir en celui qui souffre "le combat qu'il doit mener contre...", "mais voir l'investissement qu'il donne pour...",
    Savoir que personne n'est vraiment jugé pour d'un côté son parcours, de l'autre ses avis, mais qu'amputer à l'autre son histoire ou son opinion pour lui imposer la sienne peut être regrettable.
    Et surtout pour ceux qui ont compris ce qu'on peut apporter aux gens afin de voir les aider à être heureux, Toujours garder la foi en cet idéal que beaucoup d'inconscients ou de gens qui n'explique rien piétinent ou jettent à la poubelle...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Default user

    wilpat

    • Bonne réflexion !

      · Il y a presque 9 ans ·
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      Budmo

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